Lutte pour l’application de la loi du 19 mars 1946

Hommage unanime à l’autonomiste Aimé Césaire

22 avril 2008, par Manuel Marchal

Partout dans le monde, et notamment au sein de la classe politique française, l’hommage a été unanime : tout le monde a salué le combat d’Aimé Césaire contre le colonialisme, pour la liberté. Quand Aimé Césaire a constaté tous les obstacles que semaient les gouvernements de toutes tendances politiques pour empêcher l’application de la loi du 19 mars, le dirigeant martiniquais a décidé de militer pour l’autonomie. C’est donc un autonomiste qui vient de recevoir un hommage unanime de la classe politique française, et personne à La Réunion n’a fait à cette occasion l’amalgame entre autonomiste et indépendantiste

Le décès d’Aimé Césaire est marqué par toute une série de décisions et de déclarations importantes et convergentes. En France, le gouvernement a décrété des obsèques nationales, et tous les dirigeants politiques ont rendu hommage à un des pères de la loi du 19 mars 1946. Ils saluent un dirigeant qui a toute sa vie lutté contre les injustices. C’est donc un autonomiste qui vient de recevoir un hommage unanime de la classe politique française. Or, Aimé Césaire a été longtemps accusé et physiquement en danger parce qu’il a prôné l’autonomie. L’autonomie, c’est la lutte pour l’application du contenu de la loi du 19 mars 1946, c’est-à-dire l’abolition du statut colonial.
Quand à l’initiative d’Aimé Césaire, de Raymond Vergès, de Léon de Lépervanche et de leurs collègues des quatre "vieilles colonies", l’Assemblée constituante vote à l’unanimité l’abolition du statut colonial en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique et à La Réunion, un formidable espoir se lève dans ces pays. En effet, ce texte révolutionnaire donne de nouveaux droits essentiels aux peuples de ces îles. L’extension des lois sociales et la garantie de l’égalité sont des leviers qui doivent sortir Guadeloupéens, Guyanais, Martiniquais et Réunionnais de la misère à laquelle le statut colonial les condamnait.
Mais dix ans après, les résistances des anciens dominants de l’époque coloniale, appuyés par les gouvernements qui se succédaient, avaient bloqué l’application de la loi. Les sociétés avaient toujours une structure coloniale, et très peu de lois sociales étaient appliquées.

Rapporteur de la loi du 19 mars

C’est pour faire tomber ces obstacles que naît le mouvement autonomiste. En Martinique, deux ans après sa démission du PCF, Aimé Césaire est un des fondateurs du Parti progressiste martiniquais (PPM) qui prône l’autonomie, pour l’application des lois sociales et la reconnaissance des spécificités du pays.
C’est également pour que la loi du 19 mars 1946 soit appliquée à La Réunion qu’en 1959 est fondé le Parti Communiste Réunionnais. Le PCR lance dans notre île le mot d’ordre d’autonomie. C’est une nouvelle forme d’expression politique qui naît, revendiquant notamment d’une part le respect de la culture et des spécificités, et d’autre part la responsabilité afin que le peuple réunionnais applique à La Réunion la loi du 19 mars 1946, ce que les gouvernements étaient incapables de faire depuis le vote de ce texte.
À La Réunion comme aux Antilles, la répression frappait durement les autonomistes. C’était l’amalgame et la mauvaise foi dans les médias dominants de l’époque, "JIR" et ORTF, pour dire que l’autonomie c’était l’indépendance. C’était la répression contre la culture réunionnaise et la langue créole. C’était aussi toute une campagne pour faire croire que Paul Vergès avait trahi Raymond Vergès parce qu’il revendiquait l’autonomie.
Or, Aimé Césaire était aux côtés de Raymond Vergès pour proposer la loi du 19 mars 1946, et douze ans plus tard, Aimé Césaire militait pour l’autonomie. Qui a-t-il donc trahi ? Toutes les prises de positions de ces derniers jours apportent si besoin est une clarification sur ce point essentiel : revendiquer l’autonomie, c’est revendiquer l’application de la loi du 19 mars 1946, c’est-à-dire l’abolition du statut colonial.

