La réalité qui s’imposera à tous les Printemps arabes — 3 —

1,5 milliard d’euros minimum pour préserver la population d’Alexandrie des effets du changement climatique

4 août 2011

L’Égypte était hier sous les feux de l’actualité avec le début du procès de son ancien dirigeant, Hosni Moubarak, qui coprésidait l’Union de la Méditerranée avec Nicolas Sarkozy voici encore quelques mois. La chute d’Hosni Moubarak a été un séisme politique, un temps fort du Printemps arabe. Dans l’étude qu’elle vient de présenter à Marseille, la Banque mondiale explique les conséquences du changement climatique sur la ville égyptienne d’Alexandrie, un des berceaux de la culture occidentale. Aujourd’hui deuxième ville du pays, elle aura à faire face à la montée du niveau de la mer, dans un contexte de forte hausse de sa population. Ce sont des défis auxquels La Réunion est également confrontée. Voici des extraits de cette étude.

La présente étude, financée par la Banque Mondiale, traite de l’adaptation aux changements climatiques et aux catastrophes naturelles dans la zone urbaine d’Alexandrie. Elle s’inscrit dans le cadre plus large d’une évaluation de la vulnérabilité des villes côtières d’Afrique du Nord face aux changements climatiques et aux catastrophes naturelles. Ce premier volume de l’étude est le Rapport de phase 1, qui couvre l’évaluation des risques dans la situation actuelle et en 2030. La zone étudiée est définie par le périmètre des plans directeurs d’urbanisme existants du Grand Alexandrie. Néanmoins, l’analyse est essentiellement centrée sur les zones urbaines, étant donné que le reste du territoire considéré est à prédominance rurale.

Près de 2 degrés de plus en 20 ans

Des projections climatiques à horizon 2030 ont été réalisées dans le cadre de cette étude à l’aide de méthodes dynamiques de descente d’échelle issues des trois modèles du projet européen ENSEMBLES avec le scénario A1B du GIEC (le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), et du modèle ARPEGE-Climat de Météo-France avec les scénarios A1B, A2 et B1 du GIEC. Les résultats de ces modélisations indiquent que la ville d’Alexandrie devrait se réchauffer de +1,2°C à +1,9°C en moyenne annuelle à l’horizon 2030. Il existe toutefois une très grande marge d’incertitude liée à l’augmentation des vagues de chaleur. Les changements survenant au niveau des événements pluvieux s’accompagnent également de fortes incertitudes (manque de cohérence entre les modèles ou fourchettes de valeurs très larges). Dans ce contexte, on a décidé de considérer les résultats du modèle du METOffice Hadley Centre associés au scénario A1B comme l’“hypothèse haute”, pour laquelle les précipitations extrêmes augmentent respectivement de 7% et de 30% sur des périodes de retour de 10 et 100 ans.

75 millions d’euros par an

Le total des coûts annuels des catastrophes envisagées dans cette étude et pour lesquelles une estimation de coût a été possible en tenant compte des changements climatiques, est estimé à 646 millions de livres égyptiennes (LE) (75 millions d’euros - NDLR) en 2030, exprimés en LE actuelles constantes. Ceci représente 108 LE/personne/an en 2030 (soit 12 euros), ou 0,26% du PIB d’Alexandrie, à même échéance 2030. En situation actuelle (2010), cela représente 158 LE (18,5 euros)/personne/an et 0,70% du PIB.
Les coûts indirects représentent 25% des coûts totaux. Ce chiffre est issu des choix méthodologiques qui ont été faits et ne peut donc pas être discuté en dehors de ce contexte. Par ailleurs, la part attribuable au changement climatique est nulle concernant les séismes.
Exprimée non plus sur une base annuelle, mais à l’échelle de la période considérée, la valeur actuelle nette des désastres considérés sur la période 2010-2030 est de l’ordre de 6,5 milliards LE (763, 7 millions d’euros), ce qui représente environ 7% du PIB actuel. Il est aussi possible d’évaluer le prix que nous serions prêts à payer aujourd’hui pour supprimer tous les désastres considérés dans le Grand Alexandrie. Ce calcul aboutit à des montants compris entre 13 et 35 milliards LE (1,5 et 4,1 milliards d’euros), selon les paramètres pris en compte, soit entre 15% et 70% du PIB actuel du site.
Le changement climatique est susceptible d’aggraver la situation sanitaire (malnutrition, maladies diarrhéiques, paludisme…). Les coûts sanitaires moyens annuels à l’horizon 2030 sont évalués à 278 millions de LE (32 millions d’euros), représentant environ 0,30% du PIB du Grand Alexandrie. Les coûts indirects représentent trois fois les coûts directs. Soulignons encore une fois le caractère exploratoire de cette évaluation économique, dont les résultats ne peuvent être interprétés en dehors des hypothèses considérées.


