Nout mémwar

’Une chasse aux nègres-marrons’, de Théodore Pavie — 17 —

29 juin 2012

Voici le dix-septième extrait d’un texte de Théodore Pavie, un écrivain, voyageur et botaniste angevin, venu à La Réunion entre 1840 et 1845. Ce texte, que nous a transmis notre ami Jean-Claude Legros, est intitulé : ’Une chasse aux nègres-marrons’ et il est paru la première fois dans ’La Revue des Deux mondes’ en avril 1845. ’Témoignages’ publie chaque vendredi dans cette chronique ’Nout mémwar’ un extrait de cette œuvre, qui retrace une partie de l’histoire de Quinola, l’un de nos ancêtres chefs marrons. Cela, à partir d’une visite ’touristique’ d’un docteur et ses amis dans les Hauts de l’île, avec Maurice, un ’guide créole’. Celui-ci leur raconte son aventure sur « le plateau des Palmistes, c’est-à-dire le camp des noirs marrons », où il organise une chasse contre Quinola et d’autres esclaves rebelles, notamment avec les connotations racistes du système esclavagiste…

Nous avions cerné un de ces bois où les fugitifs venaient de se rallier ; ils nous y glissèrent entre les mains, descendirent un coteau à pic, au fond duquel coule une rivière, et, sans savoir où irait aboutir cette battue, nous les suivîmes au pas de charge. À mesure que nous avancions, la colère nous donnait des forces, et moins nous avions de chances d’arrêter les déserteurs, plus il devenait probable que nous finirions par en tuer quelques-uns à coups de fusil.

Le Malais qui avait donné l’alarme au camp de la plaine courait surtout grand risque de recevoir une balle. Dans l’île entière, on le redoutait à cause de la férocité assez naturelle à sa race et de ses méfaits particuliers : convaincu de meurtre, il s’était enfui de la prison et se conduisait en vrai bandit qui n’a plus rien à ménager.

Amené jeune dans la colonie par des négriers de contrebande qu’on soupçonnait de piraterie, il y jetait le désordre et la confusion par ses vengeances hardies. Avec de pareils esclaves, on ne pourrait jamais vivre en sûreté. Dieu merci ! ils sont peu nombreux. La couleur du Malais, moins foncée que celle de ses compagnons, le trahissait même dans l’ombre qui cachait les autres, mais l’incroyable agilité de ses mouvements, la rapidité de sa course, le mettaient à l’abri des dangers auxquels il s’exposait comme à plaisir.

Dans cette retraite précipitée, les noirs paraissaient se réunir sur un seul point, pour franchir le torrent avant que nous pussions leur barrer le chemin. Un vieil arbre jeté en travers sur le ravin leur servait de pont ; mais comme cet arbre était vermoulu, il fallait qu’ils passassent l’un après l’autre, sous peine de le rompre. Sur les deux rives, de hautes fougères tapissaient le sol ; l’humidité des eaux, qui forment des cascades au fond du précipice, entretient presque jusqu’au sommet de l’escarpement une végétation vigoureuse.

Au milieu de ces masses de bois, les nègres couraient, disparaissaient à nos yeux, et nous avions bien du mal à nous guider vers un point qu’il n’était pas toujours possible de découvrir.

Arrivé le premier sur la rive opposée, le Malais, au lieu de continuer sa course, sembla attendre ses compagnons ; ceux-ci filaient lestement, empressés de se jeter dans les halliers où ils espéraient se disséminer afin de se soustraire à nos recherches, et avoir ainsi le temps de gagner, par-delà les montagnes voisines, d’autres camps inaccessibles.

À mesure que l’un d’eux posait le pied sur l’autre bord du ravin, on eût dit qu’il retrouvait une vigueur nouvelle ; tous ces coteaux abrupts, sauvages, couverts de broussailles au-dessus desquelles de gros arbres dressent leurs branches à moitié mortes, représentaient pour la bande en déroute le vrai pays de l’indépendance vagabonde. Une fois là, les marrons se sentaient chez eux.

(à suivre)


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