Une tribune libre de Didier Dérand

Et pendant ce temps, le corail se meurt....

26 avril 2004

En introduction de l’arrêté n° 403 du 17/02/2003 - qui établit les réserves marines (réserves de pêche) à La Réunion - l’administration préfectorale

- reconnaît que "les espèces coralliennes sont menacées du fait de l’évolution naturelle, provoquée ou accidentelle de leur milieu de vie",

- et considère "qu’il y a donc lieu de restreindre ou interdire certaines activités de pêche ou de circulation dans les zones coralliennes de l’Île de La Réunion".
Dans le même temps elle se targue communément de faire tout ce qu’elle peut pour protéger nos écosystèmes coralliens, a fortiori dans les réserves.
Qu’en est-il réellement ?

Tout d’abord, un point sur la réglementation préfectorale censée protéger le corail.
1) Les réserves de pêche englobent la majeure partie des zones coralliennes de La Réunion : l’ensemble de nos lagons, ainsi que deux zones coralliennes jusqu’à moins 50 mètres en mer entre la ravine de Trois-Bassins et le port de Saint-Gilles et entre le Cap Boucan et le Cap la Houssaye.
L’arrêté n° 403 du 17/02/2003 précité :

- y interdit "la pêche et le ramassage de tout organisme vivant ou mort, à l’exception de la pêche à pied à la ligne sans moulinet (gaulette) pratiquée de jour" (article 1er) ;

- n’y autorise la circulation à pied "que dans la limite des 25 mètres depuis la ligne des plus hautes eaux, et sur les fonds sableux de grande étendue" (article 2).
2) L’arrêté n° 1904 du 25/05/1976 sur la pêche sous-marine précise : "Il est interdit au pêcheurs sous-marins : (...) b) - de pêcher du corail vivant, toute l’année ; (...)" (article 12 relatif aux espèces protégées).
3) L’arrêté général n° 402 du 18/02/2003 sur la pêche maritime précise : "La pêche du corail vivant est interdite, tout acte de destruction du corail est également prohibé" (article 13 relatif à la pêche du corail, des coquillages et des oursins).
4) enfin, l’arrêté n° 309 du 13/02/2004 sur la pêche "traditionnelle" en réserve précise en son article 2 intitulé "capucin nain"  :
b) "la pêche du capucin nain ne peut s’exercer que dans le chenal d’embarcation, c’est à dire dans la dépression sableuse comprise entre la laisse de la plus haute mer et le platier récifal, jusqu’à 25 mètres maximum de la laisse de la plus haute mer".
c) "Dans les chenaux d’embarcation et les passes des ravines, le piétinement et la pêche aux capucins nains sur les massifs coralliens sont interdits. La pêche du capucin nain est également interdite sur le platier récifal et la plate-forme corallienne dont la partie supérieure peut émerger à marée basse".

Tout cela est bel et bon. Mais sur le terrain, la réalité est tout autre.
Avant même d’aborder l’application réelle de ces mesures, posons-nous déjà la question de leur intérêt, de leur légitimité et de leur applicabilité.
1) L’article 12 de l’arrêté sur la pêche sous-marine : pas de réel intérêt ici : ce type de pêche est de toute façon interdit en réserve (article 10 du même arrêté).
2) Les arrêtés n° 402 et n° 309 : ils sont illégaux. Depuis 1999, la Préfecture sort chaque année des arrêtés similaires sur la pêche maritime et la pêche en réserve. À partir de 2001, ces arrêtés ont systématiquement été attaqués par la fédération française France Nature Environnement (FNE). Tous ont été cassés par le tribunal administratif (dans l’arrêté n° 402, seul l’article 11 avait été attaqué, une précaution de FNE pour ne pas laisser le champ libre aux braconniers).
La Préfecture le sait. Les affaires maritimes aussi. Tout le monde le sait. Mais visiblement, la légalité et le respect des décisions de justice, les autorités n’en ont cure !
3) L’article 2 de l’arrêté n° 403 : si restreindre la circulation à pied à la zone des 25 mètres diminue théoriquement le risque de destruction du corail, dans les faits cette formulation est - volontairement ? - beaucoup trop vague ; d’autant que la Préfecture a toujours refusé de mettre en place une signalisation adéquate pour matérialiser cette limite (sous forme de lignes de bouées par exemple).
Qui plus est, la limite en elle-même est absurde : dans nombre de nos lagons, le corail "démarre" dès les premiers mètres à partir de la plage.
Et de toute façon je n’ai jamais vu personne se faire arrêter pour "circulation à pied dans le lagon au-delà de la limite des 25 mètres"...
4) L’article 13 de l’arrêté n° 402 : un autre bel exemple d’hypocrisie.
La phrase "tout acte de destruction du corail est également prohibé" n’a été rajoutée que très récemment (2002) dans l’arrêté sur la pêche maritime, après des années de revendication des associations de protection de l’environnement.
Mais cela n’aura été au bout du compte qu’un bout de papier supplémentaire, un os à ronger jeté aux associations pour les faire taire.
Rendez-vous compte, s’il fallait l’appliquer : aucune distinction entre destruction directe ou indirecte, volontaire ou involontaire ; il n’y a donc pas lieu de faire d’exception !
Et alors, quid des rejets des usines, de la station d’épuration de M. le Maire, de la piscine chlorée du bel hôtel pieds dans l’eau, des égouts du resto de la plage ou de la fosse septique du simple quidam ? Sans parler de tous les gens - promeneurs ou braconniers - qui prennent encore le récif pour un boulevard... C’est-y pas de l’acte de destruction, tout ça ?
Par ailleurs, l’arrêté n° 402 est loin d’être clair, et l’on est légitimement en droit de se poser la question de l’applicabilité réelle de cette mesure dans les réserves, là où le corail se trouve concentré. Car l’article 1er de l’arrêté précise que l’exercice de la pêche - et en particulier celle du corail vivant - dans les réserves, n’est pas soumis aux dispositions dudit arrêté.
Certes, on peut toujours arguer que "destruction" et "pêche", juridiquement, ce n’est pas la même chose et, dans ce cas, la phrase en question aurait une chance d’échapper à la limitation imposée par l’article 1er.
Reste que cet arrêté n° 402 parle de pêche, exclusivement de pêche. Et dans tous ses articles, seule cette petite phrase parle d’autre chose. Et si la destruction n’est pas forcément de la pêche, pêcher des êtres vivants c’est le plus souvent les détruire....

