Nos peines

Jean Séry n’est plus

2 novembre 2010

Notre ami Eugène Rousse a fait parvenir à “Témoignages” un hommage chaleureux et émouvant à Jean Séry, un grand militant syndical et politique réunionnais, décédé la semaine dernière à l’âge de 93 ans. Nous remercions Eugène Rousse pour ce document et notre journal s’associe d’autant plus à cet hommage que Jean Séry a toujours été un fidèle abonné de “Témoignages”. Nous adressons également nos sincères condoléances à tous ses proches.

Notre ami et camarade Jean Séry est mort dans la nuit du 27 octobre dernier à l’hôpital Gabriel Martin à Saint-Paul. Avec lui disparaît une des figures les plus attachantes du monde ouvrier réunionnais de l’immédiat après-guerre.
Né le 11 mai 1917 à Trois-Bassins, Jean Séry a occupé à compter de 1936 divers postes au chemin de fer et au port de La Pointe des Galets, avant d’être affecté à la Sécurité Sociale, à Saint-Denis, à la fin des années 1950.
Dans la ville portuaire comme dans le chef-lieu de l’île, ce fils d’agriculteur a laissé le souvenir d’un homme exceptionnellement dévoué et courageux, constamment soucieux de se mettre au service des autres.
Courageux, Jean Séry l’a été évidemment le 28 novembre 1942, lors de l’arrivée en rade de Saint-Denis des Forces Françaises Libres (FFL) venues rallier notre île à la France combattante. S’étant mis au Port à la disposition du “commissaire à la police et à l’autodéfense populaire” Léon de Lépervanche, il est affecté ce jour-là d’abord au mât de vigie placé à l’entrée du port, puis au central téléphonique de la ville, où il assure la liaison entre le commandant Barraquin (des FFL) resté à Saint-Denis et la Mairie du Port.
Après la libération de la cité maritime, qui entraîne celle de toute l’île, Jean Séry est chargé de noter sur un registre les caractéristiques et le nom des propriétaires de toutes les armes entreposées à la mairie par les Portois.

Combattant contre la fraude électorale

Courageux, Jean Séry l’a été également le 25 mars 1962, lors de l’assaut ordonné par le préfet Jean Perreau-Pradier contre la Mairie du Port, à l’occasion d’une élection municipale partielle, qui ne fut qu’une sanglante mascarade.
Ce 25 mars 1962, l’ancien cheminot, candidat sur la liste conduite par le communiste Raymond Mondon, dont il est le mandataire au deuxième bureau de la mairie, attend l’ouverture du scrutin, en portant en bandoulière un appareil photographique. Lorsque le chef de cabinet du préfet, Jean Cluchard, fait irruption dans la cour de la mairie, accompagné d’hommes, de sac et de corde, il s’empresse de le photographier. Il est immédiatement interpellé par l’officier de police Perrier, qui lui fait observer qu’il est interdit de prendre des photos un jour d’élections et le somme de le suivre à l’étage de la mairie. Devant le refus catégorique de Jean Séry, combattant contre la fraude électorale, le ton monte entre les deux hommes, rapidement encerclés par des gendarmes en tenue de combat. Il s’ensuit une vive altercation, qui entraîne le bris de l’appareil photo. Afin de rendre le film inexploitable, Jean Séry s’en empare, le déroule avant d’aller s’asseoir dans son bureau de vote.
La scène s’est passée sous les yeux de Jean Cluchard, accoudé sur le balcon de l’étage de la mairie.
Le bruit court alors que la police a reçu l’ordre d’éliminer “l’homme en jaune”. Le jaune étant la couleur du costume de Jean Séry. Afin d’empêcher l’exécution de ce projet diabolique, ce dernier est prié amicalement par son colistier Louis Payet de rentrer chez lui. Ce qu’accepte Jean Séry, mais uniquement pour changer de costume. Car il ne tarde pas à revenir s’asseoir au deuxième bureau. Bureau qu’il ne se résoudra à quitter à la clôture du scrutin que lorsqu’il apprendra que son expulsion par la force est imminente.

Militant syndical bénévole

Il me faut signaler que dans sa vie professionnelle, tant au C.P.R. (Chemin de fer et Port de La Réunion) qu’à la Sécurité Sociale, Jean Séry a été irréprochable. Il était d’autant plus estimé de ses collègues qu’en sa qualité de responsable syndical, il se tenait toujours prêt à les conseiller et à veiller à ce qu’ils ne soient pas victimes d’injustices.
C’est parce qu’il se sentait comptable des intérêts de tous les travailleurs qu’après avoir pris sa retraite professionnelle, Jean Séry a accepté de tenir bénévolement, au siège de la CGTR, une permanence où il recevait quotidiennement tous ceux qui le sollicitaient pour assurer leur défense devant le Conseil des Prud’hommes.
Désireuse d’exprimer à Jean Séry sa gratitude pour les précieux services rendus à ses concitoyens, la municipalité portoise lui a remis le 28 novembre 1992, au cours d’une émouvante cérémonie, le diplôme de “Citoyen d’honneur de la ville du Port”.
Dans sa réponse au maire, le récipiendaire ne cacha pas sa joie d’apporter son concours à l’édification à La Réunion d’une société plus solidaire et plus respectueuse des droits de chacun de ses membres.
Jean Séry est mort sans avoir pu constater un début de réalisation de son rêve. Aussi, la meilleure façon de lui rendre hommage est de continuer son combat.
Que Madame Séry, ses enfants et petits-enfants veuillent bien trouver ici l’expression de la sympathie de ceux qui ont connu et estimé l’être cher dont ils pleurent aujourd’hui la disparition. Qu’ils sachent que leur douleur est aussi celle de tous les progressistes de l’île.

Eugène Rousse


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