L’esclavage dans le programme de l’école primaire

Une modification subtile qui appelle à la vigilance

25 octobre 2007, par Edith Poulbassia

A La Réunion, comme dans les autres DOM, l’enseignement met plus en avant la mémoire de l’esclavage, de la traite négrière et des abolitions. Pour la Métropole, ce sont les programmes de 2002 qui accordent une place explicite à la question de l’esclavage dans les écoles primaires, à partir du CM2. Les programmes de 2007 ne suppriment pas l’esclavage, mais le terme à disparu de la liste des « points forts ».

L’esclavage, c’est fini, passons à autre chose. Cette réaction, on l’entend encore à chaque célébration du 20 décembre, même si la population a globalement pris conscience de la symbolique de cette date. La semaine dernière, cette même réaction a eu l’occasion de s’exprimer tout bas, ou lors de conversations, en entendant dire que le terme “esclavage” avait disparu des points forts inscrits dans le programme de l’école primaire. On ne peut s’empêcher d’être surpris d’une telle annonce. Comment est-ce possible, en effet, après l’adoption d’une date nationale de commémoration (le 10 mai) et l’effort de l’Education nationale pour intégrer cette partie de l’Histoire dans les programmes scolaires, même si des insuffisances subsistes ? D’un côté, le gouvernement impose la lecture de la lettre de Guy Môquet dans les lycées, de l’autre, il prend ses ciseaux pour redécouper le programme d’Histoire de l’école primaire ?
Bref, tout ceci semble bien incohérent. Toujours est-il qu’il n’y a pas si longtemps, le Président de la République affirmait qu’il ne servait à rien de ressasser le passé, surtout la période de la colonisation et l’esclavage, et déclarait en pleine visite au Sénégal que la colonisation n’avait pas été aussi négative qu’on le pense. Un discours qui a certainement fait plaisir à l’extrême droite, qui considère, pour ce qui est de l’éducation, que « la politisation des manuels scolaires ou des enseignements est également un souci, l’Histoire de France étant trop souvent réduite, par exemple, à des épisodes “honteux” comme l’esclavage, la collaboration ou la torture en Algérie », et que « les heures de cours sont désormais prétextes à toutes sortes d’opérations de sensibilisation (ex : Sécurité routière, secourisme, etc...), parfois tendancieuses (ex : Journée contre le racisme, initiation à l’Europe) ».

Les grandes orientations demeurent

Mais, examinée de plus près, la suppression de l’esclavage au sein des points forts du programme de primaire ne signifie pas que cette période de l’Histoire a été évacuée de l’enseignement du premier degré. La manœuvre est plus subtile. C’est François Durpaire, professeur d’Histoire à l’Université de Cergy Pontoise et Président de l’Institut des diasporas noires francophones, qui a tiré la sonnette d’alarme la semaine dernière. Il expliquait qu’un arrêté du 4 avril avait supprimé l’esclavage et la Shoah des points forts de l’enseignement d’Histoire en primaire, et que la Shoah avait pu retrouver sa place dans cette liste en septembre, car des voix politiques ont su se faire entendre, ce qui n’a pas été le cas pour l’esclavage.
Y a-t-il donc lieu de s’alarmer ? La circulaire d’avril 2007 reprend en résumé les programmes de l’année 2002, et insiste sur les grandes orientations de ce qu’on appelle le « socle commun ». Pour l’Histoire, la 4ème partie à aborder concerne “Le début des temps modernes à la fin de l’époque napoléonienne (1492-1815)”. L’esclavage y est évoqué en citant la « traite des Noirs ». Cette période de trois siècles, riche de multiples événements, ouvre véritablement le monde moderne, ainsi qualifié par opposition à une époque contemporaine plus proche de nous.
L’ensemble de la planète est désormais accessible, l’imprimerie facilite une large diffusion des connaissances et des idées, une vision scientifique du monde émerge, aux 16ème et 17ème siècles. Avec l’Encyclopédie, le 18ème siècle voit se développer l’intérêt pour les techniques. De grands textes fondateurs, marquant encore la vie politique et sociale de notre pays, sont élaborés : « la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et le Code Civil. Mais la même période a vu le massacre des Indiens d’Amérique, la traite des Noirs, la Terreur révolutionnaire et l’apparition de la “guerre de masse”, caractéristique de la Révolution et de l’Empire », lit-on dans la circulaire de l’Education nationale.
Par ailleurs, on constate que les documents d’accompagnement de ce programme, qui fixe les dates, lieux et personnages que l’élève doit connaître, sont identiques à ceux de 2002. On y fait encore référence au groupe « esclaves d’une plantation », à la date 1848 deuxième abolition de l’esclavage, à Victor Schoelcher, au livre “La case de l’oncle Tom”.

“Le temps des découvertes” vidé de son contenu

Cependant, dans les points forts des programmes de 2007, on constate que “le temps des découvertes” a été amputé de son contenu : « l’ensemble de la planète accessible, apparition d’un esclavage différent de celui de l’Antiquité » n’est plus explicitement cité. Ce qui n’est pas le cas pour les autres points forts cités ; ils conservent la même formulation que dans les programmes de 2002. Est-ce une négligence en voulant synthétiser les programmes de 2002 ? Est-ce un oubli ? Non. Dans un texte qui fixe les orientations pour le contenu des enseignements, comme dans n’importe quel texte officiel et dans les textes de lois, chaque mot compte. Le travail des enseignants du premier degré en Métropole (l’esclavage occupe une place plus importante dans les écoles des DOM) sur l’esclavage n’a semble-t-il pas été affecté par cette modification des points forts. En tout cas, aucun professeur des écoles ne s’est plaint depuis l’apparition de cette circulaire en avril. Il n’y a pas donc lieu de s’alarmer pour le moment, mais une plus grande vigilance devrait s’imposer.
Car l’Histoire ne semble pas être le point fort de ce gouvernement. Au moins, Jacques Chirac avait permis la création d’un Comité Pour la Mémoire de l’Esclavage en 2004, chargé de réfléchir à différentes actions de reconnaissance de ce pan de l’Histoire, notamment dans l’Education nationale avec des journées d’actions pédagogiques et des propositions de modification du programme. Il déclarait ainsi, devant les membres du Comité, à l’annonce d’une date nationale de commémoration : « La grandeur d’un pays, c’est d’assumer, d’assumer toute son histoire. Avec ses pages glorieuses, mais aussi avec sa part d’ombre. Notre histoire est celle d’une grande nation. Regardons-la avec fierté. Regardons-la telle qu’elle a été. C’est ainsi qu’un peuple se rassemble, qu’il devient plus uni, plus fort. C’est ce qui est en jeu à travers les questions de la mémoire : l’unité et la cohésion nationales, l’amour de son pays et la confiance dans ce que l’on est ». Il s’évertuait à répéter, finalement, ce que les associations ne cessaient de clamer. L’histoire de l’esclavage n’est pas réservée à l’Outre-mer, c’est une histoire nationale. La vigilance est nécessaire pour que les programmes de l’enseignement ne fassent pas un pas en arrière, mais qu’ils continuent sur la voie de l’ouverture, surtout en offrant aux enseignants la formation adéquate et les outils pédagogiques adaptés.

Edith Poulbassia


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