Université : Langues de l’Océan Indien et Interculturalités

Une école de la conciliation et du dialogue

18 avril 2007

Comment La Réunion pourrait-elle prendre sa place dans son environnement géopolitique et culturel sans promouvoir l’apprentissage des langues de l’Océan Indien et sans une pratique approfondie de l’échange avec les cultures de nos voisins ?
Le Département “Français Langue Étrangère, langue seconde” (FLE) de l’Université propose un module “Langues et Interculturalités” qui accueille cette année en Licence un groupe d’étudiants botswanais... entre autres. Ils ont suivi leur dernier cours vendredi dernier, dans un intense moment de solidarité.

La chorale des étudiants botswanais.
(photo PD)

Œuvrer à un véritable co-développement avec les pays qui nous entourent - que ce soit les îles des Mascareignes ou les pays « du deuxième et du troisième cercle » comme Paul Vergès les a appelés - suppose une pratique d’échanges culturels très soutenue et bien orientée.
Les échanges économiques eux-mêmes n’ont réellement de chance de s’inscrire dans la durée que s’ils reposent sur des échanges humains réguliers qui, eux-mêmes, requièrent une connaissance mutuelle entre les divers peuples de la région, comme l’ont souligné récemment des chefs d’entreprises réunionnais lors d’une rencontre à la CCIR.

Au département universitaire “Français Langue Étrangère, langue seconde” que dirige Alain Coïaniz, Vololona Hajasoa Picard enseigne en Licence3 à des étudiants réunionnais ou étrangers qui projettent d’enseigner la langue dans les pays où le français est langue étrangère et où il peut être parfois en réelle progression. C’est le cas au Botswana, pays du Sud de l’Afrique de plus de 1,8 million d’habitants, dont les langues officielles sont le setswana (langue bantoue) et l’anglais. Le cours de langues, donné au campus du Tampon, repose sur une connaissance partagée des littératures et des pratiques culturelles, au sens large, des étudiants.
Le groupe de Licence a accueilli cette année 10 étudiants botswanais ; plutôt anglophones, ils quitteront La Réunion avec une bonne maîtrise du français et quelques notions de créole et de malgache, cette dernière étant la langue d’origine de leur professeur. Avec eux : des étudiant(e)s et des enseignant(e)s de La Réunion, de l’Hexagone ou des Antilles dont le parcours, toujours très singulier, a en commun avec les autres une curiosité envers l’interculturalité, “valeur d’usage” et “valeur d’échange”.

La séance a commencé par la lecture d’une légende malgache (tsimihety, langue régionale du Nord-Est de Madagascar), “Fany & Ndronga”, paru dans l’île il y a 13 ans, en édition trilingue* avec une version créole de la conteuse Any Grondin et une version française. Any Grondin l’a tellement racontée depuis que cette histoire tsimihety est devenue un “conte créole” et Fany (chauve-souris, en malgache), aussi familière que nos molosses des roches volcaniques. Manapany, au Sud de La Réunion, signifie à l’origine, c’est-à-dire en malgache : « où il y a des chauve-souris » (manána, fany).

