Obsèques de Gramoun Lélé

Un autre Rwa s’en va

17 novembre 2004

Hier, l’église de Saint-Benoît ne contenait pas toute l’assistance qui venait saluer le grand artiste, le grand Réunionnais, qu’était Julien Philéas. C’était quelque part La Réunion entière qui accompagnait Gramoun Lélé à sa dernière demeure.

Les Bénédictins attendent patiemment devant l’église Gramoun Lélé, décédé samedi des suites d’une longue maladie. Celui qui aura marqué l’histoire de Saint-Benoît, et de notre île en général, nous quitte après de longues années d’investissement pour sa culture, à l’âge de 74 ans.
Des gramounes, anciens ouvriers de l’usine de Beaufonds, amis et voisins de Gramoun, se remémorent l’histoire de l’usine, ses périples. Des souvenirs qu’ils associent volontiers à la vie de Gramoun Lélé, qui a été ouvrier lui aussi à Beaufonds. "Travayèr, mesié, Lélé té in gran travayèr", indique un des gramounes, en attendant le cortège mortuaire. Ils n’attendront pas longtemps. Le corps de l’artiste arrive derrière une foule nombreuse.
Un de ses fils, sagaie malgache à la main, entonne "Wo Lélé..." avec le cortège, qui répond de vive voix, comme pour dire que l’héritage que Gramoun Lélé laisse ne sera jamais destiné à rendre l’âme. Son maloya la pa mor. Il continue à vivre par la voix de ses 13 enfants et 84 petits-enfants et arrière-petits-enfants. Le maloya ne s’arrêtera pas. Devant les portes de l’édifice, ses enfants chante de plus belle, même si le cœur reste meurtri par cette triste disparition.

"Ou la sousi bann zèn..."

Dans l’église, la famille est entourée d’amis, de voisins, d’artistes, de représentants d’associations culturelles, de politiques. Bref, ils seront nombreux à venir entendre la messe. "Ousa ou la parti alor-k navé in ta-d zafèr po fé ankor ?", demande le curé de l’église de Saint-Benoît. La messe est en créole. Et on dira que Gramoun Lélé, comme le Rwa Kaf ou plus anciennement Expédit Vienne, plébiscitera encore le créole dans l’église, mais surtout son plus fidèle ambassadeur, le maloya. Nous en sommes tous fiers, même si nous pleurons un père du maloya.
"Ou la sousi bann zèn, bann moune lé pov", poursuivra le curé. La ville de Saint-Benoît restera éternellement reconnaissante pour l’engagement de Julien Philéas auprès de la jeunesse bénédictine, notamment en transmettant les vertus d’une musique originale de notre île. Il a travaillé comme un passeur culturel, pour que le maloya vive pleinement sur sa terre. Les Réunionnais lui en seront toujours reconnaissants. D’ailleurs, les jeunes présents à l’office lancent maloya sur maloya en l’honneur de leur Gramoun, maintenant tenant stature d’ancêtre.
"Gramoun Lélé lé dann paradi Maloya", déclare Christian Baptisto, un ami de longue date de l’artiste, tandis que Danyèl Waro demande à l’artiste disparu, cela en chanson, de continuer "amont anou shanté, Lélé". Un membre de la famille, qui prendra la parole à la chaire, dira "ozordi, ou la parti èk out bann zansèt", mais précise haut et fort que "léritaz ou la kit pou nou, nou oubli ar’pa".
La relève était donc présente pour accompagner un grand du Maloya, un de ceux qui a donné envie à plusieurs générations de faire valoir une part culturelle intense, notre maloya. Le curé demandera une minute de silence, afin d’adresser une dernière pensée à Julien Philéas. Même silencieusement, on aurait cru entendre l’assemblée fredonner ses chansons.

Maloya dann la vil

Le cortège sort de l’église au son du maloya de Gramoun Lélé. Les hommes décident de porter le cercueil à force de bras jusqu’au cimetière de Saint-Benoît. Gramoun Lélé, tel un Rwa guerrier, traverse la ville, sous le regard triste de toute une population bénédictine, affectée par la disparition de son chanteur. Devant le cortège, à l’instar des troupes chantantes de Josaphat, ses fils et amis musiciens chantent de vive voix, jusqu’à ce que le corps du Gramoun entre dans le cimetière, sa dernière demeure.
Dehors, le maloya ne s’arrête pas. Et puis, après un dernier salut à l’artiste, un dernier hommage à un maloyèr hors du commun, la foule rentre chez elle, avec néanmoins un lourd poids sur le cœur. Adieu l’artiste. Bonjour Gramoun Lélé. Si twé la parti, out maloya la resté.

Babou B’Jalah


" Veloma Rangahy Bé "

Hommage des historiens de La Réunion, Madagascar, Maurice, Comores et des autorités politiques de Madagascar (Sénateur de Tamatave,
président du Faritany "Chef de Province" président du conseil municipal de Tamatave ville, du représentant du Conseil général de La Réunion, du président et de doyens de l’Université de Toamasina. 200 personnes ont assisté à cet hommage solennel à Madagascar.


