Hommage à l’Abbé Pierre

La voix des démunis et des salariés de la boutique solidarité

24 janvier 2007

La mort de l’Abbé Pierre a suscité de nombreux témoignages de sympathie et d’admiration pour cet homme qui a dédié sa vie aux plus démunis. Hommes et femmes politiques, présidents d’associations, religieux... Mais au fond, ce sont ceux qui fréquentent au quotidien la fondation Abbé Pierre, et ses boutiques solidarités, qui peuvent aujourd’hui le mieux s’exprimer. Les sans-abri, les bénévoles, les salariés de la fondation. Témoignages de vie.

• Alix, 39 ans : 7 ans à la boutique Solidarité de Saint-Benoît

« Le respect est un art de vivre, une hygiène de vie »

Je viens à la boutique solidarité presque tous les jours depuis 7 ans. La mort de l’Abbé Pierre m’a beaucoup touché, je l’appréciais beaucoup. Mais pour moi, il n’est pas mort. Son œuvre continue, il a laissé plein de choses derrière lui : les bénévoles qui nous accompagnent à la boutique solidarité, les valeurs de fraternité que nous avons découvert, une famille. Ici, j’ai appris à respecter les autres et donc moi-même.
Avant, j’avais une certaine idée du respect, mais je n’avais pas compris cette valeur de façon aussi profonde. J’ai appris à apprécier le respect, j’ai beaucoup progressé et j’ai découvert mon identité. Maintenant je travaille, j’ai un toit, j’ai arrêté l’alcool et le reste.
Aujourd’hui encore, ce n’est pas facile de tenir bon, mais chaque jour, je m’accroche, en venant à la boutique Solidarité. C’est ma cure. Ici, je peux discuter avec les copains, et les animateurs sont à notre écoute. Je connais tout le monde ici. C’est vraiment comme une grande famille. J’aime venir donner un coup de main à la boutique. Je viens aussi pour les fêtes de fin d’année. Pourtant, j’ai la possibilité de faire autre chose, mais je préfère partager avec mes amis.
Quand je croise un copain dans la rue et qu’il a besoin de quelque chose, je lui donne, je l’aide comme je peux. Alors qu’avant, avec certaines personnes, c’était les bagarres et les vols. Maintenant, nous sommes devenus amis, voire meilleurs amis. Tout ça grâce au respect. Aujourd’hui, je le sais, le respect est un art de vivre, une hygiène de vie. Je sais que je reviens de très loin et que je dois encore m’accrocher pour m’en sortir. Mais à force de galérer, d’avoir connu la faim et le froid, on s’aperçoit que l’on peut y arriver. Je compte bien donner l’exemple.

• Roger, habitué de la boutique Solidarité

« Et après l’Abbé Pierre ? »

La boutique Solidarité est là pour essayer d’aider ceux qui veulent s’en sortir. On peut venir se laver, on peut y manger le midi et le matin. La boutique organise aussi des sorties. Je viens souvent à la boutique Solidarité quand j’ai fini de m’occuper de mes animaux et de laver mon linge chez moi. J’aime bien venir discuter avec les copains. Mais ça me désole un peu de voir que certains n’ont pas la volonté de s’en sortir. C’est pourtant possible. J’ai un ami qui s’est retrouvé à la rue à 14 ans.
Maintenant, il doit avoir une vingtaine d’années et il est mécanicien. Je suis content pour lui ! Les autres peuvent le faire aussi s’ils le veulent vraiment. Je suis prêt à aider mes camarades dans le chemin, mais il faut qu’ils comprennent que l’alcool, ce n’est pas bon.
L’Abbé Pierre est mort à 94 ans. Et nous, est-ce que nous arriverons à cet âge-là ? Est-ce que nous pourrons poursuivre ses actes ? Les boutiques Solidarité vont-elles continuer ? Pour ma part, j’irai rendre hommage à l’Abbé Pierre ce vendredi à la messe. Je prierai pour lui et pour mes camarades.

