Liberté et Egalité ont été les deux piliers du processus de réconciliation et de fraternisation sud-africaine.

La Réconciliation est un combat pour la Fraternité

16 décembre 2013

Voici un extrait du livre ’Réconciliation et fraternité’ d’Ary Yee Chong Tchi Kan. Témoignages le rediffuse aujourd’hui en hommage à un homme qui a su prôner tout au long de sa vie ces valeurs Nelson Mandela.

« La réconciliation n’est pas une posture morale ou une proclamation, mais bien une volonté politique, assumée dans des conditions historiques données, où parfois les blessures sont encore béantes. Mais, là encore, l’engagement est nécessaire et la réalité dicte ses lois. Le dirigeant politique est face à son destin et il doit se déterminer au nom d’intérêts supérieurs.

Prenons le cas de la rencontre de Gaulle-Adenauer au domicile du premier, le 14 septembre 1958, soit treize ans après la Seconde Guerre mondiale, qui s’était soldée par des millions de morts et de blessés, dans chaque camp. Le sang versé devait-il empêcher la réconciliation ? Les dirigeants des anciennes puissances ennemies ont décidé, malgré les blessures encore ouvertes de la mémoire, de tourner la page de l’Histoire. Et, qu’a retenu celle-ci ? : la trahison ou l’espérance ? Cela a consolidé la voie ouverte à la création et à l’élargissement de l’Europe afin de constituer une base d’équilibre par rapport aux Etats-Unis et l’URSS. Cela s’est passé au lendemain de la signature du Traité de Rome, signé en 1957.

A Chypre, le Président communiste élu au Sud, le 25 février 2008, Christofias Démitris, lance un appel à son homologue du Nord, à partir d’une démarche de codéveloppement et de coresponsabilité, dirigeant du territoire sous occupation de la TURQUIE, pour la réconciliation et l’unité du pays. La rencontre a eu lieu le 21 mars 2008, soit un mois à peine après l’appel ! Cet exemple de célérité est, évidemment, dicté par des réalités objectives, mais, surtout par la volonté politique de réconciliation de sortir de l’impasse d’un conflit qui remonte à 1974 et qui s’est terminé par la partition de l’île. Mais, au fondement, il y a une conviction partagée : la réunification du pays et l’intégration européenne.

Plus près de nous, lorsque Mandela prend le pouvoir, les prédictions sont des plus pessimistes. Il propose un dépassement du conflit racial et appelle à l’Unité sur une base d’Egalité. Le vieil antagonisme Blanc-Noir doit céder la place à la Citoyenneté. Il avance un cadre opérationnel : la Commission Vérité et Réconciliation où chacun peut venir libérer sa conscience et retrouver sa place dans le nouvel ensemble. Cette idée originale, pour réconcilier les Blancs et les Noirs, dans une perspective historique de l’unité du peuple sud-africain, tranche avec d’autres expériences où la prise de pouvoir signifie l’écrasement et l’humiliation de l’autre, quand ce n’est pas l’exécution pure et simple de l’adversaire. Ce processus a été mené à bien avec maîtrise et sang-froid, en surmontant les passions et ressentiments primaires qui se font jour dans le camp des vainqueurs comme dans celui des vaincus.

Les 27 ans de prison, passés sous un régime des plus barbares, n’ont pas réussi à ébranler la conviction que Mandela s’était forgée, du respect de l’Homme, en général, et du Sud-Africain, en particulier. Et, c’est en toute lucidité, sans illusion devant l’immensité de la tâche qu’il invite ses amis à la réflexion : « nous ne sommes pas encore libres. Nous avons atteint la liberté d’être libre ». « Je ne suis pas libre si je prive quelqu’un d’autre de sa liberté ».

Liberté et Egalité ont été les deux piliers du processus de réconciliation et de fraternisation sud-africaine.

Les démarches de réconciliation et de fraternisation ne sont pas sans obstacle. De tout temps, des sectaires, des fanatiques et des inconscients ont agi pour empêcher le progrès. Souvent, l’espace et le temps d’action sont très restreints : saisir l’instant propice suppose une conscience commune des réalités, le charisme des acteurs ainsi qu’une bonne analyse du rapport des forces en présence. La sous-estimation de ce dernier paramètre peut faire échouer de nombreux projets.

En 1978, l’Italie connaît une crise sociale et politique exceptionnelle. Des élections ont lieu qui font apparaître deux forces d’égale importance, mais sans majorité : le PCI (Parti Communiste Italien) de Enrico Berlinguer et la DC (Démocratie Chrétienne) de Aldo Morro. Devant l’impasse, les deux dirigeants décident de signer un accord connu sous le vocable de « compromis historique », initiative inimaginable à l’époque. A quelques heures de la signature, le dirigeant de la Démocratie Chrétienne est enlevé. Il sera assassiné 55 jours après. Cet événement mit fin à un processus qui, au-delà de la politique intérieure italienne, aurait ouvert, en pleine Guerre froide, une brèche dans le glacis Est-Ouest.

