M. Véloupoulé, quel regard portez-vous sur la visite effectuée vendredi au siège de la Région Réunion par Shah Rukh Khan avec ses danseuses et le consul de l’Inde dans notre île ?

- Radjah Véloupoulé : Je rappellerai d’abord que cette visite très intéressante a été mise sur pied à la demande des organisateurs de la tournée de Shah Rukh Khan à La Réunion. La Région a été très honorée par cette demande et elle se devait de lui donner une suite favorable pour de nombreuses raisons. Notamment parce que notre collectivité a fait de la coopération régionale et de la production cinématographique dans notre île deux des priorités de son action.
Outre les questions de principe et au nom du sens de l’accueil des Réunionnais, le président de la Région a donc estimé avec raison qu’il était juste d’organiser cette rencontre et cette conférence de presse avec Shah Rukh Khan. En effet, celui-ci est non seulement un artiste indien de renommée mondiale mais également un acteur et un producteur de cinéma. À ce double titre, nous aurions eu tort de ne pas le rencontrer pour évoquer ces sujets avec toutes les perspectives ouvertes par nos échanges.

Certains commentateurs y ont vu "de la récupération" de l’artiste (le “JIR”) et une volonté de Paul Vergès "de le mettre au service de son projet politique de co-développement avec l’Inde" (“le Quotidien”). Qu’en pensez-vous ?

- Je ne veux pas polémiquer avec les auteurs de ces phrases, qui ne me paraissent pas à la hauteur de l’événement. Il faut vraiment ne pas connaître le président pour lui prêter ce genre de motivation. Croient-ils vraiment Paul Vergès capable d’une telle démarche pour appliquer des principes défendus depuis toujours et continuer une action mise en œuvre depuis de nombreuses années ? Manifestement il y a un manque d’arguments pour tenter de contrer une politique orientée vers le long terme. Ou alors serait-ce de la jalousie ? Tout cela me paraît petit et dérisoire.
Par contre, ce qui me paraît grave, c’est le fait que l’un des journaux que vous citez ose prétendre que la présence de Shah Rukh Khan à la Région avait aussi pour but de "flatter les forces communautaristes qui agitent la société réunionnaise". Outre le procès d’intention malveillant que cela signifie, une telle phrase montre que pour certaines personnes à La Réunion, le fait de vouloir retrouver ses racines est assimilé à du communautarisme dès que ces racines sont ailleurs qu’en Europe. Pourquoi une telle discrimination ? Cela reflète toute une idéologie et une volonté de dénigrer la population réunionnaise en la divisant. Mais cela ne nous étonne pas. Pas plus que les attaques dérisoires et méprisantes du même journal quand il fait allusion aux "rois du Moyen ge (qui) avaient leurs troubadours".

Comment avez-vous vécu cette rencontre à la Région ?

- J’ai notamment été frappé par la simplicité, la courtoisie et la modestie de Shah Rukh Khan. Contrairement à ce que certains ont laissé croire, il ne se prend pas pour un dieu. Il est très proche des gens. Il parle d’amour, de famille, de respect des autres, bref de valeurs humaines dont le monde a besoin.
Son message n’a rien à voir avec celui de stars occidentales autour de la drogue et d’autres paradis artificiels. Il fait l’apologie de ce qui devrait être accessible à toutes les personnes sur la Terre pour leur épanouissement. Comment s’étonner de son succès à partir de ce moment-là ? Car cela correspond à ce que recherchent beaucoup d’humains, en particulier les jeunes.
Il y a aussi le fait qu’il est porteur de valeurs culturelles et esthétiques différentes de celles qui dominent en Occident. Elles permettent aux Réunionnais de sortir de l’européocentrisme et de l’unilatéralisme culturel où l’on a voulu les enfermer. Les Réunionnais sont intéressés par les cultures du monde entier, pas seulement occidentales. Cela explique notamment les succès exceptionnels dans notre île de groupes musicaux comme Touré Kunda ou celui de Shah Rukh Khan. Cela montre aussi à quel point est important un projet comme la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise.
J’insiste sur le “et” car pour nous il est important à la fois de pouvoir rechercher toutes ses racines, défendre la multi-culturalité et en même temps de favoriser l’unité culturelle et identitaire réunionnaise ainsi que la cohésion sociale. Le rôle des institutions est notamment de se consacrer à cette tâche. Et c’est ce que s’efforce de faire la Région.

À propos des projets de la Région visant à faire de La Réunion une île de tournage cinématographique, la rencontre de vendredi a-t-elle également ouvert des perspectives ?

- Rien de précis n’a été décidé avec Shah Rukh Khan sur ce point, mais il a clairement dit que le projet de tourner un film à La Réunion est très possible voir probable, cette volonté existe. À ce sujet, je tiens à signaler le contenu de ses productions.
Par exemple, il a déjà réalisé un film sur un mariage mixte indo-pakistanais exaltant l’amitié entre des peuples même quand les États sont opposés, ou un film sur les ravages du SIDA où il plaide pour l’amour et le respect de l’autre. Son art plaît à des personnes de toutes origines. C’est pourquoi cette visite de Shah Rukh Khan fut l’occasion d’une rencontre très riche entre La Réunion et l’Inde.

Entretien : L. B.