Zot la di

"Un cœur empli de générosité, de courage, de combativité"
Grammoun Lélé disait : “Moi je n’oublie personne, tout le monde est toujours dans mon cœur, dans le cœur de Lélé”. Il avait une voix extraordinaire que je n’oublierai pas non plus, et puis un cœur empli de générosité, de courage, de combativité à la tête de son groupe familial. C’est sans doute ça le maloya : le chant d’un combat quotidien pour porter au loin l’image d’une île qui brise ses chaînes. Et passent dans ses chansons de belles traditions réunionnaises comme les cérémonies du mariage Bondié, comme les rites tamouls, comme les services kabarés ; et passent dans ses chansons des pages d’Histoire de La Réunion qui nous parlent de l’Inde, de l’Afrique, de Madagascar (oh, oh salamana, Antandroy, Betsylé, Ombiasy) ; et passe dans ses chansons une émotion qui vient de loin, de très loin, du temps où les esclaves s’enfuyaient des plantations pour vivre libres dans les montagnes. Après le Rwa Kaf, c’est Grammoun Lélé qui s’en va à son tour, tous deux irremplaçables. Ces deux grands Maronèr seront toujours dans le cœur - au cœur même de l’Histoire de La Réunion.
Jean-François Samlong, écrivain

"Le maloya avait besoin de Lélé"
La mort de Gramoun Lélé représente une perte humaine inestimable pour l’Île de La Réunion. Mais c’est une mort qui n’éclipse pas la vie et le destin de ce grand Réunionnais. Le chagrin qu’elle procure à ceux qui aimait l’homme et le formidable musicien, la douleur en laquelle elle plonge sa famille et ses amis, ces choses négatives de la mort n’auront pas d’emprise très longtemps. La douleur du décès fera place bientôt à l’admiration, à la continuation musicale, à la légende.
Ce qui compte réellement, c’est ce que l’on a fait de bon dans sa vie et qui fait que les autres vont se souvenir de nous, bien après notre mort. La musique et les chansons qu’il nous a laissés en héritage, nourriront toujours la légende de ce travailleur d’usine parvenu, à force d’abnégation et de talent, à devenir l’homme qu’il rêvait de devenir. Le maloya bien sûr n’est pas né avec Gramoun Lélé, puisque cette musique puise sa source dans le tan lontan et les larmes des esclaves. Mais le maloya avait besoin de Gramoun Lélé. À une époque où une certaine idéologie néo-colonialiste tentait de le rejeter dans les limbes, le maloya avait besoin de ces chanteurs marrons et il aura trouvé, à travers Gramoun Lélé, son incarnation humaine, son nouveau messie. Aucun Réunionnais n’oubliera jamais l’homme que fut Gramoun Lélé et l’héritage musical qu’il nous a laissé. Gramoun Lélé a fermé les yeux, mais seulement après avoir fait que s’ouvrent les nôtres.
William Cally, écrivain réunionnais

Hommage à Granmoun Lélé
Nous avons appris avec tristesse la disparition de Granmoun Lélé, grand artiste et figure désormais légendaire du maloya. Par son courage, sa force d’esprit et son énergie, “l’ambassadeur de la Réunion” Julien Philéas, alias Granmoun Lélé, a fait connaître le maloya bien au-delà des océans et des frontières linguistiques. Avec la Troupe Lélé, il a porté très haut la musique issue de l’île de la Réunion, se produisant sur de nombreuses scènes internationales dont, entre autres, le Festival Musiques Métisses d’Angoulême. Granmoun Lélé laisse un patrimoine riche que les musiciens et les pédagogues continueront de faire vivre dans toute son originalité et son authenticité.
Direction régionale des affaires culturelles

La clé de notre mémoire
C’est un hommage émouvant que RFO a rendu à Gramoun Lélé lundi en lieu et place du journal télévisé de 19 heures. "Démérd la klé", dit-il en foutan. La klé, té li : un trésor de tradition ancestrale, de rythmes transmis et répétés depuis la nuit des temps imprégnait son corps, sa voix, une authenticité fière et simple à la fois, le naturel des gestes, la justesse du chant, l’évidence.
La nouvelle de la disparition du grand maloyër touchait l’île dans sa chair plus que tout autre événement national ou international. Notez-le. La Réunion perd là de son âme.
In ti fy gro blan


Kozman pou gramoun

Dann viraz
Pran an montan
Koté karo kaz
Rant dann shomin blaké
Roul roul roul
In pé pli loin
Ou va trouv in piédboi
Lé la !
Lélé rasine sinbenoi
Rasine réyoné i fé sone malagasi
Dann kozman maloya

La di Lélé lé pi la
Alévoir alévoir
Dann shomin la
Akout akout byin :
Demin
2o désanb dann sinbenoi
solèy sra noir
Lélé, dann kabaré
Na koz langaz
Na di : Lélé
Monmon, di a nou sa, di a nou sa, di a nou sa ?
Monmon, na nome sa, malèr lèr, malèr lèr ?
Marmay ; di pa sa, di pa sa, di pa sa !
Gramoun la
Lé lé
La !

Barbara Robert


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Messages

  • Gramoun Lélé était un Homme formidable ! J’ai 21 ans et suis en métropole ; sa musique me permet de me sentir Réunionnaise avant tout. Elle est puissante et me touche au plus profond de mon coeur ! Je n’ai appris sa disparition que cette année et cela m’a fait beaucoup de peine ! Je continuerai à lui rendre hommage en diffusant sa musique, en parlant de lui et de ses actions. Je l’admirerai encore et toujours !
    Pensées à ses proches !
    Muriel, à qui son pays manque énormément !


Témoignages - 80e année


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