Françoise Vergès et la Journée nationale des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions — 2 —

Un bilan encourageant dans l’éducation, la recherche et la culture

6 mai 2011

Voici la suite du discours prononcé mardi par Françoise Vergès, présidente du Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, à la conférence de presse sur les 10 ans de la loi reconnaissant l’esclavage comme « crime contre l’humanité » qui s’est tenue au Ministère de l’Outre-mer à Paris.

« Je vais vous donner les grandes lignes du bilan.

• Dans l’Éducation nationale

Conformément au souci du législateur (article 2 de la loi 2001-434 du 21 mai 2001), l’enseignement de l’esclavage et de la traite négrière a été intégré dans les programmes d’enseignement, à ces deux niveaux de la scolarité obligatoire.

Dans le primaire : les enseignants ont pour obligation de mettre en évidence les principaux aspects de cette période ;

Au Collège : En classe de 6ème et de 5ème, traite et esclavage sont inscrits dans les programmes, soit en étudiant l’Afrique, soit en étudiant 1848, et à partir de la rentrée 2011, “Les traites négrières et l’esclavage” sont l’objet d’un thème obligatoire en classe de 4ème ;

Au lycée, en classes technologiques et professionnelles, ces sujets sont étudiés.

La Direction générale de l’enseignement scolaire a mis en place un groupe de travail et de réflexion, chargé de rassembler des ressources pédagogiques les plus mieux adaptées sur un site internet dédié. Le résultat de ce travail de recensement et de validation sera prochainement consultable sur le site éduscol (http://eduscol.education.fr/memoire-esclavage). Les données mises en ligne seront enrichies et actualisées au moins une fois par an.

À travers toute la France, des enseignants ont développé des expériences éducatives riches et prometteuses. Je veux citer celle remarquable de Gilles Gauvin qui fut membre du CPME. La richesse de ces expériences — à Marseille, à Bordeaux, à Paris, à Nantes — justifie qu’elles puissent être consultées et partagées sur un site commun. Elles constituent une archive sur des programmes vivants d’éducation citoyenne contre le racisme, pour la dignité, la liberté, l’égalité.

Le rapport d’enquête de l’Institut National de Recherche Pédagogique, fait à la demande du CPMHE et rendu en 2011, dresse un tableau très fouillé de l’état de l’enseignement sur ces thèmes et d’expériences éducatives.

• Dans la recherche

Le Centre International de Recherche sur les Esclavages, qui n’est pas le premier centre à étudier l’esclavage, mais le premier à se créer en réseau, présente un bilan très encourageant, en partant du principe du “chercheur-citoyen” :
• En se souciant de la transmission : il tiendra un colloque du 18 au 21 mai sur le thème “Comment enseigner l’esclavage ?”
• En développant les relations internationales :

- les travaux en langue française sont désormais référencés sur les sites anglophones et hispanophones

- les doctorants du CIRESC sont envoyés dans des universités étrangères, présentent leurs travaux dans des colloques internationaux,
• Dans le domaine de l’édition avec la création d’une collection chez Karthala
• En créant un site dont les informations sont automatiquement répercutées sur des sites internationaux

Dans la recherche, nous devons aussi signaler l’augmentation du nombre de thèses — plus de dix en cours actuellement — et dont les thèmes se diversifient.

Une nouvelle génération de chercheurs émerge, très prometteuse, plus libre, moins soumise au débat idéologique des années 1970. Traite et esclavage ne sont plus des sujets marginaux, bien au contraire.

Parmi ces jeunes chercheurs, Jean Moomou, lauréat du Prix de thèse 2010, aujourd’hui Maître de conférences à l’Université des Antilles et de la Guyane et qui, Madame la Ministre, m’a adressé un message à votre intention, et si vous le permettez, j’en donnerai lecture :

« Madame la Ministre
Pour des raisons indépendantes de ma volonté, je ne peux assister à la remise du Prix de thèse que m’a attribué le CPMHE. Je vous présente mes excuses sincères.
En recevant ce Prix de thèse, ma gratitude était d’autant plus profonde que je mesurais à quel point cette distinction dépassait mes attentes. Comment un homme encore jeune, riche de ses seuls doutes et d’une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans les retraites de l’amitié, n’aurait-il pas été affecté par cette attention ? “Beaucoup de générations se croyaient vouées à refaire le monde”, disait Jean-Paul Sartre. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Qui sait ? Elle consiste à empêcher que le monde se défasse et œuvrer pour que les cultures et les histoires particulières se pérennisent et ne tombent pas dans l’oubli.
L’honneur que je reçois aujourd’hui est à partager avec vous, mais aussi avec les autres descendants des marrons bushinengue de la Guyane et du Surinam, les habitants de la Guyane entière, toutes origines confondues, ainsi qu’avec la République et ses territoires. Nous adressons notre reconnaissance une fois encore à tous ceux et celles, de près comme de loin, qui m’ont soutenu. En recevant ce Prix, je ne peux m’empêcher de penser à Madame Cottias ainsi qu’à Monsieur Bernard Vincent pour leur soutien et leurs conseils.
Ce travail de recherche qui m’a valu cette distinction n’est qu’un début ; le début d’une longue enquête. Arthur Koestler disait de l’histoire dans son roman “Le zéro et l’infini” qu’elle est “un haussement d’épaule et d’éternité”. Le Prix du CPMHE ne fait que m’encourager davantage dans la recherche. »

Partout dans le monde, nous assistons à un renouvellement de la recherche sur cette histoire, et à sa suite, à une nouvelle prise de conscience pour une réactivation de l’engagement anti-esclavagiste.

• Dans la culture

Un inventaire fait sous l’impulsion du CPME auquel une centaine de musées sur les 1.200 "Musées de France" ont participé. Le bénéfice de cette enquête a été une meilleure visibilité du sujet dans le monde des musées, qui a favorisé un nouveau regard sur ces collections. Cet inventaire a donné lieu à une exposition virtuelle thématique pour le 10 mai 2006, donnant une publicité et une cohérence à ces fonds ;

Des créations de salles en 2007 à Nantes, où la traite, fondement de la richesse de la ville, est évoquée dans plus de 10 salles ; en 2009 à Bordeaux ;

Des projets de rénovations dont celle du Musée Schoelcher, avec une échéance en 2012 ;

Des expositions : Par exemple, en 2010, à La Rochelle, Etre noir en France ; à la Guadeloupe, Photographies de Philippe Monges, Lieux de mémoire, mémoire des lieux, sur les traces de l’esclavage ; en Martinique et à La Réunion, plusieurs expositions autour de l’esclavage.

Une action pédagogique dans les musées et les lieux de mémoire (Routes de l’abolition) : très active partout, tout au long de l’année scolaire, avec les différents niveaux scolaires. Collaboration avec les CRDP, les enseignants, création de dossiers pédagogiques, de dossiers téléchargeables, la réception de classes, des ateliers, des centres de documentation... L’intérêt des enseignants pour l’existence d’un lieu-ressource dans leur environnement est indéniable et souligne l’impact de leur création ;

Une action scientifique : des colloques ; la publication de guides, de catalogues d’expos, des collections mises en ligne…

La participation active au 10 mai de tous les musées concernés par l’histoire de l’esclavage et des grands musées parisiens : Louvre, Musée du quai Branly, musée Dapper...

Enfin, le ministre de la Culture et de la Communication, M. Mitterrand, a inscrit à son programme la numérisation des archives de la traite et de l’esclavage, un programme sur trois ans qui a démarré avec un colloque à La Rochelle les 26-29 avril dernier. »

(A suivre)


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