20 centimètres qui changent tout

Une hausse du niveau de la mer de 20 centimètres, cela peut paraître peu. Mais pour une ville du littoral comme Alexandrie, cela signifie un recul des plages de plus de 10 mètres. La plage est moins grande, elle ne peut plus jouer son rôle d’amortisseur de la houle.

Les conditions d’érosion et de submersion de la côte seront plus particulièrement affectées par une élévation du niveau de la mer émanant indirectement du réchauffement planétaire, via la dilatation thermique des eaux et la fonte des calottes glaciaires polaires. A partir de l’analyse critique des projections du GIEC et des dernières références documentaires sur le sujet, nous supposons pour cette étude une élévation globale du niveau de la mer de 20 centimètres d’ici 2030. Il faut préciser qu’il s’agit d’une hypothèse haute, et que les tendances actuelles de la montée du niveau de la mer qui sont mesurées en ce moment à Alexandrie sont bien inférieures.
En dépit de nombreux projets pour la protection du littoral, une élévation du niveau de la mer réactivera ou amplifiera le processus d’érosion côtière, et fera donc reculer la ligne de côte. Les plages de sable encore à l’état naturel risquent de reculer en moyenne de 10 à 15 mètres d’ici 2030. Dans les zones urbanisées déjà protégées par des structures ou le long desquelles des ouvrages de protection sont prévus (élargissement de la plage par un apport massif de sable, puis maintenance régulière, installation de structures retenant latéralement les apports de sable), ce recul sera plus lent, mais néanmoins inexorable. En cas de tempêtes associées à des niveaux d’eau élevés, les ouvrages de protection des plages situées dans les zones urbanisées risquent d’être sévèrement endommagés, dans la mesure où la largeur de la plage ne suffira pas à absorber les effets de la houle, trop proche de la ligne de marée haute. Les plages de sable à l’état naturel seront totalement submergées et reculeront de façon importante.


Inondations plus destructrices

Au-delà des risques géologiques (nature instable du terrain) et des risques de tremblement de terre, non affectés par les facteurs climatiques, d’autres risques naturels seront affectés par les changements climatiques.
Les conditions d’inondation peuvent empirer en raison de l’effet combiné des changements climatiques et de l’urbanisation accrue (imperméabilisation du terrain). Les débordements du réseau d’assainissement actuel peuvent devenir plus fréquents. Les deux effets combinés du changement climatique et de la croissance urbaine peuvent faire doubler la montée des eaux du lac Maryut en cas d’inondation centennale. Néanmoins, la situation devrait rester gérable par rapport à l’actuelle capacité de pompage et de régulation du niveau de l’eau.


Conséquences de la démographie

De nouvelles vulnérabilités d’ici 2030

Le Grand Alexandrie s’étend actuellement sur 230.000 hectares avec une occupation du sol affectée à 45,9% aux zones résidentielles, à 18,9% aux zones industrielles, à 3% aux services publics et aux espaces de loisirs, à 28,8% au réseau routier et de transports, et à 3% aux zones militaires. En 2006, sa population fut estimée à 4,3 millions par le recensement national. (…)
D’après les estimations futures de population réalisées par l’Organisme gouvernemental pour l’aménagement du territoire, Alexandrie pourrait atteindre les 6 millions d’habitants en 2030, ce qui correspond à une croissance de population de 40%. Cette forte croissance se traduira par l’urbanisation des zones avoisinantes et menacera les ressources naturelles critiques, comme les lacs Maryut et El Mex, qui jouent aujourd’hui un rôle essentiel dans la gestion des eaux de drainage avant leur déversement dans la mer. L’expansion urbaine se dirigera probablement majoritairement vers l’Ouest, le long des deux rives du lac Maryut. Toutefois, on suppose que l’expansion urbaine se poursuivra au sud de la ville, entre le lac Maryut et Abu Quir.
En termes de vulnérabilités, l’effet cumulatif de ces changements peut résulter en une exposition accrue des populations les plus pauvres (aux conditions de vie précaires), en l’apparition de nouvelles tâches urbaines (grands projets) sur des sites relativement exposés aux risques climatiques (dépression d’Abu Quir, lac Maryut, bande côtière) et en l’expansion d’implantations informelles ne tenant pas compte des dangers naturels. En particulier, une extension urbaine au sud d’Al-Montaza et du quartier Sharq est susceptible de se produire dans des zones de basses terres exposées aux risques d’inondations et de séismes.


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