Changements climatiques

Coup de chaud au sommet du globe

26 novembre 2004

La plus vaste étude menée à ce jour sur le pôle Nord, région témoin du devenir climatique du globe, livre un constat alarmant : aux alentours de 2100, la calotte glacière pourrait complètement disparaître en été. Un drôle de chamboulement pour la biodiversité régionale.

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Le pôle Nord a chaud. Au sommet de la planète, le mercure grimpera, d’ici la fin du siècle, deux fois plus vite que sur le reste du globe. En accéléré. À tel point qu’aux alentours de 2100, la calotte glacière pourrait complètement disparaître en été, un drôle de chamboulement pour la biodiversité régionale. Devant ce constat alarmant, les ministres des Affaires étrangères des huit pays du Conseil Arctique (1) , responsables à eux seuls d’environ 30% des émissions humaines de CO2, se sont réunis, mercredi, à Reykjavik, en Islande. Leur base de travail : une étude menée pendant quatre ans par les 300 scientifiques de l’Évaluation de l’impact sur le climat de l’Arctique (ACIA). Ces chercheurs étaient eux-mêmes réunis, du 8 au 12 novembre, dans la capitale islandaise, pour présenter leurs travaux.

Une annonce pour le reste de la planète

Commandée en 2000 par le Conseil de l’Arctique et le Comité scientifique international de l’Arctique, cette étude est la plus vaste menée à ce jour. Pourquoi le pôle Nord ? "Parce que ce qui se passe là-bas annonce ce qui va se produire sur le reste de la planète", répondait le Norvégien Paal Prestrud, directeur du Centre d’études sur les changements climatiques et vice-président de l’ACIA. Là-bas, justement, le thermomètre devrait augmenter en moyenne de 4ºC à 7ºC d’ici 2100. De son côté, le Groupe international d’experts sur le climat (GIEC) avait précédemment tablé sur une hausse de 1,4°C à 5,8°C pour la même période sur l’ensemble du globe. "Cela se produit beaucoup plus vite qu’on ne le pensait il y a seulement cinq ans", alertait le 8 novembre, le climatologue Robert Corell, en présentant les résultats de l’étude.
Conséquences directes : les forêts s’étendraient sur la toundra arctique, qui, à son tour, prendrait le dessus sur les déserts glacés. Les premiers à en pâtir seront les ours polaires, les phoques, les caribous, ou encore les rennes et les oiseaux migrateurs, privés d’habitat et confrontés à de nouveaux prédateurs. Car qui s’en va, perd sa place. D’autres espèces animales prendront le relais, plus adaptées à ce nouvel environnement et au climat plus doux. Si la biodiversité augmentera avec les températures, les hommes, eux, devront faire leurs valises.

Agir d’urgence

Six organisations de peuples autochtones, membres du Conseil de l’Arctique, ont appelé la communauté internationale à agir d’urgence. En plus de perdre leurs sources de subsistance, quatre millions de personnes devront faire face à une hausse du niveau des mers de 90 centimètres. À ce rythme, le Groenland peut, en fondant, faire monter ce seuil de 7 mètres. "Nos maisons, nos modes de vie, nos vies carrément sont menacées, alors que nos itinéraires traditionnels de déplacements deviennent dangereux", a affirmé Gary Harrinson, chef du conseil des Indiens Athabaskan, de l’Arctique. "L’Arctique est le signal précurseur du reste du monde. Protégez l’Arctique et vous sauverez la planète", ont lancé les organisations des peuples autochtones.
Il y a peu de chance qu’ils soient entendus par les États-Unis, toujours réfractaires à ratifier le protocole de Kyoto, qui prévoit de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. La réélection de George W. Bush n’augure rien de bon à ce sujet. "Il y a un glissement en cours mais il est subtil", a assuré l’américain Robert Corell. En Norvège, le rapport des scientifiques rencontre un meilleur écho. "Le protocole de Kyoto seul n’est pas suffisant. Nous avons besoin de traités internationaux ambitieux", a déclaré Knut Arild Hareide, ministre norvégien de l’Environnement, après avoir pris connaissance de l’étude. Quoi qu’il en soit, les dirigeants devront agir vite.

