“Le Monde” (France)

• Mort de Jacques Vergès, avocat brillant, redouté et parfois haï

17 août 2013

Lorsqu’on lui demandait poliment comment il allait, il répondait, depuis des années, « incurablement bien ». Mais la vie étant finalement chose curable, Jacques Vergès a changé d’idée et est mort jeudi 15 août, à l’âge de 88 ans. (…) Avocat brillant, redouté et parfois haï, Me Vergès s’était construit avec un rare plaisir une statue toute de cynisme et de provocation, et feignait d’aimer qu’on ne l’aime pas. (…)

Le jeune homme parcourt l’Europe, le Maroc et finalement l’Allemagne occupée, et il garde de ces années de guerre « un souvenir merveilleux ». Il adhère au Parti communiste français en 1945 et devient, pendant cinq ans, selon sa propre formule, « un petit agitateur anticolonialiste au Quartier latin » . (…)

Le mois d’avril 1957 est un tournant. Me Vergès, qui n’a que dix-huit mois d’expérience lorsqu’il est appelé en Algérie pour défendre une jeune militante du FLN, Djamila Bouhired. « Entre les Algériens et moi, ce fut le coup de foudre » , a indiqué l’avocat. Avec Djamila aussi, qu’il épousera quelque temps plus tard. La jeune poseuse de bombe est condamnée à mort — puis graciée — mais Vergès invente sa fameuse "défense de rupture" (…). Son courage et son insolence lui valent un an de suspension du barreau, en 1961, mais pour le FLN, c’est un héros, il est rebaptisé "Mansour" - le victorieux.

Le FLN l’envoie au Maroc, où il devient conseiller du ministre chargé des Affaires africaines, et quand l’Algérie accède à l’indépendance, le voilà converti à l’islam et citoyen d’honneur de la jeune République. Mais Jacques Vergès s’éloigne de Moscou et se rapproche de Pékin, il quitte Alger, est reçu par Mao, on le croise un temps à Beyrouth aux côtés de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Et il disparaît. (…)

Un jour, Vergès réapparaît. Egal à lui-même, avec ses lunettes rondes, son sourire ironique et son petit costume. Lorsqu’on l’interroge, il répond : « Je suis passé de l’autre côté du miroir. C’est ma part d’ombre » . Et d’[ajouter : « Je suis revenu aguerri — notez le terme, il est juste — et optimiste » .

Avocat, Vergès défend Bruno Bréguet et Magdalena Kopp, les compagnons de Carlos, convaincus d’avoir transporté des explosifs. Il défend le terroriste vénézuélien lui-même (…).

Me Vergès défend aussi Georges Ibrahim Abdallah, condamné à la perpétuité et toujours en prison ; antisioniste passionné, il navigue toujours sur la crête de l’antisémitisme. (…) Jean Genet lui écrit : « J’apprends que vous défendez Barbie. Plus que jamais, vous êtes mon ami ».

(…)

Jacques Vergès

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