Patrimoine culturel immatériel

Zarboutan nout kiltir, comme des “trésors humains”

27 décembre 2004

Jean-Pierre Boyer, secrétaire général de la commission française pour l’U.N.E.S.C.O., invité par la Région, compare les maîtres du maloya aux “trésors humains vivants” inventés par les Japonais. Il dit toute l’importance de prendre en compte la culture vivante et les chefs-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité.

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Il est venu à l’invitation du président de la Région, Paul Vergès, pour assiter à la cérémonie donnée le 20 décembre en l’honneur de Gérose Barivoitse, le Roi Kaf, disparu cette année. Jean-Pierre Boyer, secrétaire général de la commission française pour l’U.N.E.S.C.O, s’exprime ici sur les actions engagées en défense du patrimoine culturel mondial immatériel, après l’adoption de la Convention du 17 octobre 2003. Il a donné une conférence sur ce thème mardi dernier, à la Région, devant l’association pour la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise.

La notion de “patrimoine culturel immatériel” se rattache à celle de “patrimoine mondial culturel” déclaré par la Convention de 1972. Peut-être faut-il commencer par présenter la démarche de l’U.N.E.S.C.O pour la sauvegarde de ce patrimoine ?

- Jean-Pierre Boyer : Avant même d’aboutir à la Convention de 1972, la sauvegarde du patrimoine mondial s’est traduite par différentes actions. Il y a eu une trentaine de campagnes de sauvegarde, depuis les temples de Nubie dans les années soixante jusqu’à la dernière en date, pour le temple d’Angkor. A chaque fois, l’U.N.E.S.C.O a mobilisé des moyens et des équipes et il faut noter que, dans beaucoup de cas, sans ses interventions, beaucoup de sites seraient aujourd’hui sérieusement compromis. D’autre part, l’U.N.E.S.C.O joue un rôle fondamental dans l’adoption de normes juridiques. Cela passe par des déclarations, des recommandations et des conventions, ces dernières étant la forme la plus contraignante puisqu’elle engage les États. La Convention internationale de 1972 sur le patrimoine mondial, naturel et culturel recense aujourd’hui 788 sites dans 134 pays - 611 sites culturels, 154 sites naturels et 23 mixtes. Ratifiée par plus de 150 États, elle met en œuvre des mécanismes de sauvegarde, par la constitution d’un fonds. Son succès a suscité de nombreuses demandes de classement à travers le monde.

Dans les cas que vous évoquez ici, il s’agit de biens culturels matériels, tangibles. Toutes les œuvres culturelles ne sont pas de cette nature...

- Toute une partie en effet - relevant de la tradition orale, des spectacles vivants traditionnels, etc...- restaient à l’écart, comme l’ont fait observer les Africains. Une large part du patrimoine africain, du monde arabe et de l’Asie, au Japon et en Corée notamment, ne peuvent être pris au titre du patrimoine culturel mondial, au sens de la Convention de 1972.
Le Japon a inauguré les “trésors humains vivants”, pour mettre en valeur ses grands maîtres dans différents arts. J’ai bien aimé l’expression “zarboutan nout kiltir”, qui me fait beaucoup penser aux “trésors humains” japonais. C’est une notion construite autour d’une personne et de ce qu’elle transmet aux autres.

Différente de la notion de “chef-d’œuvre du patrimoine immatériel” ?

- La notion de chef-d’œuvre du patrimoine immatériel est moins construite autour d’une personne que d’une tradition. C’est une notion plus large. Elle rend compte par exemple de la tradition japonaise du théâtre No, à la différence des arts et savoir-faire transmis par des maîtres. A la Réunion, ces maîtres du maloya appelés “zarboutan” sont des exemples de “trésors humains”. Le patrimoine immatériel lui-même, ce serait la tradition du maloya.
Le souci de l’U.N.E.S.C.O est de prendre en compte la culture vivante et les chefs d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité. Ce caractère se proclame, après un examen par un jury international, qui fait connaître ses choix tous les deux ans. Il y a eu 47 proclamations depuis 2001, quelque peu critiquées pour leur côté “tableau d’honneur” et parce que la proclamation n’était pas toujours suivie d’effets. D’où l’idée d’aller plus loin, dans le texte soumis à la Conférence générale de l’U.N.E.S.C.O, en octobre 2003. Cette Convention de 2003 est l’équivalent de celle de 1972 mais pour le patrimoine immatériel.

A partir de ce que vous avez pu voir à La Réunion au cours de ce bref séjour, y a-t-il d’autres traditions qui pourraient correspondre au cadre défini par la Convention de 2003 ?

- A ce stade, je ne peux pas savoir. Il faudra travailler avec les acteurs. ll y a plusieurs traditions qui semblent extrêmement vivantes, et des savoir-faire traditionnels tout à fait intéressants. La Convention d’octobre 2003 donne une définition du patrimoine culturel immatériel qu’il faut faire connaître (voir encadré ci-contre).

Il existe une “journée du patrimoine culturel immatériel”. Quels sont ses objectifs ?

- Une première journée a eu lieu en France le 6 avril 2004 et la prochaine est prévue pour le 22 mars 2005 (*). L’objectif est de rassembler les différents acteurs dans une journée de réflexion et de travail, sur la base d’un recensement des groupes et des personnes s’intéressant au patrimoine immatériel. Pour entrer réellement en vigueur, la Convention - pour l’adoption de laquelle la France a joué un rôle très actif - doit être ratifiée par trente pays.
Actuellement, ils ne sont que sept : l’Algérie, le Japon, le Panama, le Gabon, la Syrie, l’Ile Maurice et la Chine. Ce n’est pas un signe de désintérêt ; c’est parce que la procédure est un peu longue. Le ministre des Affaires étrangères consulte pour avis les différents ministères concernés, avant la ratification de la Convention par le Parlement. En France, cette ratification devrait intervenir en 2005.

Propos recueillis par P. David

(*) Le programme détaillé de cette journée ouverte au public sera disponible à partir du 15 février 2005. Voir le site de l’UNESCO pour la préservation du patrimoine culturel mondial : http://whc.unesco.org



Expressions orales, connaissance de la nature...

Qu’est-ce que le Patrimoine culturel immatériel ?
La Convention d’octobre 2003 le définit ainsi :
" On entend par patrimoine culturel immatériel les pratiques, représentations, connaissances et savoir-faire - ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés - que les communautés, les groupes et, le cas échéant les individus, reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel.
Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine.
Le patrimoine culturel immatériel se manifeste notamment dans les domaines suivants :
(a) les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel ;
(b) les arts du spectacle ;
(c) les pratiques sociales, rituels et événements festifs ;
(d) les connaissances et les pratiques concernant la nature et l’univers ;
(e) les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel. "


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