En ce 30 juin où la population de Sainte-Suzanne, la section communiste rend hommage à Lucet Langenier (décédé le 30 juin 1993 des suites d’une longue maladie), nous apprenons la disparition de Gabriel Boudia, 77 ans, fidèle militant du Parti Communiste Réunionnais et compagnon de luttes de l’ancien et regretté Maire de Sainte-Suzanne.

C’est une figure populaire et une mémoire vivante des luttes réunionnaises qui nous quitte. J’ai eu l’occasion, il y a quelques mois de rendre visite à Gabriel Boudia à son domicile au centre-ville. J’avais collecté son témoignage pour mon nouvel ouvrage à paraître dans quelques semaines où je rends également hommage à Lucet Langenier. Gabriel Boudia m’avait fait revivre avec passion une grande page politique de Sainte-Suzanne. Racontant son engagement politique, le combat mené sur le terrain avec Lucet Langenier, les pressions exercées à l’époque par les classes politiques dominantes…
Un extrait de son témoignage : « Lucet Lagenier, c’était mon camarade, mon compagnon de lutte. En 1973 déjà, mes deux filles qui allaient au collège Hyppolite Foucque m’avaient déjà parlé de ce professeur que les jeunes appréciaient beaucoup.
Quelques jours plus tard, le regretté Ary Payet était venu me voir pour me présenter “un bon camarade pou nou”. C’était bien sûr Lucet Langenier qui avait décidé de se lancer dans la campagne politique sur la commune de Sainte-Suzanne… Petit à petit, le camarade Lucet a réussi à entrer dans les familles. Malgré sa défaite de 1973, il n’avait jamais baissé les bras. Il est reparti au combat.
C’était un homme courageux, combatif. Ses premières réunions publiques, c’était chez moi à Jacques Cargot. Il fallait être courageux pour donner sa cour pour une réunion tenue par un communiste. Il savait communiquer avec les gens. Je me rappelle un après-midi, il a débarqué chez moi et m’a dit : “Gabriel, allon marche un peu Bagatelle”. On a bu ensemble le café et il est passé de case en case, les gens l’accueillaient chaleureusement, c’était convivial. Lucet parlait, parlait… On ne voyait pas le temps passer avec lui. Jusqu’à 11 heures du soir, on était encore chez l’habitant qui nous attendait malgré l’heure tardive. Les gens faisaient part à Lucet de leurs problèmes, de leurs souhaits pour Sainte-Suzanne et surtout de leur volonté de changer complètement de politique. Je suis rentré chez moi, il était 1 heure du matin, on a bu à nouveau un p’tit rhum et un café. Ma femme m’a demandé ce que je faisais tout ce temps dans la rue. Le lendemain, Lucet était à nouveau présent.
Je le revois toujours à Bagatelle, sur la route de Camp Créole, près de la citerne. Il tenait ce jour-là meeting. Le problème, c’est qu’en face de lui, il n’y avait pratiquement personne. Les gens étaient entassés et cachés dans les champs de cannes. Ils avaient peur de se montrer car, parmi eux, il y avait des employés communaux et aussi des journaliers agricoles qui travaillaient sur les exploitations des gros propriétaires de Sainte-Suzanne. Gramoune “Gaté”, grand militant communiste qui était présent ce jour-là à la réunion, s’est fait dès le lendemain remonté les bretelles par le chef d’exploitation de Monsieur Barau. Il s’est fait insulter et menacer. Le chef lui a dit ne plus assister aux réunions de Lucet Langenier sinon il serait licencié.
Je faisais partie de son équipe municipale et je peux vous dire qu’on s’est mis dès la victoire de 1980 au travail. Et oui, avec Lucet, nous avons fait des choses, beaucoup de choses pour la population, pour les plus pauvres. De grands chantiers furent lancés. Les gens adhéraient à cette politique, Sainte-Suzanne avançait.
Quand j’ai appris sa mort en 1993, j’ai été complètement assommé. Je ne comprenais pas. Je ne réalisais pas comment il pouvait partir aussi rapidement, d’autant plus que la veille, je l’avais vu à la mairie, il est vrai, très fatigué. Ce fut pour la population une très grande perte. Lucet a marqué l’histoire de Sainte-Suzanne, l’histoire de notre peuple, l’histoire politique à La Réunion. C’était un homme de progrès, de dialogue, un visionnaire, un bon vivant également. Il aimait bien vivre, retrouver les camarades en dehors du travail et faire la fête. Je le regrette beaucoup. On ne peut oublier un homme de sa dimension », me confiait ainsi Gabriel Boudia qui a décidé de partir lui aussi un 30 juin…
J’adresse mes condoléances à toute la famille de Gabriel Boudia, à son épouse et à ses enfants. Une mémoire s’est éteinte, que sa flamme continue de vivre dans nos cœurs.

Bernard Batou
Sainte-Suzanne