La responsabilité des dirigeants politiques face à l’opinion

Anticiper des changements sans précédent

6 octobre 2004

Invité hier dans les “Matinales” sur Radio-Réunion, Paul Vergès a expliqué quel est le rôle de l’Observatoire national sur les effets des changements climatiques qu’il préside. Il a précisé comment il est indispensable d’anticiper sur les phénomènes climatiques dans l’aménagement de notre territoire.

"Il y a une révolution à faire dans la tête des gens. La fin de l’ère glaciaire, c’était voici 13.000 ans. On a mis treize millénaires pour s’adapter alors que cette fois-ci, on vous dit que ce bouleversement va intervenir avant la fin du siècle. Cela veut dire qu’il y a une accélération extraordinaire de l’évolution du climat et il faut donc anticiper.
Ceux qui ont une parcelle de pouvoir qui soit locale, dans les Mairies, dans les Conseils généraux, dans les Régions ou au sommet de l’État, il est évident qu’ils ont à anticiper. On ne peut pas être aujourd’hui un responsable, si on n’anticipe pas de 20 ans ou de 30 ans.
Il a fallu se battre pendant des années pour dire que le repère principal, c’est le million d’habitants en 2025. Aujourd’hui tout le monde le répète, et c’est la même chose pour les changements climatiques. Nous allons vers des bouleversements, il faut s’y préparer.
Avec les actualités, les reportages à la télévision sur les quatre cyclones en un mois dans la région de la mer des Caraïbes, les visions des spectacles effrayants de Haïti, de la Floride et de la Grenade font prendre conscience.
Alors que la saison cyclonique va s’ouvrir chez nous, on peut s’interroger. Si on a les même phénomènes que dans l’hémisphère Nord, et qu’un cyclone de l’ampleur de celui qui a frappé Haïti, avec un volume d’eau considérable, s’abat sur nous, est-ce que nous sommes préparés matériellement et mentalement à faire face ?

"Faire très très vite"

"Il faut faire très très vite, et l’éventualité d’un épisode comparable à la Caraïbe, soit quatre cyclones violents la même année, n’est pas impossible. Les experts sont très prudents. Ils disent qu’ils n’ont pas les statistiques suffisantes pour dire que les phénomènes de la mer des Caraïbes découlent directement de la pollution de l’atmosphère, mais quand ils discutent avec nous, ils nous disent qu’ils ont la conviction que cela dépend de ce phénomène.
Nous avons à La Réunion et à Maurice la modestie de nos surfaces, parfois les cyclones nous ratent, ils passent au Nord et au Sud. Imaginez un pays comme Madagascar, son orientation Nord-Sud qui prend, comme on dit vulgairement, tous les cyclones qui passent. Dans l’état de retard de développement où se trouve ce pays, dans l’état de croissance démographique qu’il connaît - de 4 millions en 1947 à 17 millions aujourd’hui, à 32 millions en 2050, comment peut-il envisager un développement durable dans ces conditions ? C’est un problème global, c’est un moment extraordinaire dans l’histoire de l’environnement mondial et dans l’histoire des populations.

Où vont aller les poissons ?

Les modifications climatiques interviendront, mais le problème c’est d’empêcher l’aggravation et la rupture. Ce que nous avons demandé au gouvernement, c’est de faire la différence entre la prévention et l’adaptation. Notre observatoire est chargé de faire des propositions au gouvernement sur les mesures d’adaptation, dans tous les domaines.
Par exemple la mer : avec l’augmentation de la température, où vont aller les poissons, quel est l’itinéraire que vont suivre les grands thons, les espadons, en fonction de ces changements ?
Jusqu’à maintenant, des sociétés au Gabon vendaient leurs services pour la pêche au gros d’une espèce de poisson, et maintenant on a pris ces poissons au large de l’Écosse. Vous avez des barracudas en Méditerranée.
La barrière corallienne, le blanchissement de nos coraux, le problème de notre environnement... vous avez vu ce qui s’est passé, à Haïti, cela provient de la déforestation. Des gens n’ont pas été noyés, ils sont morts dans la boue, étouffés dans leur maison : une avalasse et tout l’humus descend.

