Récit de vie de Mme Marie-Hélène Lauret par ses filles

18 octobre 2008

Mme Marie-Hélène Lauret est née le 8 octobre 1908, mais déclarée à l’état civil le 3 novembre 1908 (à l’époque, une personne passait une fois par mois pour relever les naissances). Elle habitait à Bois-Court au Tampon.
Elle a eu huit enfants, dont trois garçons et cinq filles. Tous ses enfants sont encore vivants ; la dernière est âgée de 61 ans. Elle a vécu avec eux jusqu’à l’âge de 95 ans.

Mme Marie-Hélène Lauret a perdu sa mère lorsqu’elle avait 12 ans en 1920. Elle avait trois frères et une sœur. Son père s’est remarié trois ans plus tard.
Elle s’est mariée à 22 ans à La Possession et a eu son premier enfant en 1931. Ses grossesses furent très rapprochées. Elle travaillait dans les champs à Ravine-à-Malheur, même durant ses grossesses.
Selon ses filles, c’est une femme de caractère : « Quand elle dit ça, c’est ça ! » Elle a toujours travaillé très dur pour ses enfants. Les marques d’affection étaient rares, car « navé poin lo tan ! ».

Selon ses filles, c’est une femme de caractère : « Quand elle dit ça, c’est ça ! »
(photo MK)

Eliane, sa première fille, se souvient que, quand elle était petite, avec ses frères et sœurs, ils quittaient Ravine-à-Malheur à pied, avec un fer-blanc rempli d’eau de mer sur la tête, qu’ils allaient faire sécher pour récupérer le sel, afin de le vendre plus tard. Petits, ils ont fréquenté une école mixte jusqu’en CM2. Ils écrivaient sur des feuilles de choka. « On n’avait pas de livres, de cahiers durant notre scolarité. » Quelquefois, ils récupéraient un morceau de papier-ciment pour pouvoir écrire les leçons. Selon elle, leurs chances de réussir étaient très minces.

Lorsque Mme Lauret allait aux champs, elle donnait à manger aux bœufs et plantait maintes choses (patates, maniocs...) avec lesquelles elle nourrissait ses enfants. Elle confectionnait du beurre avec le lait.
Et puis, dans les hauts, lorsque l’occasion se présentait, on tuait un cochon qu’on se partageait dans le voisinage.
Elle vendait aussi du bois, des œufs, des patates, au Port. La vente du bois était essentielle pour leurs parents. Aussi, lorsque les filles allaient à l’école, elles prenaient des fagots de bois sur la tête.
Elles habitaient dans des coins très reculés. Aussi n’avaient-elles pas d’autres choix que de marcher à pied pour se déplacer.

A la question : « Avez-vous reçu une éducation chrétienne ? », ses filles répondirent qu’elles quittaient Ravine-à-Malheur à minuit pour aller à la messe de 4 heures, qu’elles allaient au catéchisme tous les jeudis et qu’elles ne manquaient pas chaque soir la prière en commun avec leur mère.
« A la Possession, on emmenait les enfants à pied pour les baptiser ! »

Chacune a eu une histoire différente pour leur mariage :

- Eliane : « Ma mère ne voulait pas qu’on sorte avec les garçons. Moi, j’ai sauté le pas, je suis allée avec mon mari. Je rêvais d’une maison, d’un jardin, avec des animaux. Alors, je me suis mariée et ma fille est née quatre jours plus tard. Ma mère a organisé un p’tit repas avec quelques invités. »

- Imelda : « Moi, je me suis mariée à Nîmes avec un malbar. Je suis partie pour le rejoindre. »
Imelda, qui n’a pas eu d’enfants, a eu l’occasion à plusieurs reprises de faire voyager sa mère. En effet, grâce à elle, Mme Lauret a pu se rendre en France, à Maurice et a pu visiter les grandes villes d’Italie. « Elle est allée à la Trinité, à Lisieu. Elle a fait une croisière sur le Rhin et la Moselle. Elle est allée à Maurice plusieurs fois. »

A l’époque, les femmes n’avaient pas l’avortement, la pilule. Mme Lauret, bien que travaillant dur, n’a pas fait de "pertes" (fausses couches).
Selon Eliane, lors d’une des grossesses de sa mère, le travail ayant commencé alors qu’elle gardait un troupeau de bœufs, elle n’avait eu d’autre choix que d’accoucher sur un foyer à proximité.
Elles avaient la chance d’avoir un grand-père qui soignait les gens avec des plantes. A l’époque, il n’y avait pas beaucoup de médecins.
Lorsque Mme Lauret amassait le bois, elle mettait son enfant dans un carton et lui donnait de temps en temps la tétée.

Selon ses filles, leur père serait mort d’une crise de tétanos. En effet, leur père cassait des pierres et durant ses déplacements, il venait par les rails à pied. Selon elles, un clou a dû piquer son pied, provoquant une crise mortelle de tétanos.
Leur père était agriculteur et cassait des pierres de temps en temps pour arrondir les fins de mois. « Papa ne buvait pas. Quand on lui proposait à boire, il demandait un macatia qu’il nous rapportait. »

En 1939, il y a eu l’appel de la guerre.

Leur père a dû aller deux jours sur Saint-Denis.
Le souvenir de la guerre se traduit selon Eliane par : « Sans manger, sans habits, pieds nus. On mangeait des maniocs. On mettait un goni sur la tête contre la pluie dans les champs. »
Imelda se souvient : « On était sur une butte, on voyait les navires, on entendait les coups de canon, on avait peur, on essayait de se cacher encore, bien que nous fussions dans les hauts. »

Après le cyclone 48, la famille a tout perdu. La ravine avait tout emporté. Leur père a bâti une cabane en terre avec de la paille et des gonis.
En 1950, il est tombé gravement malade et la famille est descendue pour habiter près de la route. Mme Lauret a alors construit une maison "3 pièces en bois sous tôle".
Leur père était conscient qu’il allait mourir et leur mère veillait constamment sur lui. Le curé est monté le jour de Noël. Il est décédé le 26 décembre. C’est Mme Lauret qui a constaté la mort.

Le 8 octobre 2008, Mme Lauret a fêté ses cent ans et ne semble pas vraiment consciente de ce fait. A présent, elle ne parle plus ; et ce, plus particulièrement depuis qu’elle aurait perdu ses anneaux à la maison de retraite. Elle souffre aussi, selon ses filles, d’un manque de dialogue dans l’établissement. Pourtant, certains jours, lorsque ses filles lui rendent visite, elle semble s’éveiller et quelques mots lui viennent.
Lorsqu’elle était encore chez ses enfants, Eliane s’efforçait de lui rendre visite tous les deux jours, la faisait se déplacer et discutait avec elle.
« Avant, elle aimait bien la fête. Tous les dimanches, on sortait, elle préparait des bouteilles de rhum arrangé... »

Ses filles n’ont pas l’impression qu’elle se "laisse partir", mais elles sentent bien que la solitude lui pèse : « Pendant une période, c’était comme si elle voulait plus. Quand il y a plusieurs personnes, elle se remet. »
Jusqu’à ses 80 ans, Mme Lauret vivait dans une grande maison à elle. Elle arrosait, elle plantait.
La séparation d’avec leur mère - lorsqu’elle mourra - sera évidemment très dure, mais celles-ci pensent qu’elle aura bien vécu, et qu’à un moment donné, c’est l’heure...

Marc Kichenapanaïdou


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