Alors, peut-on réellement distinguer pêche et destruction du corail ? Et cette interdiction de détruire le corail s’applique-t-elle ou non dans les réserves ?
En fait, il est particulièrement maladroit de la part des Affaires maritimes - qui élaborent les arrêtés préfectoraux en la matière - d’avoir noyé cette phrase, capitale pour la protection du corail, au milieu d’un arrêté de 7 pages entièrement dédié à l’organisation de la pêche maritime. Mais après tout, ne serait-ce pas volontaire ?
La question n’est pas dénuée de sens. En effet :
- 1) On se rappelle qu’en 1991, lors du colloque "Protection des Lagons", l’interdiction de marcher sur le corail réclamée par les associations avait été rejetée catégoriquement par le sous-préfet de Saint-Paul dans le but, clairement exprimé, de ne pas se mettre à dos les pêcheurs à la ligne.
- 2) L’interdiction de détruire le corail n’apparaît pas dans l’arrêté "réserves" n° 403 (c’est bien là le comble !). Ce dernier n’interdit en effet que la pêche et le ramassage.
- 3) Les limitations - en particulier l’interdiction de piétiner le corail - imposées par l’article 2 de l’arrêté n° 309 s’imposent apparemment aux seuls pêcheurs de capucin nain (donc pour une activité et pendant une période très limitées). En tout cas, l’interdiction à tous usagers est loin d’être claire !

Pour ce qui est de l’application effective de la réglementation en matière de destruction du corail, là au moins les choses sont claires : l’État refuse tout simplement de faire son travail.
Les mesures préfectorales ne sont que de la poudre aux yeux destinée avant tout à se donner bonne conscience en se forgeant une image responsable vis à vis des médias et du public.
Il suffit d’ouvrir les yeux pour s’en convaincre : il y a toujours autant de braconnage dans les lagons, toujours autant de pêcheurs à la ligne sur le récif (hors la zone des 25 mètres), toujours des "promeneurs" - pas toujours innocents - sur le corail à marée basse. Quant aux pêcheurs de capucin, ils exercent leurs talents n’importe où, en particulier sur le corail, sans que personne n’y trouve à redire.
D’ailleurs, je défie quiconque à La Réunion de me montrer un procès-verbal - un seul suffira - qui ait été dressé à l’encontre d’un contrevenant pour avoir piétiné du corail (je parle d’un vrai PV évidemment, un avec des suites...).

En fin de compte, les vraies préoccupations de l’Administration sont toujours les mêmes :
1) Pour les Affaires maritimes, défendre l’intérêt financier immédiat des pêcheurs professionnels, quitte à leur accorder un permis de braconnage en bonne et due forme (violation de l’arrêté sur la pêche sous-marine, une nouveauté de la saison de pêche au capucin 2003, reconduite en 2004).
2) Pour la Préfecture, préserver l’ordre public et la tranquillité de l’Administration (éviter le retour des barrages de route par les braconniers), en autorisant tous les pêcheurs de loisir sans exception - donc in fine tous les Réunionnais - à pêcher au filet dans les réserves, quels que soient les dégâts. Et l’on connaît l’impact destructeur de la pêche au filet en milieu corallien lagonaire...
Pour cela, tous les moyens sont bons : bafouer les lois de la République, violer systématiquement les décisions de justice, et ignorer purement et simplement les conclusions alarmantes des études scientifiques pourtant commandées par l’État et payées, évidemment, avec l’argent du contribuable !

Et pendant ce temps le corail, lui, se meurt.
Après les grandes marées basses à répétition avec piétinement intensif, après les épisodes de houle cyclonique qui ont cassé le corail et ramené la boue sur les colonies coralliennes, ces dernières ont dû affronter une augmentation de la température de l’eau sans précédent pendant l’été 2004. Avec à la clé un blanchiment généralisé et la colonisation algale qui s’ensuit hélas très souvent.
Si le phénomène est important dans les lagons (exemple : Saint-Pierre), il est également visible à l’extérieur dans des profondeurs bien supérieures (moins 15 mètres), y compris en zone extra-récifale (Manapany, Pointe au Sel, Boucan, etc...).
Certes, me direz-vous, l’augmentation de la température de la planète n’est ni de la responsabilité ni de la compétence du préfet ou du directeur des Affaires maritimes. Mais depuis cinq ans, ces hauts "responsables" ont aussi amplement démontré que la préservation de notre environnement marin et de la ressource halieutique sur le long terme n’était pas - et de loin - leur priorité. Et c’est bien malheureux car, au bout du compte, ce sont nos enfants qui paieront l’addition.

Didier Dérand,
Ordre National du Mérite au titre de l’Environnement
Saint-Joseph
E-mail : [email protected]


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