Signataire de la déclaration de Morne-Rouge

Au cours des décennies suivantes, le député martiniquais a été un soutien des luttes des Réunionnais. Le 6 mai 1968, il signe au nom du PPM et aux côtés d’organisations de l’Outre-mer dont le PCR un "Manifeste pour l’autodétermination et contre toute solution néocolonialiste". Trois ans plus tard lors de la Convention de Morne-Rouge, les partis et organisations de La Réunion, de la Guyane, de la Guadeloupe et de la Martinique, adoptent une déclaration finale revendiquant l’autonomie pour les 4 départements d’outre-mer, avec un programme social, économique et culturel. Ce texte a été signé en des termes identiques par Aimé Césaire pour le PPM, par le PCR et 14 autres organisations.
À l’époque, cette déclaration était taxée de séparatiste par la classe dominante à La Réunion.
Maintenant, le "JIR" reconnaît lui-même que l’autonomie n’est pas l’indépendance, et participe à l’hommage légitime rendu à Aimé Césaire, un des pères de la loi du 19 mars 1946 qui a revendiqué l’autonomie pour que soit enfin appliquée l’abolition du statut colonial inscrit dans ce texte dont il était le rapporteur.

Manuel Marchal


Reconnaître les spécificités

Dans le rapport présenté au congrès constitutif du PPM en 1958, Aimé Césaire souligne que le gouvernement n’a pas consulté la Martinique lors de l’adhésion de la République au Marché commun ce qui, « étant donné le caractère très particulier de notre économie » est un « tort ». En effet, comment industrialiser sans « une bonne barrière douanière qui protège les premiers pas de l’industrie naissante et la défende contre les industries concurrentes en plein développement » ?
Cette intégration des économies de l’Outre-mer à celle de la France, puis de la Communauté européenne est une des explications au sous-développement de ces pays. Elle a été un obstacle à l’industrialisation, et donc à la création d’emplois et de richesses, puisque les petites et fragiles industries locales devaient sans protection affronter la concurrence directe de celles de pays industrialisés de longue date.
Pour que cette spécificité soit reconnue, s’engage alors la lutte pour l’autonomie, car, note Aimé Césaire, « quand trop de choses sont décidées à Paris, cela revient à dire le plus souvent que trop de choses sont imposées par Paris ».


Extrait de la lettre à Maurice Thorez

« Singularité de nos problèmes qui ne se ramènent à nul autre problème »

En 1956, Aimé Césaire adresse au secrétaire général du PCF une lettre expliquant sa décision de démissionner de ce parti. En voici un extrait.

« Un fait à mes yeux capital est celui-ci : que nous, hommes de couleur, en ce moment précis de l’évolution historique, avons, dans notre conscience, pris possession de tout le champ de notre singularité et que nous sommes prêts à assumer sur tous les plans et dans tous les domaines les responsabilités qui découlent de cette prise de conscience.
Singularité de notre "situation dans le monde" qui ne se confond avec nulle autre.
Singularité de nos problèmes qui ne se ramènent à nul autre problème.
Singularité de notre histoire coupée de terribles avatars qui n’appartiennent qu’à elle.
Singularité de notre culture que nous voulons vivre de manière de plus en plus réelle.
Qu’en résulte-t-il, sinon que nos voies vers l’avenir, je dis toutes nos voies, la voie politique comme la voie culturelle, ne sont pas toutes faites ; qu’elles sont à découvrir, et que les soins de cette découverte ne regardent que nous ? C’est assez dire que nous sommes convaincus que nos questions, ou si l’on veut la question coloniale, ne peut pas être traitée comme une partie d’un ensemble plus important, une partie sur laquelle d’autres pourront transiger ou passer tel compromis qu’il leur semblera juste de passer eu égard à une situation générale qu’ils auront seuls à apprécier ».

Aimé Césaire

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