Avec le Komité Eli et Rasine Kaf

« An souvnans révolt zesklav sinlé »

9 novembre 2007, par Edith Poulbassia

On sait aujourd’hui que les marrons représentaient bien plus qu’une poignée d’esclaves en quête de liberté. On sait également que d’autres ont tenté au péril de leur vie de mettre fin au régime esclavagiste. Le nom d’Elie est parvenu jusqu’à nous pour rappeler que des esclaves se sont révoltés à Saint-Leu dans la nuit du 5 novembre 1811. Un épisode de l’histoire encore trop méconnu des Réunionnais. Le Komité Eli se charge donc de réveiller la mémoire collective depuis 1999. Rencontre avec Pierre Myrthe, porte-parole du Komité Eli.

La révolte de Saint-Leu n’est pas vraiment connue des Réunionnais, notamment des jeunes générations. Le nom d’Elie n’a fait son apparition que très récemment, et pour beaucoup d’entre nous, il suscite l’interrogation. Qui était Eli ? Que sait-on sur lui ?

- De sa personne, on ne connaît malheureusement pas grand-chose. On sait seulement qu’il était un esclave forgeron, celui d’un certain Célestin Hibon, un Saint-Leusien. Elie est un des premiers à avoir réagi contre l’injustice. Comme dans tout système esclavagiste, Élie était un objet, pas plus qu’un meuble, un produit. Mais des historiens travaillent sur ce personnage, même si on entend rarement parlé de leur recherche sur Élie. Il faudrait peut-être qu’ils fassent mieux connaître leurs travaux.

De cette révolte de Saint-Leu, on a une date, des noms. Comment a t-on pu reconstituer cette histoire ?

- Nous avons deux sources pour mieux connaître cette partie de l’histoire. D’abord sur la base des écrits, nous avons appris que la révolte s’est déroulée entre le 4 et le 11 novembre, que l’action concrète de soulèvement a eu lieu dans la nuit du 5 novembre. Nous savons qu’il s’agissait d’une action réfléchie, préparée. En ce qui concerne la motivation d’Elie, qu’est-ce qui a été le déclic, nous laissons cette question à l’opinion publique, chacun doit pouvoir y trouver une réponse. Ce qui est certain, c’est que l’injustice était trop flagrante.
Ensuite, jusqu’aux années 2000, plus personne ne parlait de cette révolte. Le rôle du Komité Eli a été de réactiver la mémoire populaire. Grâce au recueil de témoignages, d’objets, de pièces, de repérage d’endroits nous pouvons compléter ce que révèlent les écrits. L’association aide les historiens à côtoyer les personnes qui ont vécu au plus près de cette époque. Car cette histoire a été transmise à certains de nos gramounes. Certains seulement. Nous ne cherchons pas à savoir si l’oubli de cette histoire a été volontaire ou non. Nous n’en voulons à personne. Nous voulons simplement replacer cette révolte de Saint-Leu dans l’histoire de La Réunion.

Comment la population découvre t-elle cette partie de l’histoire ? Quelles traces a t-elle laissé dans les mémoires ?

- Depuis 1999 à Saint-Leu nous avons commencé ce travail de mémoire. Aujourd’hui, il existe plusieurs groupes de militants dans toute l’île, on compte une dizaine de collectifs. C’est un peu une institution non visible. Du côté des habitants de Saint-Leu, ce sont surtout ceux qui habitent en ville qui ont pris l’habitude de participer à cette commémoration. En même temps, quand on arrive dans les quartiers, les gens sont contents que l’on s’intéresse à cette révolte. « Na lontan té parle pi tout ça là », disent les gramounes. Et puis on voit bien qu’il sont obligé de fouiller dans leurs souvenirs. Ce qui revient le plus souvent et dans l’immédiat, ce sont les noms des vieilles familles réunionnaises, les grands bourgeois de l’époque : De Chateauvieux, Madame Desbassyns. Ils se souviennent de parents qui travaillaient sur « terrain gouvernement », comme ils disent. Ce sont des scénarios de soumission qui reviennent. Le nom d’Elie est cité parce qu’il menait le groupe d’esclaves en révolte. Mais on se souvient aussi de Figaro, l’esclave qui a dénoncé cette révolte civique.

Il existe déjà le 20 décembre pour commémorer toute l’histoire de l’esclavage. Pourquoi persister à vouloir instaurer une autre date de commémoration, le 5 novembre ? Pourquoi est-ce important pour le Komité Eli ?

- L’histoire d’Eli est le seul espace encore vierge. Le seul qui ne soit pas encore médiatisé, comme le 20 décembre, le 14 juillet, qui sont devenues des fêtes commerciales. Nous n’avons pas envie que la date de la révolte soit assimilée à ce genre de fête commerciale mais à une vraie fête commémorative. L’acte qui a été commis par ce groupe d’esclaves est devenu symbolique. Il est à la fois social, humanitaire, syndical, c’est le refus de la soumission. Cette commémoration c’est aussi une façon de dire que nous ne voulons plus jamais qu’un tel événement d’affrontement arrive dans l’île. On ne peut s’imaginer la violence de se qui s’est produit qu’en transposant cet événement à l’échelle de notre société. Ce n’est pas un épisode anodin de notre histoire.

Très longtemps, les historiens ont véhiculé une image assez « douce » de l’esclavage à La Réunion. On insistait sur la différence avec les Antilles. Ici, disait-on, il y avait une relation paternaliste entre le maître et l’esclave, ce qui expliquait l’absence de soulèvement massif. Y a t-il eu d’autres révoltes que celle de Saint-Leu ?

