Extrait de Cahier d’un retour au pays natal

Aimé Césaire et la préservation de l’écosystème

5 novembre, par Aliloifa Mohamed

L’interprétation d’une œuvre littéraire n’a jamais été chose aisée, et se partage difficilement avec les autres tant la position sociale et diverses influences subjectivisent l’analysent. Et s’agissant du chef-d’œuvre du Grand Maître Césaire, cela paraît encore plus problématique.
Mais en même temps, c’est cette diversité des interprétations qui maintient l’art en vie, le renouvelle et l’enrichit.

Chaque fois que j’entends parler du phénomène de changement climatique dû à l’action de l’Homme sur son environnement, je pense à un poème d’Aimé Césaire. Les quelques personnes à qui j’ai fait par de mon raisonnement l’ont trouvé sans fondement. Aujourd’hui, je me permets de le relancer car l’état d’esprit qui prévaut depuis la mort de l’éminent poète s’y prête assez bien.
Cet extrait de poème écrit à la fin des années 40, donc à une époque où on exaltait encore le développement industriel en reprochant à l’Afrique de n’avoir pas contribué aux découvertes qui ont “révolutionné le monde”, était, on ne peut plus prémonitoire.
« ceux qui n’ont inventé ni la poudre, ni la boussole
ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur, ni l’électricité
ceux qui n’ont exploré ni les mers, ni le ciel »

Césaire affirmait la grandeur des Noirs dans le rôle de gardien du patrimoine le plus précieux de l’Humanité, l’univers dans lequel nous vivons :
« mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre
gibbosité d’autant plus bienfaisante que la terre déserte
davantage la terre
silo où se préserve et se mûrit ce que la terre a de plus terre »

En effet, l’Occident, imbu de sa science, s’est livré à une course effrénée pour transformer le milieu naturel et les systèmes de production de biens et services afin d’assouvir la soif démesurée de la société dite de consommation, inventée spécialement pour pousser au gaspillage des ressources. Après avoir épuisé ses ressources naturelles, l’Occident a pillé celles des autres continents.
Après les grandes découvertes et la frénésie de développement qui s’en est suivi, les Occidentaux étaient à nouveau tout fier d’avoir découvert grâce à leur recherche que la science dont ils se prévalaient ne faisait que scier la branche sur laquelle nous sommes tous assis, en détruisant la couche d’ozone et l’écosystème en général. Et là encore, ils prennent le devant de la nouvelle croisade pour nous enseigner leur nouveau slogan, le développement durable.
D’un autre côté, ils ont colonisé des peuples pour les exploiter et les conditionner par l’aliénation à consommer des produits fabriqués par eux, au détriment de ce que la nature offrait généreusement. Il a encore fallu attendre des décennies plus tard pour qu’ils se rendent compte subitement que les produits issus de la nature sont meilleurs que ceux qu’ils ont inventés ; eurêka ! Vive le bio, à bas les OGM. 
« Écoutez le monde blanc
horriblement las de son effort immense
ses articulations rebelles craquer sous les étoiles dures
ses raideurs d’acier bleu transperçant la chair mystique
écoute ses victoires proditoires trompéter ses défaites
écoute aux alibis grandioses son piètre trébuchement
Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs ! »

Aliloifa Mohamed, ancien professeur de lettres
Moroni (Comores) 23 avril 2008

Extrait
Ô lumière amicale
Ô fraîche source de la lumière
Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole
Ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité
Ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel
Mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre
Gibbosité d’autant plus bienfaisante que la terre déserte
Davantage la terre
Silo où se préserve et se mûrit ce que la terre a de plus terre
Ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour
Ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre
Ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale
Elle plonge dans la chair rouge du sol
Elle plonge dans la chair ardente du ciel
Elle troue l’accablement opaque de sa droite patience.
Eia pour le Kaïlcédrat royal !
Eia pour ceux qui n’ont jamais rien inventé
Pour ceux qui n’ont jamais rien exploré
Pour ceux qui n’ont jamais rien dompté
Mais ils s’abandonnent, saisis, à l’essence de toute chose
Ignorants des surfaces mais saisis par le mouvement de toute chose
Insoucieux de dompter, mais jouant le jeu du monde
Véritablement les fils aînés du monde
Poreux à tous les souffles du monde
Aire fraternelle de tous les souffles du monde
Lit sans drain de toutes les eaux du monde
Étincelle du feu sacré du monde
Chair de la chair du monde palpitant du mouvement même du monde !
Tiède petit matin de vertus ancestrales
Écoutez le monde blanc
Horriblement las de son effort immense
Ses articulations rebelles craquer sous les étoiles dures
Ses raideurs d’acier bleu transperçant la chair mystique
Écoute ses victoires proditoires trompéter ses défaites
Écoute aux alibis grandioses son piètre trébuchement
Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs !

Aimé Césaire, “Cahier d’un retour au pays natal” 1939
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