Il y a 15 ans disparaissait Lucet Langenier

« Il a ouvert le chemin de l’espoir pour tout un peuple »

1er juillet 2008, par Edith Poulbassia

Lucet Langenier disparaît le 30 juin 1993. Alors maire de Sainte-Suzanne, conseiller régional et dirigeant du PCR, sa mort est un véritable choc pour la population, pour les Réunionnais. Celui que l’on surnommait « Kunta Kinté » a marqué les esprits par son courage politique, son engagement à défendre les opprimés et la culture réunionnaise. Hier, Sainte-Suzanne lui a rendu une fois de plus hommage, pour perpétuer sa mémoire, avec sa famille, ses amis, les militants. Bernard Batou, à l’époque journaliste à “Témoignages”, a entrepris une collecte des anecdotes, des souvenirs, des faits au sujet de Lucet Langenier. Il nous livre, à l’occasion de ce 15ème anniversaire de la mort de ce grand Réunionnais, une partie de ce travail de mémoire.

Pour Bernard Batou, trois hommes ont marqué l’histoire de Sainte-Suzanne : Edmond Albius, le Rwa Kaf et... Lucet Langenier. Il découvre cet homme politique alors qu’il est journaliste à “Témoignages”. Lucet Langenier lui propose de l’accompagner dans sa tournée des bureaux de vote lors des Municipales du 9 avril 1989. « De Bagatelle en passant par Jacques Bel Air, la Marine, Liberté-Bellevue, Commune Carron, Comune Ango, Quartier-Français... Lucet ne cessait de me parler de sa commune, de son histoire, de ses projets... », se souvient Bernard Batou. « En une journée passée avec lui, j’ai découvert un homme exceptionnel, attaché à sa commune, à son peuple, un visionnaire. Un homme simple, intelligent, proche de la population et qui avait pour unique ambition de servir la population, d’améliorer le bien-être des administrés. Il a ouvert le chemin de l’espoir pour tout un peuple », ajoute-t-il. (...)

Il passait de case en case

Parmi les personnes que Bernard Batou a rencontrées, on trouve Gabriel Boudia, 76 ans, compagnon de lutte de Lucet Langenier dès 1973. Cette année-là, le professeur du collège Hyppolite Foucque est candidat aux élections cantonales. Il n’est pas élu. Mais qu’importe, le combat ne fait que commencer. « Ses premières réunions publiques, c’était chez moi à Jacques Cargot, raconte Gabriel Boudia. Il fallait être courageux pour donner sa cour pour une réunion tenue par un communiste. Il savait communiquer avec les gens. Je me rappelle, un après-midi, il a débarqué chez moi et m’a dit : “Gabriel, allons marche un peu Bagatelle”. On a bu ensemble le café et il est passé de case en case, les gens l’accueillaient chaleureusement, c’était convivial. Lucet parlait, parlait... On ne voyait pas le temps passer avec lui. Jusqu’à 11 heures du soir, on était encore chez l’habitant qui nous attendait malgré l’heure tardive. Les gens faisaient part à Lucet de leurs problèmes, de leurs souhaits pour Sainte-Suzanne et surtout de leur volonté de changer complètement de politique. Je suis rentré chez moi, il était 1 heure du matin, on a bu à nouveau un p’tit rhum et un café. Ma femme m’a demandé ce que je faisais tout ce temps dans la rue. Le lendemain, Lucet était à nouveau présent ».

Cachés dans les champs de cannes pour écouter Lucet

Et Gabriel Boudia poursuit son récit : « Je le revois toujours à Bagatelle, sur la route de Camp Créole, près de la citerne. Il tenait ce jour-là un meeting. Le problème, c’est qu’en face de lui, il n’y avait pratiquement personne. Les gens étaient entassés et cachés dans les champs de cannes. Ils avaient peur de se montrer car parmi eux, il y avait des employés communaux et aussi des journaliers agricoles qui travaillaient sur les exploitations des gros propriétaires de Sainte-Suzanne. Gramoune “Gaté”, grand militant communiste qui était présent ce jour-là à la réunion, s’est fait dès le lendemain remonté les bretelles par le chef d’exploitation de Monsieur Barau. Il s’est fait insulter et menacer. Le chef lui a dit ne plus assister aux réunions de Lucet Langenier, sinon il serait licencié ».

