Une des personnalités les plus appréciées des Français est décédée

Abbé Pierre : une vie de luttes pour vaincre les injustices

23 janvier 2007

En France, c’est une des figures les plus appréciées par la population qui vient de décéder. Dans ce pays, l’Abbé Pierre s’était fait connaître par toute une vie de combats en faveur des plus démunis, en particulier celui du droit au logement. Et c’est au moment où la question des sans-logis devient une des question-clé de la prochaine élection présidentielle que celui qui l’a symbolisée pendant 50 ans s’éteint. La bataille menée par celui qui était en France la voix des sans-logis et des habitants des bidonvilles est loin d’être terminée, et comme toute les causes justes, ce combat mérite de triompher.

« Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l’on lise sous ce titre CENTRE FRATERNEL DE DEPANNAGE, ces simples mots : " TOI QUI SOUFFRES, QUI QUE TU SOIS, ENTRE, DORS, MANGE, REPREND ESPOIR, ICI ON T’AIME" », ainsi s’exprimait l’abbé Pierre sur les ondes de Radio Luxembourg lors de son célèbre appel de 1954. Un appel encourageant la fraternité à l’heure où le nombre des plus démunis augmentait, un appel toujours d’actualité 52 ans après.
Son auteur est mort hier matin à l’hôpital militaire du Val de Grâce à Paris où il avait été admis le 14 janvier dernier pour une infection pulmonaire. L’abbé Pierre était âgé de 94 ans. Toute sa vie, il a lutté. D’abord dans la Résistance aux forces nazies, puis contre la misère et les injustices. À 17 reprises, de 1988 à 2003, il a figuré en tête du palmarès Ifop-"Journal du dimanche" des 50 "Français préférés des Français".
L’abbé Pierre est né sous le nom d’Henri Grouès, le 5 août 1912 à Lyon. Il est cinquième d’une famille bourgeoise de huit enfants. À 19 ans, il entre au monastère après avoir distribué ce qu’il possède à des oeuvres de charité. Ordonné prêtre en août 1938, il devient vicaire à Grenoble l’année suivante.
En 1939, il est mobilisé comme sous-officier.
De retour dans l’Isère, il rejoint la Résistance au cours de l’été 1942, crée des maquis qui deviendront une partie de "l’armée du Vercors" et fait passer des évadés en Suisse. C’est là qu’il prend son nom de guerre, abbé Pierre. Il diffuse aussi des journaux de la presse clandestine. Arrêté en mai 1944 par l’armée allemande, il s’évade, passe en Espagne et rallie Alger en juin, où il rencontrera le général de Gaulle.

Député et militant

Il se lance par la suite dans la politique sous les couleurs du MRP (Mouvement républicain populaire), qu’il quittera ultérieurement. Il est député de Meurthe-et-Moselle de 1945 à 1951.
En 1949, il accueille dans la maison délabrée qu’il restaure à Neuilly-Plaisance, dans la banlieue est de Paris, un homme désespéré, Georges. Le lieu devient une auberge de jeunesse internationale baptisée "Emmaüs". Commence le combat contre l’exclusion.
Les premières communautés de Chiffoniers Bâtisseurs d’Emmaüs naissent sur le principe "donne-moi ton aide, pour aider les autres". Elles regroupent des déshérités qui se mettent, par leur travail de récupération, au service de plus déshérités. "Emmaüs est devenu une récupération d’hommes à l’occasion de récupération de choses", définit l’abbé Pierre.
Les communautés essaiment rapidement. On en compte aujourd’hui 161 en France, 421 groupes répartis dans 41 pays sur quatre continents (Europe, Amérique, Afrique, Asie).
Hiver 1954. Une fillette meurt de froid dans un bidonville de Neuilly-Plaisance. L’abbé Pierre invite aux obsèques le ministre du Logement de l’époque, qui s’y rend. Aux premières heures du 1er février, une sexagénaire expulsée de son appartement décède d’hypothermie sur le trottoir du boulevard Sébastopol à Paris. Très vite, l’ancien député lance son célèbre appel. « Mes amis, au secours », supplie-t-il sur Radio Luxembourg, déclenchant une vague de solidarité extraordinaire (voir encadré).
Des gens de toutes les conditions sociales donnent argent, couvertures et nourriture pour permettre à l’abbé Pierre et à ses compagnons d’Emmaüs de mettre en place des hébergements d’urgence. Dans la foulée, le Parlement adopte à l’unanimité dix milliards de francs de crédits pour réaliser immédiatement 12.000 logements d’urgence à travers toute la France pour les plus défavorisés.

