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« L’égalité doit être l’affaire de tout le monde… »

Hommage au Père René Payet

mardi 13 septembre 2011


Militant contre la fraude électorale, militant du rassemblement des Réunionnais, militant de l’égalité, le Père René Payet s’est profondément investi dans les luttes de son peuple au cours des 50 dernières années.
C’est grâce à des militants de l’envergure de René Payet que les Réunionnais ont aujourd’hui la possibilité d’utiliser le suffrage universel pour s’exprimer, comme n’importe quel autre citoyen de la République.
Dans un article que nous publions ci-après, Eugène Rousse revient sur plusieurs combats menés par le Père René Payet.


Un article d’Eugène Rousse

« Hommage au père René Payet »

La nouvelle du décès, jeudi dernier 8 septembre, du père René Payet a provoqué une vive émotion au sein de la quasi totalité de la population réunionnaise et la bonne couverture médiatique de l’annonce de sa mort ainsi que de ses obsèques est le témoignage de la reconnaissance du rôle exceptionnel joué par le défunt tant au sein de l’Église que sur la scène politique locale.
Ami de 60 ans du père René Payet que je rencontrais régulièrement chez un de ses parents à la Rivière Saint-Louis au début des années 1950, je me propose d’évoquer brièvement les temps forts de son combat politique en me limitant à ceux auxquels j’ai été à ses côtés.

• La création de l’association pour le déroulement normal des opérations électorales (ADNOE)

Persuadé que l’action politique est le complément indispensable de son engagement pastoral, le père René Payet a condamné en termes très durs la fraude électorale institutionnalisée dans l’île à partir de 1957. Il suffit pour s’en convaincre de consulter le journal diocésain "Croix-Sud" qu’il a dirigé de 1964 à 1970. Ses prises de position que j’approuvais totalement dans le journal "Autour de l’École" - une publication de la Fédération des œuvres laïques (FOL) et dont j’étais le directeur - lui ont valu des menaces de poursuites judiciaires de la part de la préfecture.

Ce qui ne l’a pas empêché de continuer son combat pour que le suffrage universel soit respecté à La Réunion et pour que les fraudeurs électoraux ainsi que leurs complices cessent de bénéficier d’une impunité scandaleuse. Ses persévérants efforts ont abouti, pour l’honneur de la démocratie, à la création en décembre 1969 de "l’Association pour le déroulement normal des opérations électorales" (ADNOE) dont la première assemblée générale se tint le 8 janvier 1970 à la "Maison des œuvres" qu’il dirigeait et qui était implantée à Saint-Denis à l’emplacement actuel du siège du Conseil général.

Grâce au travail considérable de cette association qui était déjà dans les esprits de démocrates de toutes confessions et dont le père Payet était l’un des principaux animateurs, les municipales de Saint-André des 14 et 21 décembre 1969 se sont déroulées pour la première fois depuis 1957 dans un calme relatif, de même que les cantonales des 8 et 15 mars 1970 dans la moitié des communes de l’île. Ainsi débutait l’assainissement du climat électoral dans notre île…

• La création du Parti socialiste réunionnais (PSR)

Désireux de participer pleinement à la vie politique réunionnaise, le père René Payet a été le cofondateur du Parti socialiste réunionnais le 1er octobre 1972. Cette formation politique à laquelle j’avais adhéré était particulièrement active dans le sud de l’île. Elle était dirigée notamment par le maire de Saint-Philippe Wilfrid Bertile, le maire de Saint-Louis Christian Dambreville et le futur maire de la Petite-Ile Christophe Payet. Le père René Payet, affecté à la paroisse de Saint-Pierre, assistait régulièrement aux réunions mensuelles qui se tenaient soit à la salle d’œuvres de la cure de Saint-Pierre, soit à la mairie de Saint-Louis ou encore chez Marcel Baum, directeur d’école à l’Etang-Salé-les-Bains. Ces réunions parfois houleuses s’achevaient généralement tard dans la nuit. Rédacteur le plus fidèle de "Combat socialiste", le journal du PSR, le père Payet ne ménageait pas ses efforts pour tenter de rapprocher les points de vue. Il n’y parvenait pas toujours. Ce fut notamment le cas lors des élections municipales des 13 et 20 mars 1977 à Saint-Louis.

