Huguette Bello rend hommage à Bernard Marek

« Il a été dans tout ce qu’il entreprenait un esprit intègre et passionné »

21 août 2010

Huguette Bello, députée et maire de Saint-Paul et le Conseil municipal ont rendu hier hommage à Bernard Marek qui repose au Cimetière marin de Saint-Paul « cher à son cœur et où il a trouvé sa place, face à la baie du Meilleur Ancrage ».

« Avec Bernard Marek, à qui nous sommes venus ici rendre un dernier hommage, la ville de Saint-Paul perd un citoyen modèle et un fidèle ami.

Mais je voudrais tout de suite, au nom du Conseil municipal et en votre nom, dire à sa femme Wilhelmine, à ses filles Juliana et Lucie, à ses fils Antoine et Paul, combien nous nous sentons proches d’eux dans cette épreuve, que constitue toujours la perte brutale d’un être aimé. Et je vous invite à vous rassembler en pensée autour de cette famille qui est dans la douleur, afin de lui exprimer nos sincères condoléances et toute notre affection.

« C’était avec les autres et pour les autres »

Ce que je voudrais retenir de Bernard Marek qui s’apprête à nous quitter pour toujours, c’est qu’il a été dans tout ce qu’il entreprenait un esprit intègre et passionné.

Tout ce que nous connaissons de lui nous dit qu’il était possédé comme d’un idéal, qui se trouvait dans ce besoin qu’il avait de perfectionner toujours son savoir. Et cette quête perpétuelle qui le rendait curieux de tout, ce n’était point tant, dans son idée, afin d’élargir uniquement le champ de ses connaissances, et qu’il réserverait à son seul usage.

Ce qu’il faisait dans le domaine de la recherche, c’était avec les autres et pour les autres. Il a contribué par ses découvertes à reconstituer certains aspects de notre histoire et, ce faisant, à conforter les bases si complexes de notre identité. Parce que Bernard Marek avait en effet le sens du partage, valeur inestimable en ces temps de l’individualisme-roi, qui le plus souvent confine pour tout dire à l’égoïsme.

« Il s’attache à dénicher le détail, à respecter les faits »

Quand on dit : Bernard Marek, on pense en premier lieu à l’historien, et j’irai jusqu’à dire : à l’historien de conviction qu’il était. Dans ce domaine professionnel où il s’était engagé parce qu’il en avait la passion, il se donne à fond. Il est minutieux dans son travail, il s’attache à dénicher le détail, à respecter les faits venant illustrer tel ou tel pan de l’histoire, à être rigoureux dans l’interprétation et le sens à leur accorder.

Il ne s’en tient pas exclusivement aux grands évènements ou aux mouvements importants du passé. Il ne dédaigne pas de mettre en valeur l’apport à la grande histoire de petits groupes humains, de populations de quartier, de ce que Raoul Lucas dénomme le “milieu local”. Partout où il passe, il se fait pour ainsi dire un devoir d’approfondir la connaissance du lieu, d’en explorer la mémoire.

Dans les années soixante-dix — au siècle dernier, donc — il est enseignant à la Chaloupe Saint-Leu. Eh bien, il va faire de ce lieu-dit le sujet de ses recherches d’historien. Il va, avec ses élèves, consacrer une partie de son temps à décrypter la manière dont les habitants du village ont apporté leur pierre dans la structuration et la valorisation de notre île tout au cours de longues décennies. Il met en lumière la façon dont le géranium, culture d’élection sur cette terre grasse et tourmentée de ravines, a pu structurer les activités humaines et influer sur le comportement, les relations et les conditions de vie dans cet écart.

« Il n’a plus d’yeux que pour Saint-Paul »

Mais à partir de 1985, il n’a plus d’yeux que pour Saint-Paul. Il vient d’y être nommé professeur et va y enseigner durant vingt-deux ans. Il va faire de notre cité l’objet de toutes ses attentions. Il veut être le témoin de son histoire. Il se fait le découvreur d’indices, de preuves, de documents sur tout ce qui peut exister dans les temps passés et qu’on ignore encore. Il exhume patiemment le moindre vestige de ce qui n’est plus, mais qui lui semble avoir pu laisser sa marque aujourd’hui encore sur notre présent. Il s’érige, quoique sans prétention, en inventeur de symboles à même de signifier comment s’est construit notre peuple. Il voue en tout, à ce lieu primordial de l’histoire réunionnaise qu’est Saint-Paul, une forme de ferveur qui frise la dévotion.