Pour le droit au logement

Depuis lors, l’abbé Pierre se fait partout la "voix des sans-voix".
Pendant ce temps, la pauvreté et l’exclusion changent de visage, et cela motive de nouvelles forme de lutte. Au début des années 80, Emmaüs organise des distributions de soupes de nuit et met sur pied en 1984, avec le Secours catholique et l’Armée du Salut, la Banque alimentaire. En cette période de chômage croissant, l’action en faveur des sans-logis de renforce. La Fondation Abbé Pierre est créée en 1988, notamment pour amplifier la mobilisation pour le droit au logement des défavorisés.
Dans les années 1990, l’ancien parlementaire milite pour les droits des migrants - régularisation des sans-papiers et logement. Lors de la Pentecôte de 1991, à 79 ans, il jeûne aux côtés des "déboutés du droit d’asile" à l’église Saint-Joseph à Paris. L’été suivant, toujours dans la capitale, il soutient des familles de squatters du quai de la Gare.
Le 1er février 2004, il participe à Paris, aux 50 ans de l’appel de l’hiver 1954. Le même jour, en marge de cette cérémonie officielle, il n’hésite pas à se rendre auprès de familles emmenées par l’association Droit au logement et qui ont planté des tentes à quelques centaines de mètres du ministère du Logement, sur l’Esplanade des Invalides. Une action qui résume l’engagement de toute une vie : œuvrer pour que la fraternité puisse vaincre l’exclusion et faire triompher la justice.


L’appel de 1954

"Mes amis, au secours !"

L’appel pour les sans-abri lancé le 1er février 1954 par l’abbé Pierre sur les ondes de Radio-Luxembourg est devenu le symbole de son combat pour le droit au logement.

« Mes amis, au secours...
Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée...
Chaque nuit, ils sont plus de 2000 recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant l’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent !
Écoutez-moi : en trois heures, deux premiers centres de dépannage viennent de se créer : l’un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la Montagne Sainte Geneviève ; l’autre à Courbevoie. Ils regorgent déjà, il faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l’on lise sous ce titre CENTRE FRATERNEL DE DEPANNAGE, ces simples mots : " TOI QUI SOUFFRES, QUI QUE TU SOIS, ENTRE, DORS, MANGE, REPREND ESPOIR, ICI ON T’AIME "
La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l’hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure.
Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l’âme commune de la France. Merci !
Chacun de nous peut venir en aide aux "sans abri". Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain :

- 5000 couvertures,

- 300 grandes tentes américaines,

- 200 poêles catalytiques
Déposez les vite à l’hôtel Rochester, 92 rue de la Boétie. Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la montagne Sainte Geneviève.
Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l’asphalte ou sur les quais de Paris.
Merci ! »


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Messages

  • une énergie inégalable et unique qu’était cet homme de coeur. Ce flambeau doit être repris et l’action doit continuer coûte que coûte, car une vie entière ne suffit pas à offrir un peu d’honneur aux plus désérités et pourtant ceux qui gouvernent un pays oublient qu’ils ont été mis là pour l’Humanité avant tout, au service d’un peuple, avant tout...l’Abbé Pierre à mené une action d’envergure à travers une vie de dévotion, à la Vie, à l’Amour, à l’Espoir.. que Dieu fasse qu’une autre Energie assez puissante et forte, car je dirais que derrière lui il avait Dieu , puisse se sentir investie d’une telle mission...

    "Je suis une artiste calligraphe qui cherche à transmettre, à travers ses oeuvres extrait de la Bible et du Coran, la Paix , l’unité et les grandes convergences entre nos cultures qui ne peuvent que nous amener à nous connaître et à la Paix, si nous savons lire...avec le coeur.."


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