Nout mémwar

’Une chasse aux nègres-marrons’, de Théodore Pavie — 5 —

6 avril 2012

Voici le cinquième extrait d’un texte de Théodore Pavie, un écrivain, voyageur et botaniste angevin, venu à La Réunion entre 1840 et 1845. Ce texte, que nous a transmis notre ami Jean-Claude Legros, est intitulé : ’Une chasse aux nègres-marrons’ et il est paru la première fois dans ’La Revue des Deux mondes’ en avril 1845. ’Témoignages’ publie chaque vendredi dans cette chronique ’Nout mémwar’ un extrait de cette œuvre, qui retrace une partie de l’histoire de Quinola, l’un de nos ancêtres chefs marrons. Cela, à partir d’une visite ’touristique’ d’un docteur et ses amis dans les Hauts de l’île, avec Maurice, un ’guide créole’, qui expose aux visiteurs sa vision particulière de l’histoire de l’esclavage dans le pays…

Déjà le roi le plus puissant de Madagascar, Radama, ne voulait plus qu’on exportât des Malgaches ; le gouverneur anglais de l’île de France lui promettait par compensation une somme de quarante mille piastres par an, oui, deux cent mille livres fortes, quatre cent mille livres, monnaie de l’île !
Il venait encore des Yolofs, des Yambanes, des Makondés, beaux noirs de pioche, un peu difficiles à tenir ; des Cafres, qui aiment mieux garder les vaches que labourer la terre, et préfèrent de beaucoup l’eau-de-vie de canne à l’eau des torrents ; des Mozambiques, hommes bêtes de somme, solides rameurs à face de singe. Comme chacune de ces races avait une aptitude différente, on trouvait, en choisissant bien, de quoi répondre à tous les besoins d’une habitation.
Les moins dépaysés de tous ceux que la traite jetait sur notre côte, ce devaient être les Malgaches ; ils retrouvaient ici les bœufs de leurs plaines et une grande quantité d’arbres de leurs forêts. Eh bien ! on avait plus de peine encore à les apprivoiser que les autres : il est vrai qu’on ne perdait pas beaucoup de temps à leur faire la leçon ; mais, voyez-vous, messieurs, le nègre est né paresseux, et l’homme qui a horreur du travail…
— S’imposera toute espèce de privations plutôt que de surmonter son penchant, continuai-je en regardant le créole.
— Oui, monsieur, mon père me l’a répété bien souvent quand nous allions tendre nos lignes à l’embouchure des rivières. Tenez, c’est lui qui a travaillé cette calebasse que vous voyez : vous n’en trouveriez pas de plus belle dans toute l’île ; il lui a fallu plus d’un mois pour l’enjoliver comme elle est là. La première fois qu’il s’en servit lui-même (il y a bien longtemps, et je m’en souviens comme si c’était hier), nous étions à la chasse aux chèvres du côté des Salazes. À force de prières, j’avais obtenu la permission d’accompagner les chasseurs. La course fut bien longue, et au retour j’étais éreinté ; mais je fis bonne contenance jusqu’au bout, et mon père me laissa entrer au village avec sa carabine sur mon épaule. Or, comme nous descendions de la montagne, nous aperçûmes à l’horizon, bien loin au large, un petit point blanc.
— Vois-tu là-bas ? me dit mon père.
— Oui, répondis-je ; je vois un paille-en-queue ou une mouette qui devrait bien me prêter ses ailes, car je commence à me sentir la plante du pied un peu pesante.
— Mon père ne répondit rien ; comme le soleil miroitait sur les vagues, il abaissa son grand chapeau sur son front, s’arrêta court, et se mit à considérer ce point blanc, qui semblait glisser entre le ciel et l’eau. Quant à moi, je me laissai tomber sur l’herbe.
— Je parierais que c’est la Diane, s’écria mon père après un moment de silence. Elle aura vu un croiseur à la hauteur de Saint-Denis, et elle fait fausse route pour le dépister ; il n’y a qu’une goélette qui puisse ainsi serrer le vent et s’élever au sud de l’île. Si la brise ne la gêne pas, nous la verrons ce soir, mouillée à l’anse du Piton.

(à suivre)


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