’La Religieuse’ de Diderot au Théâtre du Grand Marché

Une seule actrice, une leçon de théâtre

8 juin 2005

En programmant “La Religieuse”, Ahmed Madani promet ’une leçon de théâtre à partir d’un texte foudroyant’ servi par une jeune actrice dont il salue le travail et la performance. “La Religieuse” de Diderot, un texte qui met en rapport religion, foi et sensualité en proposant un jeu sur les paradoxes.

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L’adaptation et la mise en scène de “La Religieuse” de Diderot (voir encadré) sont signées Anne Théron, qui est aussi romancière, scénariste et réalisatrice. C’est la deuxième fois qu’elle s’attaque à cette adaptation, avec une nouvelle et toute jeune comédienne, Marie-Laure Crochant, formée à l’école du Théâtre nationale de Bretagne.
Anne Théron joue quitte ou double et propose "un travail sur l’enfermement, pas un travail sur le religieux" en se tournant volontiers du côté du psychotique et de la folie. Un travail très physique qui prend "le corps pour véhicule de la parole". Seule en scène, l’actrice est prise à la fois dans une chorégraphie textuelle et corporelle, qui mobilise toute son énergie.

"Choc physique avec le texte"

Marie-Laure Crochant nous confie qu’elle a eu "un choc physique avec le texte", choc qui l’a d’autant plus surpris que le texte "émane d’un homme, et d’un homme du 18 siècle". Elle a été possédée dès la lecture par la grande présence de la sensualité féminine tout au long de “La Religieuse”.
Entrant en communion parfaite avec Suzanne Simonin, elle nous confie avoir trouvé un "rôle total" où elle goutte "une vraie jouissance de cette langue-là" et livre un travail corporel très intense : "la mémoire n’est plus cérébrale, elle est sensorielle. Je ne joue pas l’enfermement, je suis enfermée".

Bâtardise et transgression

Le personnage Suzanne Simonin est le fruit d’une transgression. Anne Théron développe : "tout le plaisir des libertins est de réussir à cueillir des femmes, d’arriver au moment où une femme faiblit pour réussir à l’arracher. La mère de Suzanne est sous le poids de ce péché, sa fille est l’incarnation d’un moment de faiblesse où elle n’a pas été ce qu’elle aurait du être, où elle a vécu plus que son identité. Etre bâtard c’est se demander quelle est ma voie(x) ?".
Pour Anne Théron, "qui dit bâtardise dit recherche de l’identité. C’est la recherche fondamentale".
Marie-Laure Crochant ajoute : "cette jeune fille est traversée par des voix qui lui arrivent, celle de sa mère génitrice et celle des mères de trois couvents différents. La bâtardise, c’est comment trouver son propre “je”. Y arrivera-t-elle ? Toutes ces voix qui la constituent, la morcellent et la fragmentent, pourra-t-elle se reconstituer en un seul bloc ?".
Suspens... et réponse dès ce soir à 20 heures au Théâtre du Grand Marché.

Eiffel


“La Religieuse” de Denis Diderot, au Théâtre du Grand Marché.
Adaptation et mise en scène de Anne Théron
Avec Marie-Laure Crochant
Vendredi 10 juin et samedi 11 juin à 20 heures
Dimanche 12 juin à 18 heures et mardi 14 juin à 20 heures


Histoire d’un enfermement, selon Anne Théron

Dans le texte de Denis Diderot, Suzanne Simonin, bâtarde, est envoyée au couvent pour expier le péché de sa mère. Celle-ci espère qu’en contraignant sa fille à mener l’existence cloîtrée d’une religieuse, elle gagnera le repos éternel qu’elle a perdu en fautant avec son amant. Suzanne se débat en vain contre cette injustice et lutte pour échapper à la cellule "où les journées se passent à mesurer la hauteur des murs".
En vérité, Suzanne est punie d’un état dont elle n’est pas responsable : sa bâtardise. Elle est non seulement enfermée dans un couvent, mais surtout dans une identité et son destin. C’est peut-être le pire : être enfermé à l’intérieur de soi-même.
L’histoire de cet enferment se passe à la fin du 18 siècle, dans une institution religieuse, et a une résonance tout à fait contemporaine. Car si notre époque a développé ses propres modalités pour circonscrire ses indésirables, la lutte de ceux qui essaient de s’évader garde la virulence du combat de Suzanne Simonin, 2 siècles auparavant. Parce qu’une cellule restera toujours une cellule quel que soit le système qui l’a générée.


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