À ces élections, le maire PSR Christian Dambreville, élu le 21 mars 1971 – ce que personne n’a jamais contesté - grâce au Parti communiste réunionnais, estima qu’il lui appartenait de conduire une liste d’union de la gauche en sa qualité de maire sortant. Refus du PCR qui lui proposait de figurer sur une liste conduite par le communiste Gervais Barret, celui-ci ayant toutes les chances de battre dès le premier tour une droite revancharde ayant à sa tête le député Jean Fontaine qui, plus tard, adhéra au Front National. En réalité, le contentieux portait également et sans doute surtout sur la composition d’une éventuelle liste PCR-PSR. Convaincu qu’il pouvait conserver son fauteuil de maire sans l’aide des communistes, Christian Dambreville, dès le 25 février, annonçait à la presse sa candidature sur une liste exclusivement PSR. Une semaine plus tard, le secrétaire général du PCR, Paul Vergès, me proposait une mission de conciliation à Saint-Louis. En quittant son domicile dionysien, à ma demande, je rencontrai Wilfrid Bertile dans un restaurant du chef-lieu, puis je prenais contact avec l’inspecteur des PTT Paul Cérou également membre du PSR et je téléphonai au père René Payet. Ces deux derniers s’empressèrent de répondre présents au rendez-vous prévu quelque temps après chez Marcel Baum à l’Etang-Salé. Nous y rencontrâmes, comme convenu avec Bertile, une délégation du PSR conduite par Christian Dambreville. Malgré les arguments avancés, surtout par René Payet, sur la nécessité de l’union face à la droite, nous nous séparâmes sur un constat d’échec.

Les résultats du scrutin du premier tour le 20 mars (10,97% des voix à la liste Dambreville et 40,65% à celle de Gervais Barret) confirmaient la justesse des prévisions de ceux qui, comme le père René Payet, avaient proposé que nous options pour une liste d’union conduite par Gervais Barret. Mais entre les deux tours de scrutin, René Payet connut sa plus lourde déception avec ce qui, pour lui, était inimaginable : Christian Dambreville refusa catégoriquement le désistement qui lui était proposé par le candidat communiste. C’était la blessure qui marque profondément. Et, en toute logique, Jean Fontaine fut élu au second tour.

Dès le lendemain de ce triste épisode de la vie politique d’une commune qui lui était particulièrement chère, René Payet se retira du PSR. Désireux toutefois de rester au service du monde du travail, il se mit à la disposition du PCR dont il sera l’un des représentants lors de diverses élections. Il accepta également d’être journaliste à Témoignages. Une mission qu’il remplit pendant trois ans, tout en consacrant ses week-ends à la paroisse de la Rivière Saint-Louis à laquelle il était si attaché.

« • Appel du « Comité du 19 mars pour l’Égalité »

Après le séjour, les 8 et 9 février 1988 du président François Mitterrand à La Réunion et sa très probable candidature à l’élection présidentielle du 24 avril, le père Payet et moi-même, avec le soutien d’Élie Hoarau, avions pris l’initiative de créer, à l’occasion du 42ème anniversaire de la départementalisation de l’île, un comité intitulé "Comité du 19 mars pour l’Égalité". Ce comité (provisoire) donna le 17 mars au Port une conférence de presse bien couverte par les médias. L’occasion fut ainsi offerte au père Payet de faire observer que « l’égalité doit être l’affaire de tout le monde… », qu’il est « scandaleux qu’une loi vieille de 42 ans ne soit pas appliquée à La Réunion… » et que « le temps du mépris doit prendre fin dans les plus brefs délais… »

L’appel lancé ce jour-là par le Comité à tous les Réunionnais à se rassembler au Port quelques jours après reçut un large écho. Le samedi 19 mars 1988, plus de 15.000 personnes se pressaient au parc de l’Oasis sous une forêt de pancartes et de banderoles portant les slogans « Justice et Égalité ». Le meeting, d’une durée de deux heures, s’acheva par le vote dans l’enthousiasme d’une résolution se terminant par ces mots : « Le 20 décembre, c’est la liberté… le 19 mars, c’est l’égalité ».

Le 18 octobre 2008, 20 ans après ce rassemblement du 19 mars 1988, je me retrouvai aux côtés du père Payet sur la scène du "Conservatoire de Saint-Benoit" pour recevoir le précieux diplôme que le Conseil Régional nous remettait en récompense de nos recherches visant à mieux faire connaître le passé de notre île. Ce jour-là, après avoir évoqué des souvenirs remontant à la décennie 1950, le père Payet, visiblement diminué physiquement, me confia qu’il était sur le point de perdre le combat qu’il livrait au crépuscule de sa vie.

Trois années se sont écoulées au cours desquelles j’apprenais périodiquement que l’issue fatale était inéluctable.

La nouvelle du décès du père René Payet ne m’a donc pas surpris, mais m’a profondément attristé. De l’avis général, La Réunion vient de perdre l’un des meilleurs de ses fils. La foule qui se pressait samedi à ses obsèques à Saint-Pierre lui a rendu l’hommage qu’il méritait. Que tous ses proches sachent que leur deuil est aussi le nôtre.

Eugène Rousse


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