Un jour d’été à Canton

Vie et rêves d’une mégapole chinoise

16 juin 2005

Une délégation de quarante-six personnes, emmenée par la présidente du Conseil général et son cabinet, séjourne pour une semaine dans la région de Guangzhou (province de Canton). Elle quitte la ville de Canton ce jeudi matin pour Foshan après un premier contact de deux jours avec “la ville des cinq chèvres”, étirée sur les berges de la rivière des Perles.

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Guangzhou (ou Guangdong) peut tout à la fois charmer, fasciner et peut-être décevoir. Elle ne laisse pas indifférent. Depuis au moins deux millénaires, elle est la porte de la Chine du Sud sur le monde. De nos jours, en ces temps de “globalisation de l’économie”, cette porte grande ouverte (depuis la politique d’ouverture de 1979) est l’un des grands espoirs de la Chine dans la compétition mondiale. Guangzhou attire 30% des investissements faits en Chine par l’étranger et apporte 35% des exportations chinoises vers le monde.
Plus modestement, vue de La Réunion, elle est la région d’origine de la plupart de nos compatriotes venus d’Asie continentale. La délégation préparée par le Conseil général a cherché à renforcer ce lien historique en repérant des points d’appui sur lesquels fonder des relations futures - humaines, culturelles et économiques - avec l’une des régions les plus riches de Chine.

Ville industrieuse, Guangzhou s’endort dans la moiteur d’un été tropical sans faste de lumières ; celles-ci sont réservées aux quelques gratte-ciel qui trouent dans la nuit la nappe de pollution dont la ville semble ne plus pouvoir se défaire. Rançon des quelques 70.000 entreprises qui font le tissu industriel de la région, à 150 km de Hong-Kong seulement.
Étirée sur une superficie multipliée par plus de vingt en moins de trois décennies, peuplée de près de dix millions d’habitants dont les deux-tiers seraient des Cantonnais d’origine, la ville joue de ses contrastes et de ses atouts millénaires.
Venue de la nuit des temps, la légende de la “ville des cinq chèvres” - un mythe fondateur attribuant l’origine de la ville à cinq immortels descendus sur terre à dos de chèvres - dresse depuis 1959 son monument de pierre au cœur du parc Yuexiu, non loin du fastueux bâtiment au toit de tuiles vernissées bleues érigé sur le lieu même où Sun Yatsen proclama la création de la République chinoise en 1911.
Mais comment s’attarder sur les vestiges d’un passé millénaire et tumultueux, dans cette ville qui semble happée par un espace-temps aux tourbillons moins soucieux que jamais des hommes et de leurs faibles ruses, même très chinoises ? Dans l’accélération d’une croissance exponentielle, les différentes traces architecturales de la ville s’entrechoquent dans une lutte sans pitié pour les témoins du passé.

Le marché Qingping, l’un des quartiers les plus pittoresques de Canton, témoigne de l’incessante résistance à l’effacement et à l’oubli, avec ses rues étroites, ses constructions de guingois aux matériaux improbables et hors d’âge, aux intérieurs privés de lumière, et son peuple de marchands dont les étals témoignent de la vitalité de la culture culinaire traditionnelle chinoise : c’est là que les Cantonais s’approvisionnent en ailerons de requins, hippocampes, serpents et coquilles séchées, crustacées et champignons en tous genres. On y vend toutes sortes d’animaux vivants ou morts, dont la plupart finiront à la casserole, tant les Cantonais sont passés maîtres dans l’art de manger "tout ce qui vole, nage ou marche".
Autour, la ville se construit et se déconstruit à grande vitesse, mangée par les immeubles modernes et les rues vouées au commerce de la Fringue globale, dont une jeunesse étourdie de consommation comme ses ancêtres l’étaient par l’opium, a fait son royaume.

Dans la lutte pour la maîtrise de leur espace de vie, l’ingéniosité marque un aménagement urbain contraint à l’économie. Sur les grandes artères, parfois superposées et entrecroisées jusque sur trois niveaux, les véhicules motorisés ont pris le pas sur les mythiques bicyclettes. Les Cantonais se déplacent de plus en plus vite : en autobus, en tramway, en taxis ou en voitures particulières, voire en scooters. Une première ligne de métro, construite avec l’aide des Allemands, verra bientôt arriver la deuxième, puis cinq puis dix... dans moins de cinq ans, creusées en sous-sol, par les Chinois eux-mêmes cette fois.
À ce rythme, Hong-Kong - qui a cru autrefois qu’elle tiendrait tête à l’empire - ne sera plus bientôt que la banlieue littorale de Guangzhou. Au petit jeu de “qui mange qui”, les Chinois n’ont pas fini de surprendre le monde...

P. David


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