Vincent Defait

Les huit États frontaliers (Canada, Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Russie, Suède et États-Unis) et six organisations de peuples autochtones.

Article paru dans l’édition du 24 novembre de “l’Humanité”. Les intertitres sont de “Témoignages”.


Jadis, un climat subtropical

Une série de forages dans l’océan Arctique révèle le climat polaire sur 56 millions d’années. Un record.

L’océan Arctique n’a pas toujours été si froid. Il y a 55 millions d’années, un climat subtropical régnait sur le pôle Nord et une eau chaude coulait en surface de l’océan Arctique. C’est ce que révèle une étude menée par les scientifiques de dix pays de la mission ACEX (Artic coring expedition), sous l’égide du programme international de forages arctiques IODP (Integrated ocean drilling program). Ils ont présenté à Brême, en Allemagne, les premiers résultats d’une expédition de forage menée en août et septembre derniers.
Sur leur navire de forage, flanqué de deux brise-glace, les chercheurs ont rapporté une carotte de 430 mètres de sédiments sous-marins, un long témoin de près de 56 millions d’années de climat nordique. "Jusqu’à présent, nous ne connaissions rien au-delà de 500.000 ans", explique Frédérique Eynaud, du département de géologie et océanographie de l’université Bordeaux-I. "C’est la première occasion de tester les hypothèses des paléocéanographes". Pour cela, les scientifiques sont allés forer à 220 kilomètres du pôle Nord, à 800 mètres sous la surface de l’eau, à proximité de la ride Lomonosov, une énorme montagne sous-marine.
Dans leur carotte, les scientifiques ont identifié des micro-fossiles d’animaux et de plantes typiques des eaux subtropicales à 20ºC. Une trace marquante, aussi, du “Paleocene-Eocene Thermal Maximum”, une période d’importante transformation du climat du globe. L’échantillon révèle également que de l’eau douce a coulé dans la région, il y a 50 millions d’années ; ensuite, il y a eu une période de refroidissement.
"Nous essayons de dater le moment auquel la glace est apparue au pôle Nord, mais il semble clair que les glaces pérennes existaient déjà il y a 15 millions d’années", a expliqué Kate Moran, de l’université de Rhode Island et l’un des deux responsables scientifiques de la mission. Des premiers signes de glaciation se dessinent vers 40 millions d’années, plus tôt que ne l’avaient imaginé les scientifiques jusqu’à présent.
Ces résultats attendent d’être complétés par une étude plus approfondie des sédiments rapportés du fond de l’océan Arctique. Les échantillons ont été répartis entre les différents laboratoires participant à la mission. Livreront-ils d’autres secrets ?


De nouveaux échanges maritimes ?

À la différence de l’Antarctique qui est un continent recouvert de glace, l’Arctique se présente comme un énorme bloc de glace se baladant sur les mers. Il a toujours constitué un obstacle pour les liaisons maritimes intercontinentales par le pôle Nord. Aussi la majeure partie des relations entre continents s’est faite un peu plus au Sud : dans la partie Sud de l’Atlantique, voire même par l’hémisphère Sud. C’est ainsi que l’ex-URSS a toujours voulu avoir une porte de sortie vers la mer Noire ou la mer Caspienne. C’est ainsi que dans notre zone géographique, on a d’abord doublé le cap de Bonne-Espérance avant de construire le canal de Suez. Notre île a été colonisée parce qu’elle se situait sur la route des Indes.
Avec la fonte des glaciers de l’Arctique en été dans une centaine d’années, le vieux rêve de liaisons intercontinentales par le pôle Nord deviendrait une réalité. Un élément qui devrait changer pas mal de choses sur le plan des échanges entre l’Amérique du Sud, la Russie, le Japon, la Chine. Quelles en seraient les conséquences pour les îles du Sud-Ouest de l’océan Indien ? Et, si l’Arctique n’avait pas été cet immense glacier, La Réunion aurait-elle été colonisée et habitée ?


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