Inauguration d’une stèle au cimetière du Gol

« Un acte de réparation »

31 octobre 2009

Le Président de la Région Réunion, Paul Vergès, nous invite à « l’inauguration du monument en hommage à nos ancêtres morts sans sépulture ».

L’initiative est heureuse, car elle est conçue comme un acte de réparation. Pour nos ancêtres africains et malgaches, entre autres, la mort a un caractère « sacré » et, dans l’imaginaire populaire, celui ou celle qui n’a pas reçu de sépulture est condamné à errer. Faire mémoire de ces « morts incomplètement satisfaits » ne peut que réjouir nombre de nos compatriotes.

Le lieu, le vieux cimetière de l’Etang du Gol, convient parfaitement pour une telle initiative. Ce cimetière, ouvert en 1729 dans la foulée de la colonisation du Sud, dit "cimetière du père Lafosse" ou "cimetière des esclaves », est également connu comme le « cimetière des âmes délaissées", des "âmes" qui occupent une place privilégiée dans la mémoire populaire. Les nombreuses croix de ce cimetière dédiées "Aux âmes délaissées du Purgatoire" en témoignent. En outre, des Réunionnais venant de toute l’île viennent prier chaque jour dans ce cimetière, où « une partie était consacrée aux esclaves », comme l’écrit Prosper Ève.

Certes, ce cimetière n’était pas réservé exclusivement aux esclaves. Lors de l’épidémie de variole en 1729, les morts sont enterrés « aux cimetières de l’Etang-Salé, de l’Etang du Golfe, de la Rivière Saint-Etienne », chacun selon la proximité de sa demeure, précise le curé de Saint-Louis d’alors, Olivier Carré. Le Père Paul Ozoux, ancien curé de Saint-Louis et auteur des "Simples Renseignements pour servir à l’Histoire religieuse de l’Ile de La Réunion", indique que plusieurs prêtres ont été enterrés dans ce cimetière : « Le petit cimetière dans un petit bois respecté des propriétaires et des cultivateurs garde encore des tombes bien faites et bien conservées ; entre autres, celles de quelques prêtres dont les noms sont effacés » ("Dieu et Patrie", n° 22, 15 mars 1928).

Une autre raison majeure justifie, à mes yeux, le choix de ce lieu. Dans ce vieux cimetière du Gol, un culte populaire réunissant des Réunionnais issus de tous milieux - phénomène exceptionnel - est voué au Père Jean Lafosse (1745-1820), homme connu et reconnu unanimement comme l’ami et le protecteur des Noirs, à l’instar de l’abbé Grégoire. « La place étonnante qu’occupe encore aujourd’hui le Père Lafosse dans la sensibilité populaire, écrit Hubert Gerbeau, est peut-être révélatrice de la force d’un message qui a pu être recueilli et transmis par les esclaves de son entourage ».

Décédé le 12 octobre 1820, le Père Lafosse est sans doute le dernier prêtre à être enterré dans ce cimetière où les inhumations sont interdites, à partir de 1823, au profit du seul cimetière de Bel-Air. Le Père Lafosse a été le curé de la paroisse de Saint-Louis de 1775 jusqu’à son expulsion de la colonie au mois de juin 1798. A son retour d’exil des Seychelles, il retrouvera, en 1803, comme curé, son ancienne paroisse de Saint-Louis, où il demeurera jusqu’à sa mort, « laissant une réputation de sainteté », souligne le Père Jean Barassin. Notons que l’église du Bassin des Anguilles, où le Père Lafosse officia durant tout son ministère, était située « sur un bras de la Ravine du Gol, non loin du vieux cimetière où reposent ses restes », tout comme la Cure

La dernière raison qui justifie pour moi l’importance du choix de ce site historique est la suivante : après un long état d’abandon injustifié, il a été l’objet d’une réhabilitation, commencée en 2000 par le Centre pour le Développement et la Promotion Sociale (CDPS) et non achevée : toujours aucune indication d’accès au cimetière ; la non apposition des nouveaux portraits - déjà prêts - du Père Lafosse et de l’esclave Aman sur le mur d’entrée ; la non végétalisation des ceintures intérieures et extérieures du cimetière, etc..

La stèle en hommage à nos ancêtres morts sans sépulture - puisque ce site a été choisi -, ne peut donc que se situer dans la perspective d’une restauration complète de ce lieu chargé de mémoire que "Témoignage Chrétien de La Réunion" a su mettre en valeur dans les années 70, ainsi que les figures de Lafosse et d’Aman.

Reynolds Michel

Prosper ÈVE, Les cimetières de La Réunion, Edit. Université de La Réunion/Océan éditions, 1994
Père P. OZOUX, Simples renseignements pour servir à l’Histoire religieuse de l’île de La Réunion, in Dieu et Patrie, n° 22, 15 mars 1928.
Jean Barassin, Histoire des établissements religieux de Bourbon au temps de la Compagnie des Indes, Edit. Fondation pour la recherche et le développement dans l’Océan Indien, collection Documents et Recherches, 1983.
Hubert Gerbeau, Problèmes religieux et minorités en Océan Indien, Etudes et Documents, n° 14, AIX, 1981.

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