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L’égalité toujours au cœur des luttes

12 octobre 1988 - 12 octobre 2011

mercredi 12 octobre 2011, par Manuel Marchal


Il y a 23 ans, Laurent Vergès nous quittait brutalement. Le lendemain, il devait prononcer à l’Assemblée nationale un discours pour l’application de l’égalité dans le Revenu minimum d’insertion. 23 ans plus tard à la tribune du Sénat, Paul Vergès rappelait que l’égalité pour les citoyens du monde est un combat de ce 21ème siècle.


Le 12 octobre 1988, Laurent Vergès disparaissait tragiquement. Le lendemain, il devait prononcer à la tribune de l’Assemblée nationale un discours fondateur : l’égalité doit s’appliquer dès la première loi sociale présentée par le gouvernement du changement.
Un an auparavant, le 19 octobre 1987, Laurent Vergès partait à l’Assemblée nationale en tant que député porter la revendication de l’égalité, avec son badge « Nou lé pas plis, nou lé pas moins, respect’a nou ». À cette époque, le gouvernement refusait d’appliquer l’égalité pourtant promise aux Réunionnais depuis le 1er janvier 1947.
40 ans plus tard, le pouvoir parisien avait fait voter un texte qui inscrivait dans la loi l’impossibilité pour les Réunionnais d’obtenir l’égalité. À cette époque, plusieurs prestations sociales existant en France étaient interdites aux Réunionnais, comme l’API. De plus, les travailleurs privés d’emploi n’avaient droit à aucune allocation familiale, alors qu’en France, ce droit s’appliquait à tous. Quant aux salariés du privé, les prestations versées étaient en moyenne la moitié de ce que touchaient les travailleurs de France.
Les conditions de la lutte étaient alors très difficiles, avec un pouvoir central et des relais locaux qui tentaient de persuader les Réunionnais qu’ils étaient de toute façon des inférieurs.

Un principe

Le Parti communiste réunionnais a mené la bataille pour le respect de la dignité du Réunionnais. Cette lutte a été gagnée grâce à l’engagement des plus pauvres dans le combat. C’est le peuple qui a réussi peu à peu à arracher l’égalité.
À Paris, ce combat était soutenu par les parlementaires PCR. En 1988, François Mitterrand avait été réélu, il était le candidat de l’égalité. Son programme prévoyait aussi une loi sociale dont nous mesurons encore aujourd’hui les effets : la création d’un Revenu minimum d’insertion (RMI).
Mais dans la loi, il était prévu que les Réunionnais reçoivent un montant inférieur à celui des allocataires vivant en France. Laurent Vergès devait alors intervenir le 13 octobre à l’Assemblée nationale pour rappeler la nécessité d’appliquer dès le départ l’égalité, socle de progrès futurs qui passeront par le développement et la responsabilité.

La Réunion, Mayotte et le monde

23 ans plus tard, Paul Vergès a la responsabilité de présider la séance inaugurale du nouveau Sénat. Au cours de son intervention, il explique que la bataille pour l’égalité s’étend désormais à tous les peuples du monde. Son règlement ne dépend plus en effet de l’action d’un seul pays, mais il dépend d’une réflexion globale, pour des solutions qui ne laisseront personne de côté.
Le monde connaît en effet des phénomènes qui poussent à l’accroissement des difficultés, avec la conjonction de la croissance démographique, du changement climatique et de la mondialisation des échanges.
L’égalité, c’est aussi ce que demandent les Mahorais en lutte depuis plus de deux semaines. C’est en effet l’application des mesures sociales qui permettra d’atténuer l’urgence de la crise avant que ne soit mis en œuvre un plan de développement.
Tous ces facteurs de tension menacent la cohésion du monde. Or, la technologie permet aujourd’hui au monde de produire suffisamment de nourriture et d’énergie pour tous, l’égalité est donc possible. À nous d’amplifier la lutte pour que cette égalité se réalise.

M.M.


