Quelques enseignements de Sakifo

Un festival pas comme les autres

10 août 2005

Trois jours de musiques de La Réunion et du monde, plus de 20.000 spectateurs payants, une communion très forte entre les foules réunionnaises et les artistes qui n’ont pas caché leurs opinions progressistes : bien des enseignements sont à tirer du dernier Festival Sakifo, dont on annonce d’ores et déjà la troisième édition l’an prochain.

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Après le succès de la première édition de Sakifo l’an dernier avec sa programmation de grandes stars de la musique du monde comme Corneille ou Johnny Clegg, le spectateur moyen avait de quoi être déçu en prenant connaissance du programme 2005 : pas de grande vedette annoncée pour le mélomane peu connaisseur. Or la surprise fut de taille.
Pas pour les personnes qui connaissent des artistes comme l’Ivoirien Tiken Jah Fakoly, les rockers Paul Personne et Dionysos ou encore les Maghrébins de Gnawa Diffusion. Elles furent heureuses de voir et d’entendre leurs musiciens et chanteurs préférés.
Par contre, celles qui connaissaient peu les différents participants à cette seconde édition de Sakifo les ont découverts avec un plaisir non dissimulé. Elles ont été enchantées par la qualité professionnelle de ces artistes et par leurs talents. "Ce fut génial de bout en bout, une musique extraordinaire et une ambiance merveilleuse", lance une spectatrice peu habituée à ce genre de manifestation mais qui avait été encouragée par une amie à prendre un abonnement pour tous les concerts payants. Manifestement, tout le monde a trouvé son compte et le choix des organisateurs pour leur programmation fut le bon. Comme quoi la réussite ne passe pas forcément par la venue des stars les plus médiatisées.

Artistes engagés

Seconde remarque : la dominante de ces spectacles durant ces trois jours, c’est le fait qu’ils ont vu la participation d’un grand nombre d’artistes engagés et qui ne le cachaient pas. Habituellement, dans ce genre de festival, on trouve pas mal de musique commerciale ou sirupeuse. Là, ce ne fut pas du tout le cas.
La plupart des participants sont des artistes que l’on entend peu à la radio et que l’on voit peu à la télévision car ils ne sont pas porteurs des idées dominantes. Et malgré la censure dont ils sont victimes en raison de leurs opinions politiques, ils remplissent les salles de spectacles, vendent beaucoup de disques et sont appréciés par un grand nombre de personnes à la fois pour la qualité de leur musique et pour leurs idées.
Tous ces artistes qui dénoncent les injustices et les oppressions dont souffre la majorité des humains ont dit haut et fort ce qu’ils pensent sur les scènes de Sakifo. Et la communion entre eux et les spectateurs est encourageante pour l’avenir. Elle est révélatrice d’une prise de conscience des grands problèmes du monde dans l’opinion réunionnaise et d’une aspiration à ce que notre société change.

Métissages

Une dernière remarque s’impose, à notre avis : une des marques essentielles de ce festival fut la profondeur et l’intensité des mélanges musicaux. Et ceci n’est pas anodin.
En effet, durant trois jours se sont rapprochées et métissées sur une scène réunionnaise des musiques dont les berceaux sont éloignés par des milliers de kilomètres. Des milliers de Réunionnais de tous âges et de toutes conditions se sont retrouvés dans ces mélanges de reggae et de rap, de rock et de chaabi, la musique traditionnelle maghrébine, de jazz et de maloya. Les musiques réunionnaises et indocéaniques se sont unies aux musiques des autres continents et le public réunionnais a réellement communié sur ces unions en chantant et en dansant sur ces musiques.
Le fait que des milliers de Réunionnais se soient appropriés ces métissages est porteur d’espoir pour l’avenir de notre île.

Deux mondes

Certes, tout ne fut pas parfait. Les problèmes n’ont pas manqué et les organisateurs comme leurs partenaires devront prendre en compte les différentes critiques. Depuis les problèmes d’embouteillage et d’encombrements par les voitures jusqu’à l’absence de robinets d’eau pour étancher les soifs des festivaliers en passant par quelques cafouillages dans l’organisation et par le prix des billets d’entrée aux concerts.
Sur ce dernier point, il est évident qu’un certain nombre de personnes intéressées par ces musiques n’ont pas pu assister aux spectacles payants en raison de leur coût. D’où une source de frustrations.
Il est vrai aussi que les contraintes économiques liées à l’organisation de ce type de manifestation expliquent le prix des billets pour certains concerts. Mais il existe sans doute des moyens de réduire ces coûts. Trouver ces solutions et les appliquer pour que le plus grand nombre ait accès à ces spectacles achèverait de donner au Sakifo sa dimension de festival pas comme les autres.

L. B.


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