Hommage à Raymond Vergès, décédé il y a 50 ans - III -

Un militant durement réprimé

4 juillet 2007

Voici la suite de la série d’articles d’Eugène Rousse commencée lundi dernier dans “Témoignages” à l’occasion du 50ème anniversaire du décès du docteur Raymond Vergès (1882-1957). Les deux premiers articles ont montré comment, après une jeunesse consacrée à se former et après plus de 20 ans au service des peuples d’Asie, Raymond Vergès a commencé à servir La Réunion. Ce dévouement pour son peuple s’est d’abord manifesté surtout à travers son travail acharné et généreux de médecin mais aussi et de plus en plus en tant que militant intellectuel, associatif, syndical ou politique.

Le 1er mai 1937, manifestation au Port pour “La Réunion département français”. La délégation des manifestants de Saint-Denis arrive à la gare ferroviaire de la cité maritime, conduite par le docteur Vergès, accompagné de ses deux fils, Jacques et Paul.
Le numéro 1 du journal “Témoignages” fondé par le docteur Raymond Vergès le 5 mai 1944.

Rappelons que dès son retour définitif à La Réunion fin 1931, le docteur Vergès donne périodiquement des conférences à Saint-Denis, dans le cadre des activités de la société “Sciences et Arts”, dont il est membre depuis 1928. Des conférences qui, d’après le journal “Le Peuple”, « sont d’une profondeur de pensée propre à émerveiller son auditoire ».

Dirigeant de la Ligue des Droits de l’Homme

C’est également son souci de servir qui le conduit à adhérer à la section dionysienne de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), puis à accepter, le 15 avril 1934, la présidence de la Fédération réunionnaise de la Ligue des Droits de l’Homme.
Cette fédération, qui regroupe les trois sections de la LDH de l’île, offre à Raymond Vergès une tribune pour dénoncer l’exploitation dont sont victimes les travailleurs réunionnais, pour attirer l’attention de l’opinion sur les graves menaces qui pèsent sur la paix et les libertés, pour réclamer avec force l’abolition du statut colonial de La Réunion et sa transformation en département français.
Une motion remise en octobre 1936 par le président de la LDH de La Réunion au gouverneur du Front populaire, Léon Truitard, demande expressément le classement de La Réunion en département français.

« Le triomphe du Front populaire, c’est... »

Bien que la LDH de La Réunion ne soit pas une organisation politique ou syndicale, elle ne peut ignorer que c’est dans les locaux de la LDH à Paris que s’est constitué le Front populaire en 1935. Le Front populaire qui devait triompher aux Législatives des 26 avril et 3 mai 1936 en France. Le Front populaire, dont le docteur Vergès disait au meeting du 1er mai 1937 au Port : « Le triomphe du Front populaire, c’est pour tous : le pain, la paix, la liberté ».

La L.D.H. Réunion : un vivier de militants politiques et syndicaux

C’est, au demeurant, de la LDH Réunion que sont issus, lors des élections cantonales du 10 octobre 1937, les 7 conseillers généraux progressistes élus sur la liste conduite, dans le canton de Saint-Paul, par Léon de Lépervanche. Le fait est sans précédent à La Réunion.
Ce sont aussi des militants de la LDH qui jouent les tout premiers rôles sur la scène politique réunionnaise au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La remarque est également valable pour la plupart de ceux qui, après 1936, ont eu à assumer des responsabilités au sein des syndicats de l’île affiliés à la CGT.
On peut donc affirmer sans risque d’erreur que la LDH a été pendant l’entre-deux guerres un vivier d’hommes politiques et de syndicalistes. Le mérite du docteur Vergès est d’avoir fortement contribué à leur formation. Une formation de haut niveau qui fait dire à Henri Lapierre, son plus proche compagnon : « Le docteur Vergès est l’aigle qui plane dans l’azur. À côté, nous sommes les canards barbotant dans la boue ».

