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Loin de ses parents au service de La Réunion

Lucien Biedinger

lundi 25 juin 2012, par Manuel Marchal


Rares sont les militants comme Lucien Biedinger qui ont choisi de renoncer à un poste de cadre en France pour venir à La Réunion épouser la cause de notre peuple.


Hier soir, Lucien Biedinger et son épouse Simone se sont envolés pour la France. C’est un deuil familial qui a obligé notre camarade à avancer le départ d’un voyage au cours duquel il compte rendre visite à sa famille.
Lucien Biedinger est un des exemples de la solidarité du peuple de France avec les luttes du peuple réunionnais. Ils sont plusieurs dans notre pays à avoir renoncé à occuper un poste de cadre en France pour venir s’investir dans la lutte de notre peuple. Venu dans notre île en 1969, Lucien Biedinger a subi la répression parce qu’il avait pris position pour le progrès dans notre pays. Il a été expulsé et exilé vers la France. Mais dès qu’il a pu, il est revenu dans notre île. Lucien donne toute sa vie à La Réunion, loin de sa famille qu’il ne voit que rarement. Aussi il a été très affecté quand il a appris le décès de sa mère, et dans cette difficile épreuve, qu’il soit assuré de notre soutien.
La Réunion aurait tort de ne pas saluer l’apport décisif de ces personnes sincères qui donnent leur concours à la construction du pays.
Quand on le côtoie et quand on connaît sa modestie, comment ne pas lui témoigner cette reconnaissance des Réunionnaises et des Réunionnais, et des communistes d’abord.
C’est cette modestie qui fait que nous ne puissions lui demander de nous faire part de tout ce qu’il a fait et continue d’accomplir pour notre pays. Mais pendant ces vacances en Alsace, une journaliste du quotidien "l’Alsace" a rencontré notre camarade et ce dernier a décidé de répondre. L’article est paru le 8 novembre 2010, nous le reproduisons ci-après.

Manuel Marchal


Dans "l’Alsace" du 8 novembre 2010

« Lucien Biedinger : La Réunion c’est son combat »

Dès 1976, Lucien Biedinger est rédacteur en chef du quotidien communiste "Témoignages", à La Réunion. Retraité, cet Alsacien milite aujourd’hui au sein de deux associations insulaires.

Rédacteur en chef du quotidien communiste réunionnais "Témoignages" durant trente années, Lucien Biedinger, pimpant retraité, habite au Port, à La Réunion. Quoi de plus logique ! Cette ville industrielle de la côte ouest de l’île est le bastion historique du Parti communiste réunionnais (PCR).
Entre dénonciation de la pauvreté et lutte pour la reconnaissance de l’identité créole, Lucien, enfant de Neuf-Brisach, a embrassé le destin de La Réunion. « Le peuple réunionnais m’a adopté. J’essaie tous les jours d’être solidaire de sa quête de libération », affirme-t-il, persuadé que la décolonisation n’est pas achevée.
Lucien, dit Lulu, a 23 ans quand il débarque pour la première fois sur l’île. Il doit y effectuer son service militaire en tant que professeur de philosophie : un Volontariat à l’Aide Technique (VAT) qui permet d’accomplir son devoir dans le civil. « J’étais plutôt anti-militariste. Peace & love, quoi ! J’avais fait mai 68 à Strasbourg », lance-t-il. « Des religieuses cherchaient un prof de philo à La Réunion. Un ami, père jésuite, nous a mis en relation. J’avais une maîtrise de philosophie, obtenue à Colmar. Plutôt que de passer douze mois en caserne, j’ai saisi l’occasion », explique-t-il.

Il atterrit sur l’île avec sa femme, Simone, épousée trois semaines plus tôt, le 23 août 1969. Mère Marie de l’Esprit Saint, directrice du pensionnat catholique dans lequel doit travailler Lucien, les réceptionne et les embarque dans sa petite voiture. Sur la route, elle leur parle du climat, des insectes. À travers la vitre, Lucien ne voit que bidonvilles et taudis. « Je me suis dit, c’est pas possible ! C’est ça, le sous-développement ! », s’exclame-t-il. « C’était un traumatisme pour moi. J’avais déjà vaguement une conscience tiers-mondiste, je lisais "Témoignage Chrétien" parfois, en métropole, mais je n’étais pas encore politiquement engagé », précise-t-il.
Cela ne tardera pas. Avec des amis « progressistes » chrétiens et le père mauricien Reynolds Michel, il participe au groupe Témoignage Chrétien de La Réunion. Cette association vote, en assemblée générale, l’alliance avec les communistes autonomistes de Paul Vergès. À cette époque, le PCR est interdit de radio et de télévision.
Quelques jours après cette déclaration de soutien au PCR, Lucien est convoqué à la Préfecture. Il est renvoyé en métropole par mesure disciplinaire : « Vous êtes militaire, vous n’avez pas le droit de faire de la politique, m’a-t-on dit ». « J’avais dénoncé la répression des prêtres progressistes, ici, au courrier des lecteurs d’un journal local. C’était leur seul argument retenu contre moi », se remémore Lucien.