« Dans les DOM, ce sont toujours les plus pauvres qui payent »

Voici de larges extraits du discours que Laurent Vergès devait prononcer le 13 octobre 1988, pour que l’égalité s’applique dès la première loi sociale présentée par le nouveau gouvernement.

« La première grande loi sociale que le gouvernement doit mettre en œuvre ne doit pas — dans les Départements d’Outre-mer — être marquée du sceau de l’inégalité.
Concernant les DOM, c’est à plusieurs reprises que le Président de la République s’est publiquement prononcé en faveur de l’Égalité.
Le 26 avril dernier, il déclarait, sur le parvis de la mairie des Abymes, en Guadeloupe : « L’Égalité, cela doit être entrepris avec énergie. C’est dans les moyens de la France ».
Sur la base de cet engagement, Guadeloupéens, Guyanais, Martiniquais et Réunionnais portaient massivement leurs suffrages sur le nom de François Mitterrand.
Il est de notre devoir aujourd’hui d’appliquer ce principe d’Égalité en le faisant entrer dans la vie concrète des familles des Départements d’Outre-mer.
Ne pas satisfaire à cette puissante aspiration à l’Égalité signifierait alors qu’il existerait une profonde contradiction entre le discours et la pratique. Cela signifierait également la perpétuation d’un système discriminatoire qui dure depuis plus de 40 ans. Discriminations qui font que, dans les DOM, ce sont toujours les plus pauvres qui payent, les plus défavorisés qui se voient refuser les modestes moyens d’accéder à une élémentaire dignité.
Perpétuer cette inégalité serait légaliser l’injustice. Perpétuer cette inégalité serait tenter de faire fi du combat engagé — voici 40 années — par Raymond Vergès, Aimé Césaire et tous leurs amis.
(...) Ce débat sur l’application du Revenu minimum d’insertion permet d’évoquer également les problèmes de la protection sociale dans les DOM, de la situation de l’emploi, de la nécessaire revalorisation du SMIC, des importantes disparités entre les revenus, du déséquilibre de la balance commerciale, des moyens à mettre en œuvre pour favoriser l’investissement sur place des capitaux, etc., en un mot, une accumulation d’incohérences et de contradictions.
Cette situation existe sans le RMI. Mais il serait inadmissible de suivre la tradition selon laquelle, chaque fois qu’il est question d’étendre aux DOM le bénéfice de telle ou telle disposition, aussitôt lui sont opposés des problèmes préexistants et dont la solution ne dépend nullement de l’application ou pas de cette disposition ; en l’occurrence aujourd’hui, le Revenu minimum d’insertion.
Eh bien, ces problèmes de fond, nous devons avoir le courage de les affronter enfin.

Dans les 12 mois qui viennent, nous disons au gouvernement qu’il faut que nous mettions en œuvre les instruments de l’indispensable révision globale que, dans les DOM, tout le monde attend.
C’est dans ce but que nous renouvelons ici notre proposition d’organiser dans nos pays des Assises du Développement chargées d’élaborer des solutions de nature à nous placer enfin sur la voie du développement. Et ce sont ces solutions qui seraient ensuite proposées au gouvernement et discutées afin qu’elles entrent dans les faits.
Ainsi serait appliqué à nos pays un processus analogue à celui qui est intervenu en Nouvelle-Calédonie : amener tout d’abord Guadeloupéens, Guyanais, Martiniquais et Réunionnais à s’entendre respectivement entre eux sur des solutions d’avenir avant d’en discuter avec le gouvernement et d’en organiser ensemble l’application.
Il faut sortir de l’ère de l’assistance et entrer dans celle de la responsabilité et du partenariat.
Nous voulons croire que le processus proposé sera effectivement mis en œuvre dans ce délai d’un an. Tous, nous devons savoir que, passé ce délai, si rien n’avait changé, alors la déception serait à la mesure des immenses espoirs massivement exprimés au cours de ces derniers mois.
Nous-mêmes serions alors, et comme toujours, du côté des victimes. »


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