Mikaèl Kourto à Art Sénik

Zafish pour dire des mots

7 juillet 2004

Le plasticien Mikaèl Kourto aime jouer avec les mots de notre créole. À la galerie saint-leusienne Art Sénik, l’artiste les met en scène en utilisant l’affiche. Il invente ainsi une signalétique ’péi’ qui sait, à l’occasion, être originale et corrosive.

C’est un fait : la langue créole s’affiche rarement si l’on excepte deux ou trois communicateurs opportunistes ou plus inspirés que les autres. Dès lors, il était bien normal que des plasticiens, agissant en quelque sorte en avant-garde, s’emploient à combler le vide, à réparer l’outrage.
Dans la lignée de ce qu’a réalisé Julien Blay à qui le journal "Le Monde" vient de consacrer une page entière et d’André Robèr, l’année dernière sur la ville du Port, Mikaèl Kourto accroche à la galerie Art Sénik un travail de poésie virtuelle axé sur la signalétique. "Ce travail", note Mikaèl Kourto, "ne vise pas à proposer des panneaux de signalisation, mais à montrer qu’il est possible d’utiliser des mots de notre patrimoine linguistique pour communiquer à travers la signalétique".
Les premiers résultats de cette recherche, à la fois graphique et plastique, s’inscrivent sur les murs de la galerie saint-leusienne. Il s’agit d’abord d’une série de photos qui mériterait d’être amplifiée reprenant quelques inscriptions - pas forcément en créole d’ailleurs. Et notamment cette très originale pancarte en arrière-plan de fils de fer barbelés indiquant : "Propriété privé/Regarder gratuit/Prendre, c’est 1.000 euros".

Rien d’ésotérique

Mais le gros de l’exposition est constitué de "zafish" où le dessin est associé au texte pour renseigner l’automobiliste ou le piéton : "4 voi", "Kroizé", "Lèspasé", "Bordaz", "Rouvèr", "Pangar gardyin la kour", "Tournan", "Madam Pol", "Dokimantèr", "Poin pèrsone", "Také"... Rien d’ésotérique, bien au contraire. C’est pourquoi le dessin se conjugue avec le mot pour donner une information claire et rapidement assimilable par n’importe quel quidam.
Troisième partie de l’exposition, des panneaux dont la signalétique à message est peut-être moins évidente mais toute aussi pertinente. Il en va ainsi de ce "K" zébré de rayures sur lequel nous avons séché qui veut simplement dire kabaré ; de "Pangar fonnkézèr" ; de l’annonce des risques de "Déboulé", et de ce dernier panneau imaginé à partir de la triste expérience de ces jeunes réunionnais qui se sont vus, en "Zorèyland", refuser l’entrée d’un bar qui devait se considérer comme "chic", parce qu’ils portaient des savates deux doigts. Cela donne - comme on dirait "les chiens sont acceptés" - : "Zinformasyon/I gingn marsh èk savate doi d’pié".
On comprendra très vite qu’il s’agit bien d’art plastique. De cet art qui refuse d’être mis sous l’éteignoir de la pensée unique artistique ; de cet art qui sait aussi contester l’ordre établi. (1)
Et ne serait-ce que pour cette dernière raison - mais il y en a bien d’autres plus techniquement artistiques -, il est important de se précipiter pour voir cette exposition qui sera prochainement complétée par une vidéo. Et ce n’est pas parce qu’elle restera là jusqu’à la fin de l’année qu’il ne faut pas y aller de suite. Les premiers visiteurs ont apprécié, notamment les élèves de cette classe de 3ème du lycée Leconte de Lisle, qui ont approuvé cette signalétique utilisant le créole.

L. M.

(1) Il n’y a que la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) qui a du mal à le comprendre puisqu’elle a refusé de mettre ne serait-ce que trois francs six sous sur cette exposition.


Kourto digest

2000 :

- Un recueil "Dann fon mon kèr", autodiffusion Tanampaoun.
2002 :

- Exposition "péi la", à Art Sénik.

- Édition de "Ti Kabar, Marmay Ti Pari”, autodiffusion Tanampaoun.
2003 :

- "Dir", autodiffusion Tanampaoun.


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