Centenaire de Jean Vigo

Un cinéaste de la révolte et de la tendresse

4 mai 2005

Pour que le centenaire de la naissance de Jean Vigo laisse une petite trace dans notre journal préféré, j’évoquerai brièvement ici la vie et l’œuvre de ce cinéaste qui, à la charnière des années 20 et 30, a pu, en quatre films, ouvrir au cinéma français une voie nouvelle et audacieuse. Celle d’un cinéma détenteur d’une révolte politique et sociale, celle d’un cinéma subversif, au point d’en effrayer les tenants de tous les pouvoirs en place. Mort en pleine jeunesse à 29 ans, Jean Vigo a traversé l’histoire du septième art tel un météore exceptionnel, qui a continué à essaimer bien après sa disparition.

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Né le 26 avril 1905, Jean Vigo aura connu une jeunesse mouvementée. Il est le fils d’un couple de militants anarchistes. Le père, Miguel Almereyda, appelle à l’insurrection des soldats, connaît la prison, fonde plusieurs journaux, dont “Le Bonnet Rouge”, hebdomadaire satirique. Son pacifisme l’entraîne dans une lutte à mort contre "L’Action française", organe d’extrême droite de Léon Daudet, qui l’accuse de trahison. Accusé d’être un espion à la solde de l’Allemagne, il est arrêté en août 1917, sous les yeux de son fils. Deux semaines plus tard, il est retrouvé mort étranglé dans sa cellule. Thèse officielle : suicide. Jean Vigo consacrera une partie de sa vie à se battre pour la réhabilitation de son père, qu’il admirait.
Le futur cinéaste, étiqueté "fils de traître", doit cacher sa véritable identité. Il passe huit années - de la douzième à la vingtième - ballotté d’internat en internat (à Nîmes, Millau, Chartres), sous des noms d’emprunt. C’est cette adolescence faite de solitude, de haine de l’autorité, de rêves de révolte et de justice, qui nourrira par la suite toute son œuvre.
Ses études en Sorbonne sont interrompues par les premières atteintes de la tuberculose. Au sanatorium de Font-Romeu, il lit des ouvrages sur la théorie et la pratique du cinéma. Sa voie est alors tracée. C’est également à Font-Romeu qu’il rencontre l’amour de sa vie, Elizabeth Lozinska, dite Lydu. En 1928, il part pour Nice, se marie avec Lydu, et est engagé comme aide-opérateur aux studios de la Victorine.
Dès qu’il obtient sa première caméra, en 1929, il tourne un documentaire sur la ville de Nice : “À propos de Nice”. Et dès ce coup d’essai, c’est le choc. Faux documentaire et vrai pamphlet politique, le film vient étayer son texte programme “Vers un cinéma social”, où il écrit : "Un appareil de prise de vues n’est tout de même pas une machine pneumatique à faire le vide dans les têtes". La critique est déroutée, selon les chroniqueurs. C’est la première, mais ce ne sera pas la dernière fois que Jean Vigo va déranger l’ordre établi.

“Zéro de conduite”

En 1931, il réalise un documentaire sportif sur le champion de natation, Jean Taris. Mais son rêve de création personnelle va prendre forme durant l’hiver 1932-33, avec cette histoire d’une révolte de collégiens dans un pensionnat, qui s’appellera “Zéro de conduite”. Il choisit ses jeunes acteurs dans les arrondissements populaires de Paris, puis il tourne rapidement, porté par sa propre rébellion, pour présenter dès avril 1933 un film qui reçoit un accueil polémique. S’y affrontent ceux qui se réjouissent de la charge contre les autorités - qu’elles soient éducatives, politiques, militaires ou religieuses -, et ceux pour qui le film est un scandale, "attentatoire au prestige du corps enseignant français" et minant les piliers de la société. “Zéro de conduite” reçoit même un zéro pointé de la part de la censure officielle, puisqu’il se retrouve totalement interdit sur les écrans français, et qu’il ne sera autorisé qu’à partir de 1945 !
Un an plus tard, il réalise son premier long-métrage, qui sera sa dernière œuvre. Le producteur, le même que pour “Zéro de conduite”, échaudé par la mésaventure qui a englouti une bonne partie de son capital, lui impose un scénario neutre. "C’est un scénario pour patronage", dira Jean Vigo, qui accepte cependant le contour général de l’histoire. Une histoire dont le cadre est celui, mi-réaliste mi-onirique, des canaux Saint-Martin, Saint-Denis et de l’Ourcq. La Seine et l’Oise aussi, qui voient défiler au fil de l’eau la péniche “l’Atalante”, avec à son bord toutes les émotions de l’amour, de la sensualité, de la jalousie, mais aussi dans son sillage les pièges et le chômage de la ville, Paris. À partir d’un sujet de commande, Jean Vigo va réaliser un chef-d’œuvre, “L’Atalante”, à propos duquel François Truffaut écrira en 1970 : "“L’Atalante”, qu’il me sera toujours impossible d’oublier lorsque je suis amené à répondre aux questionnaires du type : Quels sont selon vous les dix meilleurs films du monde ?". Michel Simon a construit un personnage - le père Jules, vieux batelier original - effectivement inoubliable, et Dita Parlo, la diaphane, "en robe de mariée sur la péniche dans la brume", a laissé un souvenir impérissable à des générations de jeunes cinéphiles.

Vers la fin de sa vie...

Mais la maladie ne lâche pas le cinéaste, qui réalise “L’Atalante” si affaibli qu’il en tournera certaines séquences allongé sur un lit de camp. Le film sort en septembre 1934, mais avec de multiples coupures imposées par les distributeurs, et sous un autre titre que le titre d’origine (“Le chaland qui passe”). Il tient l’affiche deux semaines seulement ; l’accueil est mitigé. Une rude épreuve pour Jean Vigo, en proie aux fièvres et épuisé, qui s’éteint le 5 octobre 1934, chez lui à Paris. Il repose auprès de son père au cimetière de Bagneux (dans la banlieue Sud de Paris). Sa femme Lydu les rejoindra en avril 1939.
“L’Atalante”, après bien des vicissitudes, ne retrouvera son architecture et son contenu originels que des décennies plus tard, en 1990, grâce à un travail de recherche acharné de Henri Langlois, responsable de la Cinémathèque Française, et des anciens amis de Jean Vigo. C’est la résurrection de “L’Atalante”, au plus près de l’œuvre voulue par son auteur.
1929-1934 : cinq années, quatre films. En ce court laps de temps, situé au début du cinéma parlant, Jean Vigo a conquis "une place unique dans la conscience que le septième art veut avoir de lui-même", comme l’écrivait Gilles Jacob en 1951, qui ajoutait : "C’est la force de Jean Vigo de tenir tout entier dans le creux d’une soirée". Une soirée de cent soixante minutes seulement. Mais ces cent soixante minutes ont suffi pour faire de Jean Vigo l’auteur mythique d’une œuvre brutale et sensuelle, poétique et insolente, gorgée de révolte et de tendresse.

Alain Dreneau

NB : On peut trouver l’Intégrale DVD de Jean Vigo à la médiathèque du Port. Le coffret comporte deux DVD et un livret, très bien fait, qui m’a aidé à rédiger l’hommage ci-dessus. Profitez de cette aubaine. Et s’il est sorti... réservez-le !


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