Nout mémwar

’Une chasse aux nègres-marrons’, de Théodore Pavie — 25 —

24 août 2012

Voici le vingt-cinquième extrait d’un texte de Théodore Pavie, un écrivain, voyageur et botaniste angevin, venu à La Réunion entre 1840 et 1845. Ce texte, que nous a transmis notre ami Jean-Claude Legros, est intitulé : ’Une chasse aux nègres-marrons’ et il est paru la première fois dans ’La Revue des Deux mondes’ en avril 1845. ’Témoignages’ publie chaque vendredi dans cette chronique ’Nout mémwar’ un extrait de cette œuvre, qui retrace une partie de l’histoire de Quinola, l’un de nos ancêtres chefs marrons. Cela, à partir d’une visite ’touristique’ d’un docteur et ses amis dans les Hauts de l’île, avec Maurice, un ’guide créole’. Celui-ci leur raconte son aventure sur « le plateau des Palmistes, c’est-à-dire le camp des noirs marrons », où il organise une chasse contre Quinola et d’autres esclaves rebelles. Avec deux jeunes, dont César, Quinola creuse une pirogue dans un grand arbre afin de retourner à leur pays natal pour échapper à la mort…

Lorsque l’esquif fut prêt, il s’agit de le transporter jusqu’à l’endroit où la rivière commence à être navigable, et cela la nuit, par des sentiers boueux, par des fondrières, à travers les halliers.
Les deux jeunes noirs faisaient là de rudes corvées ; mais quand on travaille pour soi, on ne se plaint jamais : le nègre, si paresseux de sa nature, qui s’endort sous les girofliers dont il cueille le fruit, au milieu des cannes qu’il coupe, ne plaint pas sa peine quand il a dit adieu au maître et au commandeur.
Pas à pas, à petites journées, les Malgaches descendirent le long du torrent, traînant leur pirogue à terre, la portant sur leurs épaules, la renversant au milieu des fougères pour s’en faire un abri ; ils guidaient par la main le vieux sorcier, qui se voyait déjà en route pour Madagascar, et la tête lui tournait. Il chantait comme un enfant, si bien que les deux frères lui disaient quelquefois : « Pas si haut, père, pas si haut ; nous approchons d’un village, les chiens jappent ! ».
Enfin César lança son bateau sur la rivière en tremblant ; il l’essaya, le fit aller et venir avec l’aviron ; l’eau portait bien la pirogue de bois vert. Quinola s’assit à l’une des extrémités, notre ancien esclave prit place à la proue et rama tout doucement ; l’autre noir les suivait en marchant à terre, et il regardait avec une grande joie passer derrière les joncs, comme une ombre, ce petit bateau qui, à la rigueur, eût été bon pour voguer sur ces paisibles ruisseaux. Ennuyé lui-même de courir sur le bord, il se jeta à l’eau, et accompagna, en nageant à grandes brasses, le jeune Malgache qui maniait vigoureusement ses avirons, le vieillard à tête blanche qui regardait le ciel sans rien dire.
Le courant, assez rapide, fit arriver bientôt la pirogue à la barre de cailloux que la mer, avec son reflux, pousse vers l’entrée de la rivière. Il était environ minuit ; les fugitifs avaient évité un premier danger en glissant avec adresse au milieu des roches qui encombrent çà et là le lit du torrent. Les nuages, enroulés autour des mornes comme une fumée, laissaient à découvert une partie du ciel ; il y avait assez de clarté sur les eaux pour qu’un rameur pût se guider, et aussi assez d’ombre à terre pour qu’il s’y cachât quelque piège. Si un pêcheur s’était trouvé là, jetant ses lignes par cette nuit orageuse ! Déjà la mer, en murmurant sur la plage, disait aux Malgaches qu’ils allaient libres.

(à suivre)


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