Hommage à sept martyrs réunionnais (1949 – 1978) — 5/7 —

Le 10 décembre 1967 : l’assassinat d’Édouard Savigny à Saint-André

28 février 2009

Dans le cadre de la célébration du cinquantenaire du Parti Communiste Réunionnais, voici comme chaque samedi des extraits d’un ouvrage d’Eugène Rousse à paraître prochainement. Un travail de mémoire sur les 7 Réunionnais qui ont trouvé la mort en étant victimes des violences néo-coloniales entre 1949 et 1978.
Après l’agression mortelle infligée à Marcel Dassot au commissariat de police de Saint-Denis en 1949, puis l’assassinat de François Coupou par des CRS en 1958 à Saint-Denis, l’assassinat du jeune Héliar Laude par un nervi devant le bureau de vote de Sainte-Clotilde en 1959, la mort de Thomas Soundarom tué par des gendarmes en 1962 à Saint-Louis, voici en résumé la tragédie d’Édouard Savigny.
Ce journalier agricole de 54 ans a été tué le 10 décembre 1967 par des nervis près de la Mairie de Saint-André lors d’élections marquées par des fraudes grossières et massives. Quatre des cinq personnes impliquées dans cet assassinat ont été acquittées par la Cour d’Assises de Saint-Denis ; la dernière s’en est tirée avec une légère peine de prison avec sursis.

Comme on pouvait le craindre, la journée du 10 décembre 1967 débute très mal à Saint-André. Avant l’ouverture du scrutin municipal et cantonal, des nervis bien connus se postent aux abords des bureaux de vote, poussant des cris hostiles aux mandataires de la liste communiste sans que l’imposant service d’ordre ne daigne intervenir.
Pendant que ces gros bras s’emploient par leurs vociférations à effrayer les électeurs, des représentants de la droite ultra paradent au balcon de l’Hôtel de Ville. Quant à Paul Vergès, candidat tant aux Municipales qu’à la Cantonale partielle de ce jour, chacune de ses apparitions devant un bureau de vote ou sur la place de la mairie provoque des clameurs, des insultes et des démonstrations menaçantes.

Expulsion de Paul Vergès,
bourrage des urnes

Afin que le scrutin se déroule dans le calme, le leader communiste s’entretient en début d’après-midi avec le président de la délégation spéciale à l’étage de l’Hôtel de Ville. Il lui demande notamment de faire disperser les groupes d’individus extérieurs à la commune, dont il prend soin de donner les noms et qualités.
Pour toute réponse, le président de la délégation spéciale signe une réquisition ordonnant au Directeur de la police de s’emparer de la personne de Paul Vergès et de l’expulser de la commune de Saint-André.
Cette expulsion illégale de Paul Vergès de Saint-André sera évidemment interprétée par les nervis comme un signe d’encouragement. Dans l’après-midi, sous l’œil des “forces de l’ordre”, comme ils l’avaient fait lors des scrutins précédents, notamment celui du 15 septembre 1957 après la mort du docteur Raymond Vergès, ils envahissent certains bureaux de vote, permettant ainsi le bourrage des urnes.

Assommé

Mais bien avant l’assaut donné aux bureaux de vote et peu avant l’arrestation et l’expulsion de Paul Vergès, les nervis n’avaient pas hésité à recourir à un crime odieux pour que la mairie de Saint-André reste aux mains des “nationaux” face aux "séparatistes diaboliques".
La scène, d’une rare sauvagerie, se passe en fin de matinée. Après avoir voté et avant de rentrer chez lui à Mille Roches, Édouard Savigny, un journalier agricole de 54 ans, de constitution plutôt fragile, éprouve le besoin de se reposer à l’ombre des banians se dressant aux abords de la mairie. C’est alors que le drame se noue.
Cinq individus, supporters notoires du candidat “officiel”, repèrent Savigny, auquel ils ne pardonnent pas d’avoir mis sa cour à la disposition de Paul Vergès pour des réunions électorales. Ce paisible travailleur, rapidement cerné, tente de s’enfuir. Rattrapé par ses poursuivants, il est jeté par terre et assommé.
Déposé par l’ambulance à 100 mètres de chez lui, Savigny se traîne en gémissant jusqu’à son domicile, où il s’effondre sur un fauteuil pour ne plus se relever. Il laisse derrière lui et sans ressources une veuve et un orphelin de 14 ans.

Justice complice

L’enquête diligentée par le Parquet de Saint-Denis aboutit rapidement à l’inculpation de 5 personnes impliquées dans cet assassinat. Le procès des assassins de Savigny se déroule devant la Cour d’Assises de Saint-Denis le jeudi 12 septembre 1968. Le juge Lambert — qui n’avait pas caché sa sympathie pour Michel Debré — préside les débats.
Malgré l’appel de l’avocat général demandant aux jurés de « mettre un terme à ces pratiques violentes les jours d’élection à La Réunion », c’est un verdict d’une extrême indulgence que la Cour rend dans une grave affaire : quatre acquittements et une condamnation à une peine légère assortie du sursis.
Un tel verdict ne pouvait que constituer un encouragement à ceux qui s’obstinaient à l’époque à dresser des obstacles sur la voie du suffrage universel.

Eugène Rousse

(à suivre, samedi prochain)

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