Changement climatique : Quand les lobbys et un traité mettent en danger l’avenir de la planète

25 février 2021, par David Gauvin

Nous assistons ces dernières semaines à de grandes avancées dans la lutte contre le changement climatique. Mais ces avancées obtenu en justice sont contrariées par les énergéticiens grâce au Traité sur la charte de l’énergie.

Le contentieux climatique s’est fortement développé ces dernières années avec une accélération en France ces dernières semaines. Le 19 novembre, le Conseil d’État donnait 3 mois à l’État pour revoir sa stratégie climatique. En janvier 2019, la ville de Grande-Synthe, dans le Nord (et son ancien maire, désormais député européen Europe Ecologie-Les Verts, Damien Carême), avait saisi le Conseil d’État d’un recours visant « l’inaction climatique » de la France. Ce dernier faisait suite au refus du gouvernement de répondre à la demande des requérants de prendre des mesures supplémentaires pour respecter les objectifs de l’accord de Paris, dont on célébrera le cinquième anniversaire le 12 décembre. Il en est de même affaire l’affaire du siècle le 3 février.
Nous constatons que la seule action proposée est l’insipide loi climat et résilience qui n’est qu’un catalogue de mesurette et d’intention.

Mais qu’est ce qui freine l’Etat ?

C’est la nouvelle enquête, dévoilée ce 23 février, du groupement de journalistes Investigate Europe qui nous le démontre : le Traité sur la charte de l’énergie. Il permet aux géants des énergies fossiles de dissuader les États d’instaurer des politiques climatiques volontaristes.
Le Traité sur la charte de l’énergie (TCE) est un outil très utile aux investisseurs et aux entreprises des énergies fossiles : ses mécanismes permettent de dissuader ou de sanctionner les pouvoirs publics qui adoptent des mesures favorables à la lutte contre le réchauffement climatique. À cause de lui, tout pays voulant interdire les projets de forage ou d’extraction minière s’expose à des réclamations et des dédommagements.

Qu’est-ce que le Traité sur la charte de l’énergie ?

Signé le 17 décembre 1994, le TCE est entré en vigueur en 1998 et compte, à ce jour, cinquante-trois parties prenantes, dont l’Union européenne (UE) et tous les pays de l’UE — sauf l’Italie, qui s’est retirée en 2016 —, le Japon, l’Australie, ou encore la Turquie. « Son objectif initial était de sécuriser l’approvisionnement en énergies fossiles des pays d’Europe de l’Ouest à partir des pays issus du bloc soviétique », explique à Reporterre Yamina Saheb, experte des politiques énergétiques et ancienne responsable de l’unité efficacité énergétique du secrétariat international du TCE.

Le traité repose sur un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, qui permet aux entreprises d’attaquer un État devant un tribunal arbitral privé. « S’ils estiment qu’une politique gouvernementale nuit à leurs activités commerciales, des investisseurs peuvent ainsi contourner les tribunaux nationaux », précise Yamina Saheb. Ce faisant, « le TCE protège les investisseurs étrangers dans leur pays d’accueil en leur octroyant une protection privilégiée, sous forme d’une justice privée qui leur est beaucoup plus favorable que les juridictions nationales, et habilitée à ordonner aux gouvernements de verser des milliards d’euros aux entreprises concernées », déplore Amandine Van Den Berghe. Les Pays-Bas ne sont pas le premier pays à faire face à une telle réclamation. Depuis 1998, plus de 136 litiges connus font référence au TCE, « dont 66 % sont des litiges intraeuropéens », souligne Yamina Saheb.

Pourquoi ce traité entrave-t-il la lutte contre le changement climatique ?

« Cette justice parallèle peut réduire à néant les objectifs de l’Accord de Paris pour le climat, alerte Sara Lickel, chargée de plaidoyer commerce à l’Institut Veblen, qui œuvre pour une économie plus juste et respectueuse des limites physiques de la planète. L’industrie des énergies fossiles utilise de plus en plus le TCE pour contester l’action climatique et continuer à tirer profit de la combustion du pétrole, du charbon et du gaz. »

Outre le contentieux entre RWE et les Pays-Bas, l’Allemagne a été poursuivie à deux reprises par la multinationale énergétique suédoise Vattenfall. Dans le premier cas, l’entreprise a réussi à assouplir les normes environnementales imposées à une de ses centrales électriques au charbon près de Hambourg. Aujourd’hui, elle réclame plus de 6,1 milliards d’euros pour le manque à gagner lié à deux de ses centrales nucléaires à la suite de l’abandon progressif du nucléaire allemand décidé après la catastrophe de Fukushima.

« Ces actions contribuent à la fois à ralentir certaines mesures, mais aussi à obtenir une compensation financière que les investisseurs n’auraient pas obtenue sur un plan national », observe Amandine Van Den Berghe. Or, cette compensation ne se justifie pas toujours. Dans le cas de RWE, qui attaque l’État néerlandais, « RWE aurait dû prévoir il y a des années que des mesures seraient prises pour réduire les émissions, et a décidé de mettre en service une nouvelle centrale à charbon en 2015 en connaissance de cause. Maintenant, la société essaie de faire payer la facture au contribuable. »

En France, l’entreprise pétrolière canadienne Vermilion est parvenue à faire reculer le gouvernement sur le projet de loi hydrocarbures. C’était en 2017 et le ministère de la Transition écologique de Nicolas Hulot présentait un projet de loi mettant fin à l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures sur l’ensemble du territoire français d’ici 2040. Il interdisait la délivrance de nouveaux permis d’exploration ainsi que le renouvellement des permis d’exploitation. Mécontente, la compagnie Vermilion a envoyé une note au Conseil d’État, menaçant la France de poursuite devant des tribunaux d’arbitrage, car le projet de loi portait atteinte à ses droits d’investisseur au titre du TCE. La version définitive de la loi a finalement autorisé le renouvellement des permis d’exploitation pétrolière jusqu’en 2040, voire au-delà sous certaines conditions.

Au vu de l’urgence climatique, et de l’impossibilité de réformer ce traité, la première mesure que doit prendre la gouvernement est de sortir de ce Traité comme l’a fait avant lui l’Italie. Les mécanismes de protection de l’ancien monde sont puissants, mais l’union de tous permettra d’abattre ces barrières, pour créer ce monde nouveau, auquel nous aspirons tous.

David Gauvin

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