En Israël, le 4 novembre 1995, Itzhak Rabin est poignardé par un fanatique d’obédience juive orthodoxe, à la veille de la signature d’un traité de Paix avec l’Autorité palestinienne de Yasser Arafat qui devait prolonger un Accord de Paix conclu en 1993 avec l’OLP, à Stockholm. Les suites de cet événement tragique ont conduit à une situation d’impasse. A contrario, on peut aisément imaginer le progrès et la réconciliation que la paix aurait immanquablement amené au Proche-Orient et dans le Monde.

En Inde, Mahatma Ghandi est assassiné car il prônait l’unité du peuple indien, dans une démarche de non-violence, face à la colonisation anglaise qui avait organisé la division du pays sur une base raciale et confessionnelle : le Pakistan, musulman et l’Inde, laïque, mais à dominante hindou. Il est assassiné par un nationaliste hindou, le 30 janvier 1948, quelques mois après l’indépendance obtenue le 15 août 1947.

Aujourd’hui, encore, le cas indien donne à penser. Les colonisateurs d’hier devraient rougir de honte, en constatant que Manmohan Sing a assumé le poste Premier ministre alors qu’il est de confession sikhe, minoritaire ; qu’ Abdul Kalam, Président en 2007, est musulman, et que le chef du plus grand parti historique, Sonia Gandhi, dont le mari fut assassiné, est de confession chrétienne, et d’origine italienne de surcroît. La Constitution de ce pays laïque pose les termes d’une fraternité indienne sur le fait qu’aucune personne ne peut être élue sur des critères de « religion, race, caste ou sexe ».

De ces quelques exemples, il faut retenir qu’en tout temps, en tous lieux, les partisans du progrès affrontent ceux de la perpétuation des divisions. Des alliés objectifs se recrutent dans les 2 camps. Ils sont unis par la radicalisation.

Mais, avec bientôt 10 milliards d’habitants, notre planète peut-elle réellement emprunter d’autres voies que celle de la coresponsabilité, débarrassée de tout esprit sectaire, pour progresser vers l’égalité et la fraternité ?

Dans ce domaine, plus qu’ailleurs, l’expérience sert de référence.

L’expérience de la MCUR

Le monde actuel se distingue dans la lutte en faveur de la sauvegarde de la diversité biologique ; mais n’est-il pas surprenant qu’on s’occupe plus de la survie des plantes et des animaux alors que les êtres humains sont des laissés pour compte ? 

Paul Vergès et Marie Claude Tjibaou ont lancé un Appel au respect de la diversité culturelle, le 11 novembre 1999, à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, sous le mot d’ordre :  « Oui, à l’universelle, non, à l’uniformité ». Elu à la Présidence du Conseil Régional, en 1998, Paul Vergès a traduit l’esprit de ce texte de référence dans un projet culturel intitulé : Maison des Civilisations et de l’Unité Réunionnaise (MCUR). C’est un formidable outil qui œuvre à la Réconciliation et la Fraternité.

Dès son peuplement, La Réunion a été un espace de socialisation où a pris corps le génie collectif réunionnais. Les générations successives ont développé cette expérience ; mutualisant leurs héritages respectifs, elles ont donné le jour à une nouvelle réalité, la civilisation réunionnaise.

La construction de ce mode d’existence peut être notre contribution décisive au patrimoine de l’Humanité, dans une société globale où l’épanouissement collectif et individuel passe par la connaissance mutuelle.

Nous devons prendre conscience de la perte immense que constitue la disparition dans l’oubli de chaque Réunionnais. Dans une société de la connaissance, nous sommes tous témoins et acteurs d’un véritable gâchis. Qui a intérêt que se perpétue cette ignorance qui contribue à l’étouffement culturel des Réunionnais ?

Le travail entrepris par les collecteurs de la mémoire de la MCUR nous montre la voie, pour faire de La Réunion le premier endroit au monde où les morts ne seront plus des bibliothèques qui disparaissent. Leur trésor de savoir, de savoir-faire et de savoir-vivre seront toujours à dispositions de la connaissance.

La jeune société réunionnaise a besoin de tels lieux communs, de reconnaissance mutuelle et de fraternisation, pour consolider sa mémoire et structurer son devenir.

C’est le début de la constitution du patrimoine commun mémoriel pour une histoire partagée qui ne sera plus, cette fois-ci, à sens unique du courant dominant ».


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