Inauguration de la fresque « Les Marrons ».

Un Boulevard transformé en monument historique-1

24 avril 2023, par Ary Yée-Chong-Tchi-Kan

Dimanche 23 avril 2023, la municipalité de Saint Denis a inauguré la fresque consacré au livre « Les Marrons », de Louis Timagène Houat, visible sur le boulevard sud. Dans son discours, la Maire Ericka Bareigts a soulevé divers aspects de cette réalisation exceptionnelle.

Elle a interrogé notre responsabilité devant les legs du passé et leurs résonances contemporaines ; elle a rendu hommage à l’artiste Stéphanie Lebon pour ses prouesses artistiques, réalisées dans des conditions difficiles. Elle a souligné le travail de Raoul Lucas qui a « débusqué  » cet ouvrage enfoui dans l’oubli durant 180 ans. Elle a remercié la présidente de Région d’avoir accepté de projeter le texte sur le boulevard. Enfin, à plusieurs reprises, elle a pris à témoin le public présent, sans lequel il n’y aurait pas eu consécration.

Nous publierons le discours d’Ericka Bareigts en 4 parties. Dans une 5e partie, nous allons vous révéler comment « Témoignages  » a consacré 66 éditions et 2 années, à la publication entière du livre « les Marrons ». (les intertitres sont de Témoignages).

Ary YEE-CHONG-TCHI-KAN

1) Un acte remarquable de l’auteur.

« Le soleil depuis longtemps avait quitté les bords de l’Océan des Indes, et la nuit, ordinairement si belle et si limpide, secouant ses ombres et sa fraîcheur, sous le ciel brûlant des tropiques, était nébuleuse et ne laissait poindre aucune étoile  ».

Ces mots sont ceux de Louis Timagène Houat, petit-fils d’esclave, né libre à Saint-Denis en 1809. Vous pouvez les lire juste ici, à l’entrée Est du Boulevard Sud ; c’est par ces mots que notre auteur dionysien choisit d’ouvrir son roman « Les Marrons », roman fondateur pour les Réunionnaises et les Réunionnais, puisqu’il s’agit du tout premier de l’histoire de l’île, publié à Paris en 1844, en pleine période esclavagiste, quatre ans avant l’abolition du 20 décembre 1848. Un roman qui, après avoir longtemps été oublié et ignoré, s’offre désormais sous vos yeux, ici même, étalé sur les 450m de pages du Boulevard Sud. Il y a, sur ce sujet qui est longtemps resté silencieux, beaucoup à dire…

Il y a à dire sur l’œuvre de Louis Timagène Houat et sur sa vie ; il y a à dire sur le silence qui a recouvert cette œuvre ; il y a à dire sur ce mur, sur ce que nous en avons fait, et sur ce que ce geste dit de nous. Trois sujets qui abordent trois dimensions distinctes – passé, présent et futur – et qui de fait, posent autant de questions : quel est notre rapport au passé, à nos héritages ? Que faisons-nous aujourd’hui, dans notre présent, de ces legs qui nous ont été confiés ? Enfin, pourquoi choisissons-nous d’adopter une posture de responsabilité vis-à-vis de ces legs, en engageant nos gestes dans l’avenir ?

Les premiers mots qui ouvrent le roman de Louis Timagène Houat sont sombres. Vous pourrez les relire et vous en rendre compte par vous-même : le roman s’ouvre sur la fin du jour, sur une nuit noire dans laquelle on ne voit ni ne discerne rien. Une nuit « nébuleuse  » dans laquelle ne brille « aucune étoile »… Et pour cause ! Pour les quatre individus qui profitent de ces ténèbres pour fuir leur condition d’esclavisé, il n’y a pas beaucoup d’espoir… Ils sont retenus de force dans un camp au Bas de La Rivière Saint-Denis, par des propriétaires qui se servent d’eux comme ils se servent d’outils. Un homme, dans ce contexte, est un objet, un « bien meuble » disent les textes, un outil.

Autrement dit, il n’y a pas de différence entre une pioche et eux. Or, les quatre hommes qui s’évadent dans la nuit décrite par Louis Timagène Houat refusent cette condition : ils décident de fuir vers les hauts de l’île, et entrent ainsi en marronage. C’est un acte fort, puissant, qui relève d’une décision vitale : se laisser mourir en servitude ou vivre libre, mais vivre libre traqué, par les chiens et les chasseurs de la colonie. Ils font ce choix, et ils l’assument ! Ils font ce choix, et ils l’assument, comme l’auteur même du roman assume un choix vital : publier à Paris, en 1844, un roman abolitionniste qui fait l’apologie du marronage, c’est aussi prendre un risque pour sa vie ! C’est aussi faire acte de résistance, c’est aussi entrer en marronage.

Alors, vous qui avez choisi de consacrer votre dimanche après-midi à la découverte de ce monument littéraire, lorsque vous irez le parcourir, lorsque vous le lirez, pesez ses mots ! Pesez soigneusement ces mots qui sont écrits là, éprouvez leur poids, leur densité ! Parce que, écrire cela dans la colonie même, en plein système esclavagiste, aurait pu coûter la vie à Louis Timagène Houat. Ce n’est en effet pas anodin, étant soit même un libre de couleur (c’est-à-dire n’ayant pas les mêmes droits qu’un citoyen lambda) de choisir d’écrire sur ce sujet. C’est un acte remarquable ! Et cet acte remarquable méritait un hommage qui le soit tout autant.
(Suite dans notre édition de demain)


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