« Il ne faut jamais se résigner »

Amis laïcs et religieux le soutiennent, se rassemblent à l’aéroport de Saint-Denis en signe de protestation. Rien n’y fait. Lucien est chassé en métropole. Il termine son service militaire, rallongé de trois mois, à la Caserne des isolés de Rueil-Malmaison et à Etain dans la Meuse. En décembre 1970, Lucien est libéré de ses obligations militaires.
À La Réunion, sous l’impulsion du père Michel, un mensuel est né : "Témoignage Chrétien de La Réunion". Il en est à sa troisième parution quand le père est arrêté et expulsé vers l’île Maurice. Il est accusé de mener des "activités politiques", un délit pour un étranger.
Lucien revient sur l’île afin d’assurer la publication de la revue chrétienne à la place du prêtre, à la demande de ses amis réunionnais. « Simone et moi, on a été si vite liés à ce peuple, à cette île », confie le sexagénaire. De 1971 à 1973, il s’occupe exclusivement du mensuel, puis du bimensuel. Il est bénévole et ne trouve pas de poste dans l’enseignement.
En 1973, Paul Vergès lui propose de travailler pour lui. Lucien Biedinger sera son secrétaire particulier à la mairie du Port, puis il sera journaliste à "Témoignages" en 1975, avant d’être nommé rédacteur en chef du quotidien en 1976.
Organe de presse du PCR, "Témoignages" bataille à cette époque pour une égalité sociale et culturelle à La Réunion, et une plus grande liberté décisionnaire du département. Actuellement, le journal défend l’autonomie énergétique et la préservation du patrimoine naturel et culturel.

Depuis sa retraite en 2006, Lucien Biedinger continue son combat contre l’injustice et pour un développement durable, à travers son implication associative dans la promotion du vélo et de la philosophie sur l’île, tout en « donnant un coup de main » au journal. « Nous espérons faire de La Réunion une île cyclable, en partenariat avec les collectivités, les services de l’État et les associations. Nous essayons aussi de briser les préjugés psychosociaux : ici, si je veux montrer que j’ai réussi, j’ai une belle bagnole. Le vélo, c’est pour les pauvres et... c’est dangereux ! ».
Ce goût des luttes, Lucien le doit en partie à sa famille. Fils d’éclusiers et agriculteurs, il est aussi descendant de résistants. Sa grand-mère paternelle a été déportée au Struthof, son grand-père paternel a été arrêté par les nazis avant d’être relâché, et son père a combattu dans les Forces Françaises Libres (FFL) pendant 5 ans, aidant à la libération de l’Afrique du Nord, de l’Italie, puis de la France. Son oncle paternel est un « Malgré nous », mort sur le front russe quelques jours après son incorporation forcée, tué par l’explosion d’une grenade. Lucien a hérité de son prénom.
L’ancien journaliste a pour devise :« S’lawaeschakampf », la vie est un combat. Un dicton qu’il tient des paysans haut-rhinois, quand, petit, il menait les vaches au pré, après l’école. « Il ne faut jamais se résigner », martèle-t-il. Et il est un autre proverbe, inscrit au feutre noir sur son frigo, qu’il aime particulièrement : « Seuls les poissons morts nagent dans le sens du courant ».
Lucien est bien vivant, fier représentant de cette sagesse alsacienne à La Réunion.


L’essentiel

« Alors qu’il supervise bénévolement la sortie de “Témoignage Chrétien” de La Réunion, Lucien Biedinger est appelé par Paul Vergès, maire communiste de la ville du Port, à devenir son secrétaire particulier, puis journaliste à "Témoignages", et enfin, rédacteur en chef du titre. Il occupe ce poste jusqu’à sa retraite en 2006.
Dès lors, Lucien, professeur de philosophie de formation, adepte du tandem et de la bicyclette, devient secrétaire de deux associations : le Cercle philosophique réunionnais, organisateur d’événements, et le Comité réunionnais de promotion du vélo (CRPV), qui lutte contre le « tout automobile », fléau de l’île ».


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