Un “Kaf” à la mairie

Lucet Langenier est alors surnommé Kunta Kinté. Du nom d’un héros de la série télévisée “Racines” à la fin des années 1970 qui raconte la rébellion d’un esclave aux Etats-Unis. Lucet Langenier appartient à la couche de la population la plus démunie, et il le revendiquait. C’est pour ce peuple qu’il s’est battu. Issu d’une famille d’ouvriers du Port et descendant d’esclaves, il fredonnait parfois ces paroles de Tonton David : « Je suis d’un peuple qui a beaucoup souffert et qui ne veut plus souffrir ». Lorsqu’il est élu maire le 9 mars 1980, c’est l’explosion de joie. « Ceux qui l’ont élu, parfois au péril de leur emploi, voire de leur intégrité physique, étaient écrasés depuis des décennies par le mépris et les agissements de la grande bourgeoisie sainte-suzannoise », souligne Bernard Batou.
Un homme qui ose défendre la population opprimée, et qui plus est un Kaf, maire d’une commune ?! Voilà qui ne va pas plaire à la bourgeoisie de l’époque. Lucet Langenier remporte pourtant plus de 56% des voix. Mais à plusieurs reprises, on tentera de déstabiliser celui que le peuple a choisi. En 1985, on assiste à une « mascarade électorale », raconte Bernard Batou. Lucet Langenier est candidat aux Cantonales, face à Jacques de Chateauvieux, PDG des Sucreries de Bourbon. Lundi 18 mars, le Tribunal Administratif déclare Jacques de Chateauvieux « élu ». Pourtant, le deuxième tour de l’élection cantonale est marqué par une fraude d’une ampleur incroyable. En effet, « Jacques de Chateauvieux » a imaginé un signe distinctif pour contrôler le résultat des pressions exercées sur les domaines agricoles et pour contrôler les achats de vote. Un trait de stylo à bille noir relie discrètement le “e” du “De” au “c” de “Chateauvieux”. Les élections seront annulés en 1987 et Lucet Langenier est élu.

Pas de bulletin pour Langenier, mais élu quand même

Mais ce sont sans doute les événements de 1989 qui marqueront Sainte-Suzanne, et toute La Réunion. La Préfecture refuse de valider la candidature de Lucet Langenier aux élections municipales. Le maire ne peut se représenter car son dossier de candidature est jugé « incomplet ». Pourtant, un cas identique se produit à Saint-Joseph avec la liste de Fred K’Bidi, mais celui-ci n’est pas déclaré inéligible. La population en décidera autrement. « Nous voulons élire librement notre maire et il n’est pas question de nous laisser imposer un maire que nous n’aurons pas choisi », « Dimanche, il fo ou mèt Lucet an place, sé lo pèp ki vote... », « Battre Axel Boucher », déclarent les habitants de Sainte-Suzanne après les trois meetings tenus lors de la clôture de la campagne par Lucet Langenier à Jacques Cargot, Grande Ravine et Bagatelle. Le soir du 12 mars 1989, surprise, la liste de Lucet Langenier obtient 3.606 voix contre 3.201 à Axel Boucher. Celui qui n’était pas candidat est choisi par la population. « Mais Axel Boucher obtient l’annulation des élections. La candidature de Lucet Langenier est cette fois acceptée par la Préfecture, mais un autre candidat lui fait face, Noël Narayanin. La victoire ne sera que plus écrasante. Le 14 avril 1989, le candidat communiste est réélu à 92% des voix ». Dans les mémoires, Lucet Langenier restera le symbole de la lutte de tout un peuple pour l’égalité et la dignité. Une fierté pour les Réunionnais.

Edith Poulbassia

Lucet Langenier

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