- Oui bien sûr. Il y a eu une révolte à Saint-Benoît aussi. Mais on peut aller plus loin et affirmer qu’il y en a eu partout dans l’île, même dan les Hauts. Simplement, elles n’ont pas été médiatisé comme celle d’Elie à Saint-Leu. Soit parce que dans des endroits retirés, les tentatives de révolte ne pouvaient être connues par l’ensemble de la population. Soit parce qu’ on n’avait de toute façon pas intérêt à en parler pour ne pas faire de vague, surtout quand il n’y avait pas de dégâts. Avec la révolte de Saint-Leu on a passé un cap. Du sang a été versé, des colons sont morts dans leurs cases. C’est sans doute pour cela que cette révolte a été médiatisé à l’époque.

Le Komité Eli s’est fixé l’objectif de renouveler chaque année la commémoration de cette révolte. Le public répond t-il présent à votre appel ?

- Il faut reconnaître que les trois premières années, les organisateurs, les militants convaincus étaient plus nombreux que le public ! Aujourd’hui, nous avons l’impression que les Réunionnais redécouvrent ou découvrent l’histoire d’Elie et à travers elle, l’esclavage. La politique culturelle de la ville de Saint-Leu n’a de toute façon jamais mis en valeur la fête du 20 décembre. Nous avons donc pu au fur et à mesure imposer la commémoration de la révolte de Saint-Leu. Pour notre association, c’est l’événement à retenir dans l’histoire de l’esclavage. Le 20 décembre n’avait qu’un caractère administratif, pour garder une espèce de paix sociale sans qu’aucune injustice ne soit réparée. Cette date n’a fait que donner suite à un régime esclavagiste plus délayé pour que ce soit moins remarquable.

Un film, intitulé « Memwar d’Eli, récit d’une résistance » sera diffusé en fin d’après-midi, ce samedi.
Pouvez-vous nous le présenter ?


- C’est le premier projet du Komité Eli, réalisé en début d’année. Au départ, nous voulions recueillir des témoignages d’acteurs de la ville autour de la mémoire de l’esclavage et du thème de la révolte en général. Chacun était invité à exprimer son point de vu, son état d’âme sur le thème de la soumission, de l’esclavage. Le Komité Eli a profité du soutien technique et pédagogique de l’association Rasine Kaf. Au final, l’accent a été mis sur la révolte de Saint-Leu. Ca s’est fait naturellement.

Entretien Edith Poulbassia


Samedi 10 novembre

Le Kabar Eli

Point de rencontre à 8h30 à la Kour Mao (parking de la Salette) : départ pour la ravine du Trou en hommage aux insurgés de 1811.
10h-12h : reout à la Kour Mao. Exposition : « De l’esclavage à la liberté ! » Rencontre avec les exposants Georges Tergémina, Danyèl Duriès, Rosalie Ivrin, Rasine Kaf, Rasine et Basalte.
13h30-15h : Sobatkoz. Rencontre avec les historiens Philippe Bessière et Georges Tergémina.
15h-18h30 : Kabar/Fonker avec Dédé Lansor, Danyèl Waro, Ezili.
18h30-20h : mrojection du film « Memwar d’Eli, récit d’une résistance »
20h-minuit : suite du kabar avec Zangoun, Patrick Manan, Riddim, Band, 7PO

Contact : Rasine Kaf au 0262 22 80 53


Une insurrection durement réprimée

Grâce à des documents émanant des maîtres, des archives judiciaires et des journaux de l’époque, les historiens sont parvenus à établir une chronologie de la révolte de Saint-Leu. C’est le 5 novembre que les esclaves passent à l’acte. La veille, un certain Figaro, esclave comme eux, Cafre de la veuve Legrand, informe la municipalité de l’existence d’un complot. Jean, un commandeur créole de Monsieur Malliot est arrêté, mais il ne révèlera rien. La révolte éclate à Saint-Leu et plusieurs Blancs sont tués et les biens pillés. Un autre esclave, Benjamin, est interrogé par la justice. Pris de cours, la dernière réunion que les révoltés avaient prévue n’aura pas lieu. Ils décident d’attaquer dans la nuit pour ne pas laisser le temps aux maîtres de s’organiser. Le 9 novembre, la révolte n’est pas encore arrêtée. Une centaine d’esclaves se réunissent à la ravine du Trou, où beaucoup venaient effectuer leur corvée d’eau le matin. « Les habitations de Pierre, Benoît et Thimothée Hibon sont attaqués. Jean Macé et Armel sont tués. Ils seront les deux seules victimes du côté des Blancs ». Le lendemain, 24 propriétaires se rassemblent devant la mairie pour organiser leur défense. Le 11 novembre est une journée décisive : propriétaires et esclaves révoltés s’affrontent. « Si l’on considère comme vraisemblable le nombre de 300 rebelles qui auraient participé à la lutte, on peut raisonnablement penser que le tiers au moins, et peut-être la moitié d’entre eux ont péri lors de la révolte ou dans les semaines qui ont suivi », écrit Hubert Gerbeau dans « L’alliance imaginée : la révolte des esclaves et des petits créoles dans la mémoire réunionnaise ». Trois mois plus tard, les esclaves sont jugés à l’église de Saint-Denis, transformé en tribunal pour l’occasion. 30 condamnations sont prononcées, Elie est déporté par les Anglais. Cependant, la peine de mort sera commuée pour 7 condamnés. Le 10 avril 1812, deux esclaves ont la tête tranchée au Butor, et deux semaines plus tard deux autres sont exécutés à Saint-Benoît. Quant à Figaro, il obtient sa liberté, affranchi le novembre 1811 ainsi qu’une pension de 1000 francs annuel, pour la dénonciation.

EP


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