• Alex, 28 ans : depuis 4 ans à la rue

« On dort même sous la pluie

Je viens tous les jours à la boutique Solidarité. J’aide un peu à faire la vaisselle, à couper l’herbe, à planter des fleurs. Depuis 4 ans, je vis dehors. Je me suis retrouvé à la rue quand je suis sorti de l’hôpital. J’étais dans le coma. Je n’ai pas repris contact avec ma famille depuis parce que je ne veux pas qu’elle me voie dans cet état. Sans argent, désœuvré. J’ai un petit garçon et une petite fille. Je ne veux pas qu’ils voient leur papa comme ça. Alors je ne donne pas de nouvelles. J’ai déjà essayé de travailler. J’ai tenu 3 mois. Depuis 4 ans, je suis dans cet état.
La vie dehors n’est pas facile. Surtout en ce moment où il pleut beaucoup. J’ai attrapé la grippe. C’est chacun pour soi, on est obligé de se déplacer. Pas chaque nuit, mais souvent. On dort aussi sous la pluie. On n’a pas de matelas, de couverture. On se fait racketter par des jeunes qui veulent de l’argent. Ils ne se demandent pas si cet argent, on doit le rembourser à quelqu’un. Ils le prennent. Je dors parfois dans la voiture d’un camarade. Et je mange rarement le soir.

• Nadine, Antoinette et Lise : salariées de la boutique Solidarité

« Nous sommes une famille »

Trois femmes de cœur à la boutique Solidarité de Saint-Benoît : Nadine, cuisinière et animatrice, Antoinette, agent de liaison, et Lise, animatrice. Elles s’occupent de servir le petit-déjeuner, le déjeuner et l’hygiène... et surtout elles tiennent compagnie aux personnes qui passent leur temps à la boutique. Les parties de jeux de société sont l’occasion de se réunir pour discuter et rire. Le rire, surtout, ne manque pas. C’est une famille ici, explique Lise. Les sans-abri viennent, mais ils savent qu’ils faut donner un petit coup de main de temps en temps. On doit parfois crier un peu, mais ils participent. Pendant les fêtes aussi, nous sommes ensemble. L’année dernière, nous avons passé un joyeux Noël, avec la chorale de Cambuston, l’orchestre en cuivre de Sainte-Anne...
Pour Nadine, Antoinette et Lise, l’Abbé Pierre laisse derrière lui des valeurs. Avant tout, « essayer d’être humain avec chaque individu et comprendre tout le monde », bref, être généreux.

• Amine Alibhaye, Président de la Fraternité des Musulmans de La Réunion

« Un exemple vivant de la piété vraie »

L’Abbé Pierre fut un exemple vivant de la piété vraie, exprimée par ses paroles et mise en œuvre dans ses actes, là où se rejoignent toutes les vertus et les valeurs spirituelles. Fidèle dans la foi et l’amitié, dans son dévouement au sort des plus nécessiteux et des laissés-pour-compte de notre société, il attendait patiemment le moment du grand retour vers Son Créateur, sans aucun attachement aux valeurs de ce monde.
C’est un exemple qui transcende les religions.
Puisse-t-il reposer en paix, la paix des braves, la paix des justes, la paix des pieux.

• Marie-Hélène Berne, pour l’Union des femmes réunionnaises

« Une des personnalités préférées des Français »

« Si mettre un préservatif est un péché, ne pas en mettre est un crime », c’est une phrase de l’Abbé Pierre qui montre en peu de mots la profonde détermination humaniste de cet homme d’Église... C’est son engagement aux côtés des plus démunis qui a fait de l’Abbé Pierre l’une des personnalités préférées des Français. Sa silhouette drapée dans une grande pèlerine, sa voix forte aux accents rocailleux nous étaient familières et le resteront longtemps. En février 1954, il lançait un vibrant appel pour les sans-abris, et depuis cette date, il a lutté sans relâche pour les exclus, les mal-logés, les abandonnés de la société.
Toute une vie au service des plus pauvres. Il avait écrit : « La mort n’est pas une fin mais un renouveau ». Nous pensons à lui avec beaucoup de respect et d’affection, et nous savons qu’un homme tel que lui vivra longuement dans la mémoire collective.

• Maryse Dache, Présidente du Comité des Chômeurs et des Mal logés du Port

Un combat à perpétuer

Elle apprend la disparition de l’Abbé Pierre en écoutant la radio. Elle a suivi tous ses combats pour les défavorisés de l’humanité à l’écoute ou à la lecture des médias. Selon elle « son action a débouché sur la création de structures d’accueil pour les plus nécessiteux. Elle a donc révélé au monde entier les conditions de vie difficiles des couches populaires ». Elle compare sa lutte à celle de Mère Thérésa. Elle aussi nous a quittés ! Il incarne pour elle l’alliance « de la force et de la sagesse avec toujours des paroles justes ». Depuis l’âge de 18 ans, il a fait le choix de « défendre les plus démunis ». Un combat à perpétuer avec l’entrée en scène de la jeunesse réunionnaise !

Entretiens : Édith Poulbassia et Jean-Fabrice Nativel


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