Dirigeant des syndicats CGT

Ayant conscience que le salut des travailleurs réside dans leur rassemblement au sein d’organisations aussi puissantes que possible afin de faire entendre leur voix, le docteur Vergès prêche d’exemple en s’engageant dans la vie syndicale.
C’est à son initiative qu’est créée, le 13 mars 1938, la Fédération des syndicats de fonctionnaires de La Réunion (FSFR), dont il occupe le poste de secrétaire général ; ses adjoints sont l’inspecteur des douanes Jean Hinglo et l’instituteur Simon Lucas.
Il est également cofondateur, le 21 juillet 1938, de l’Union départementale réunionnaise des syndicats et fédérations, dont il est le premier secrétaire général. Cette union départementale, affiliée à la CGT, forte à sa naissance de 4.000 adhérents, compte parmi ses dirigeants Léon de Lépervanche, Jean Hinglo, Simon et Évenor Lucas.

Fondateur de “Libération” et de “Témoignages”

La puissante organisation cégétiste se dote d’un quotidien, “Libération”, dont la parution du 1er numéro, le 8 août 1938, est possible grâce à l’achat par le docteur Vergès d’une presse lors d’un séjour à Paris, grâce aussi au recrutement dans la capitale française d’un dessinateur-typographe confirmé, un réfugié allemand nommé Wolkoff, qui débarque à La Réunion le 19 juillet 1938.
Cette presse, qui ne fonctionnera qu’un peu plus d’un an en raison de la Seconde Guerre mondiale, servira 6 années plus tard à imprimer le journal “Témoignages”, « l’organe de défense des sans-défense », fondé par l’éminent dirigeant syndical le 5 mai 1944.

Le temps de la répression

Si le militantisme du docteur Vergès au sein de la LDH et de la CGT lui vaut l’estime de la classe ouvrière, il suscite par contre inquiétude et désapprobation chez les nantis de la colonie.
Pour ces derniers, la LDH « est une bombe aux poings des travailleurs ».
Après les grandes grèves d’août 1938, le gouverneur Léon Truitard - qui avait eu jusqu’à cette date une grande estime pour le directeur du service de Santé - désapprouve en termes sévères l’attitude du secrétaire général de la CGT.
Après avoir prononcé des licenciements et des mutations des responsables de cette organisation, le gouverneur s’en prend à Raymond Vergès. Dans une lettre en date du 12 octobre 1938, il écrit : « On ne croit plus en eux (les dirigeants syndicaux de La Réunion) et on accuse ouvertement leur chef spirituel, le docteur Vergès, qui est considéré à tort ou à raison comme le mauvais conseiller des simples travailleurs qui sont à la tête de la Fédération et des syndicats ».

Les attaques du chef de la colonie

Deux semaines plus tard, devant les conseillers généraux réunis au Palais Rontaunay, il ne cache pas son intention de chasser le docteur Vergès de la Direction du service de Santé : « A mon sens (déclare-t-il), le directeur du service de Santé doit être un officier supérieur des troupes coloniales qui n’aura pas de préoccupations étrangères au service suffisamment absorbant d’assistance médicale et sociale ».
Le 8 novembre 1938, le chef de la colonie met arbitrairement fin au mandat que Raymond Vergès détenait dans une commission qu’il avait créée lui-même quelques mois plus tôt.
Ces propos sont tenus et cette mesure prise peu après la dislocation en France du Front populaire et au moment où les nazis et les fascistes se préparent à plonger le monde entier dans un bain de sang.

Eugène Rousse

(à suivre)


Appel à témoins

“Témoignages” invite ses lecteurs qui ont connu Raymond Vergès de près ou de loin, ceux qui ont entendu des parents ou des amis parler de sa vie et de son œuvre, à faire part de leurs témoignages, commentaires et impressions.
50 ans après son décès, nous pouvons tous mesurer ce que nous devons, individuellement et collectivement. Participons ensemble à cet hommage. Et tirons des enseignements de cette vie hors du commun pour mener les luttes d’aujourd’hui et de demain.

Raymond Vergès

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