Puis, le groupe a écouté une intervention de Gwenaël Ponnau, professeur de littérature comparée à l’Université de La Réunion, invité à faire un exposé sur quelques contes de l’Est africain et “Les structures anthropologiques de l’imaginaire”. « La littérature comparée - a-t-il dit - consiste à travailler sur les limites, les échanges, les traductions » et, parce que la littérature est « fille de la mémoire orale, des contes et des mythes », le professeur a d’abord évoqué des difficultés spécifiques du passage de l’oral à l’écrit, avant de raconter un conte de l’Est africain, attesté en divers pays : celui de la jeune fille indocile mariée à un monstre.
L’autre invitée de ce cours conçu comme un feu d’artifice était l’anthropologue Laurence Pourchez, venue avec quelques-uns de ses films tournés à travers le monde, et notamment à La Réunion. Sa présentation de l’anthropologie s’est appuyée sur une de ses premières recherches : le “philtre d’amour” comme moyen de transgresser des règles sociales trop rigides, telles celles qui prévalent par exemple dans les mariages arrangés. Le recours à une “potion magique” « permettait aux yeux de la société de légitimer des mariages “hors normes”, transgressant les règles culturelles », a dit l’anthropologue, qui a trouvé sur ce thème des contes correspondant à différentes aires géographiques, avec chaque fois des “recettes” différentes : malgaches, indiennes, africaines ou réunionnaises. Elle était aussi venue avec une série de courts films, tournés dans 11 contextes culturels différents. Intitulé “Des soins aux rites”, le film projeté était celui tourné au Sénégal, montrant les soins prodigués aux nourrissons, de l’hygiène aux massages et à l’éveil de la motricité. Ces films déclenchent souvent des débats sur les différences culturelles (approches et perception) concernant l’éducation des très jeunes enfants.

Son film sur le serviss kabaré (service malgache, aux ancêtres) a permis des échanges sur le phénomène de créolisation et ce qui change dans le passage d’une culture à une autre. Le service a été filmé à Sainte-Suzanne, en 2000, chez Mme Sautron, et le montage de Laurence Pourchez en restitue les trois phases (appel des esprits, sacrifices d’animaux, repas servi aux ancêtres), sans commentaire en voix off « pour ne pas donner d’interprétation sur-imposée ». Dans l’espace aménagé par Mme Sautron pour honorer les morts, l’ancestralité est orientée vers l’Ouest, comme elle l’est généralement à La Réunion (qui regarde vers Madagascar), alors que dans la Grande Ile, elle regarde vers l’Est et vers ses origines asiatiques - a fait observer Vololona H. Picard qui, après le film, a évoqué l’interculturalité comme une « conciliation » et le résultat d’un dialogue. Elle a souhaité que celui qui s’est instauré tout au long de cette année entre les membres du groupe permette à chacun de « rentrer chez soi comme le porteur de canne à sucre : plus chargé de richesse et de douceur qu’à son arrivée ».

Dans le groupe, le dialogue pour ce dernier cours s’est construit sur la notion d’échange et de ce que chacun avait retiré de ces quelques mois d’interculturalité “conscientisée”.
Pusetso, Lebo, Rhoda, Sethata, Lee, Mogorosi, Khumo, Didi, Magdeleine et Lydia sont les 10 étudiants de Gaborone inscrits en Licence3, dans un partenariat entre l’Université et le CIEP (Centre International d’Études Pédagogiques). Ils se sont intéressés à des « similitudes » entre ce qu’ils connaissent et ce qu’ils ont trouvé chez nous ; « aucune différence n’est une barrière », a dit Khumo, qui s’est aussi mise au créole. Plusieurs ont dit avoir « ouvert les yeux » au cours de ce séjour, sur leur propre identité africaine, à partir de ce qu’ils découvraient ici. « Ça m’a donné une ouverture d’esprit ; avant, je percevais certaines pratiques comme “bizarres” ou “étranges”, et je sais maintenant que ce sont des préjugés », a estimé Lebo.
Sethata s’est présenté comme « issu d’une génération qui perd sa culture, son histoire » et sensibilisé à des problèmes africains, comme les guerres inter-ethniques « qui pourraient être résolues par le dialogue » ; Lee aussi a découvert son « identité africaine » à partir des échanges avec le groupe... et La Réunion, où il envisagerait bien de séjourner plus longtemps. La plupart a pris confiance en soi et en sa capacité à enseigner le français comme langue étrangère dans leur pays.
Tous ont été très touchés de l’accueil qu’ils ont reçu ici. « Vous nous avez appris à nous accepter tels que nous sommes », a dit Lydia à l’ensemble du groupe.

P. David

* “Fany sanm Ndronga”, les deux mondes, 1994. Sur les contes africains, voir par exemple, de Jacques Chevrier, “Essai sur les contes et récits d’Afrique Noire”.


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