Le rôle de la canne

Cela montre que dans le problème de la crise de filière canne-sucre de La Réunion, le problème environnemental est aussi grave que le problème social et économique. Si malgré les efforts de tous, la filière canne venait à disparaître, que faisons-nous avec 26.000 hectares de terres dont l’humus est retenu justement par les racines des rangées de cannes disposées en lignes de niveau ?
Et bien vous avez un humus, qui a mis des siècles à s’accumuler, qui part en quelques heures. Vous avez là les glissements de terrain et le danger de l’eau qui n’est plus retenue, qui n’alimente plus nos nappes phréatiques.
Nous allons vers un bouleversement de la vie des Réunionnais, si nous ne trouvons pas une solution satisfaisante au problème de la filière canne. C’est un exemple mais n’oublions jamais ce qui s’est passé dans le cirque de Salazie avec l’engloutissement du petit village de Grand-Sable par des glissements de terrain. À Salazie aussi, tout le Grand Îlet est menacé.

Ne pas provoquer le destin

C’est tout le problème, vous avez une force, qui est antérieure à celle de la vie des élus qui ont décidé, et qu’on appelle la pesanteur. Quand vous circulez sur la route du Littoral, vous voyez déjà des chutes de plaque aux endroits où la falaise n’est pas verticale. Vous avez la pesanteur qui vous dit que ce sera éternel.
Vous avez la mer, et c’est à la jonction des deux que les élus de l’époque ont décidé de tracer une route. C’est provoquer le destin, c’était provoquer des forces qui ne sont pas pas maîtrisables. M. René Robert, qui dirige le débat public, a assisté à la venue d’une vague qui, dans la zone de l’Ouest, est venue jusqu’à la cheminée de Bruniquel en 1968. Et maintenant, combien de villas, combien de maisons ont été construites dans ce secteur ?
Sur ce plan, nous sommes confrontés à nos responsabilités, alors que l’année prochaine a lieu la révision du schéma d’aménagement régional".


Prise de conscience des élus

Le président de l’Observatoire national sur les effets du changement climatique est revenu sur le colloque organisé par l’ONERC jeudi dernier au Sénat.

"Le dernier colloque que nous avons organisé au Sénat a été un très grand succès et il a permis la comparaison avec le premier : nous avions des experts de très haut niveau et pratiquement pas d’élus. Cette fois-ci, la salle était pleine et il y en avait plus de la moitié composée d’élus, cela veut dire qu’il y a une prise de conscience, et aussi bien la salutation du président du Sénat, que la venue spécialement du ministre avec les considérations qu’ils ont exposées, notamment l’appréciation du travail de l’ONERC, ont été pour nous un très grand encouragement. Je crois que désormais la marche a commencé et qu’elle s’accélère. Il est temps parce que la situation est vraiment très sérieuse".


Quand un filaos ressemble à un pandanus

Pour Paul Vergès, l’observation de l’environnement permet de comprendre très vite. "À La Réunion, je pense que la perception globale de l’environnement facilite cette prise de conscience. Je prends un exemple : quand les gens vont par milliers camper le dimanche à l’Hermitage ou ailleurs en pique-nique, quand ils voient un filaos sur le bord du rivage et qu’il ressemble à un pandanus, parce que ses racines émergent à une grande distance du sol, ils peuvent se dire tout de suite que dans moins d’une vie humaine, c’est cette épaisseur de plage qui a disparu.
"On a malheureusement l’expérience, qui est parfois douloureuse. La prise de position de l’opinion en Métropole a été précédée par la tempête de Noël 1999, les inondations dans le Languedoc-Roussillon et dans la Picardie, la canicule de l’année dernière avec 15.000 morts supplémentaires".


Des siècles pour rétablir l’équilibre

"Le président de la mission interministérielle contre l’effet de serre l’a annoncé au milieu du colloque de l’ONERC : c’est la décision du gouvernement russe de faire ratifier le protocole de Kyoto. La limite est franchie, et maintenant les ratifications sont suffisantes pour que les propositions de Kyoto s’appliquent au monde entier. C’est un progrès "considérable.
Mais les résultats de ce progrès, c’est d’arrêter la pollution, et de la faire reculer. Les résultats seront ressentis dans un, deux, ou trois siècles. Le ministre actuel de l’Écologie a fait un rapport il y a quelques années, au Sénat, et il a indiqué que si on arrête tout, il faudra cinq siècles pour que l’atmosphère de la planète retrouve son état d’avant l’industrialisation".


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