Patiemment, il défriche le terrain. Il explore, il remonte le temps. Et c’est vrai pour la Grotte des Premiers Réunionnais ; vrai encore pour ce cimetière marin où nous sommes en ce moment avec lui, et qui nous parle avec éloquence des hommes célèbres de notre histoire ; vrai toujours pour les recherches qu’il réalise concernant le plus illustre des Saint-Paulois, le poète Charles Marie René Leconte de Lisle qui a vu le jour dans cette Ville, le 22 octobre 1818, et qui, là-bas à Paris, loin de sa terre natale allait, avec son école du Parnasse, tailler des croupières au romantisme, avant de revenir reposer ici même dans ce cimetière, à quelques mètres seulement de l’endroit où nous sommes.

« ... et a fini par l’épouser »

Bernard Marek, c’est donc l’historien que je me suis efforcé de vous montrer. Mais c’est aussi, sous cet autre aspect de sa personnalité, quelqu’un qui, venu dans notre île, en est tombé amoureux et a fini par l’épouser. Il l’a fait dans un parfait esprit de modestie et d’humilité.

Bernard Marek arrive d’une des régions du monde, qui pèse par sa culture dominante. Mais lui veille à ne jamais donner le sentiment qu’il incarne à lui seul cette culture et qu’il peut, dès lors, se permettre d’être donneur de leçons. Il s’intègre sans arrière-pensée dans le milieu où il a fait le choix de vivre. Et c’est encore, parmi les femmes de ce pays, qu’il a choisi celle dont il fera son épouse et la mère de ses enfants.

Par ailleurs, sans arrière-pensée, sans esprit de chapelle, sans chercher à se mettre en avant mais simplement pour servir, Bernard Marek va participer activement à l’action publique dans la cité. De 1991 à 1999, il sera membre du conseil municipal de Saint-Paul avec Joseph Sinimalé. Sans rien demander ni attendre en retour, il va nous proposer à nous aussi sa collaboration, toujours et essentiellement pour servir. Il ne cherche pas à faire de son métier et de ses succès de chercheur un tremplin pour sa carrière.

« Transmettre ses connaissances à l’autre »

Ce dont Bernard Marek se souciait par-dessus tout, c’était de transmettre ses connaissances à l’autre afin de lui permettre de prendre la mesure de son être à travers son patrimoine archéologique et l’héritage de ses ancêtres. Ceux qui ont travaillé avec Bernard Marek ou ont croisé son chemin sont là qui en témoignent. Comme le général Lucas. Ce dernier relève la passion de La Réunion qu’il voyait en Bernard Marek, lequel était pour lui un homme qui « voulait transmettre son savoir ». Comme Alexis Miranville, historien lui aussi, qui a mené avec Bernard Marek des travaux en commun, et qui dit avec émotion combien cette disparition l’attriste. Comme encore le sociologue Raoul Lucas qui nous dit, de Marek, qu’il était, et je le cite, « un homme humble et très attaché à notre île ».

J’ai essayé, à ma manière, de porter sur cet homme un éclairage à même de mettre en valeur d’abord les grandes qualités de l’humaniste qu’il était. Ce sont elles qu’il nous faut retenir, même si, comme chacun de nous, il avait, bien sûr, lui aussi ses faiblesses. Mais maintenant puisqu’il le faut bien, disons lui adieu, mais gardons de lui ce souvenir ému qui nous a rassemblés un moment, pour une dernière fois, autour de lui.

Dans ce cimetière marin cher à son cœur et où il a trouvé sa place, face à la baie du Meilleur Ancrage — dont il a par ailleurs cherché aussi à sonder le mystère — que, sous la bonne garde des siens, Bernard Marek repose en paix à jamais ».

Huguette Bello

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