Des pluies et de graves conséquences

La réalité tropicale de La Réunion

18 février 2005

Moins d’une semaine après la coulée de boue de La Chaloupe, de nouvelles chutes de pluies ont des conséquences qui ont cette fois concerné la majeure partie de la population. Et on retrouve les mêmes ingrédients qui aggravent la situation : imprévision dans l’aménagement du territoire et impréparation à gérer une situation qui pourtant n’est pas exceptionnelle. Un nouvel avertissement pour notre société à l’aube d’un siècle qui sera marqué par les impacts du changement climatique.

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Depuis maintenant deux jours, la majeure partie de notre île est touchée par des pluies qui, si elles sont abondantes, ne sont pas exceptionnelles pour la saison. Entre 17 heures mardi et 17 heures mercredi, il était tombé 335 mm à Bras-Panon ou 257 mm à Saint-Benoît. On est donc loin des records. Mais aux dégâts matériels s’est ajouté un drame humain : un enfant de 11 ans est mort noyé à Saint-Denis.
À l’heure où l’orage continue de gronder, on ne peut que déplorer que cette situation résulte d’une somme d’imprévoyances que nous ne cessons de payer tous les jours.

Prendre conscience

Ces pluies ne sont pas exceptionnelles, elles sont donc une occasion de tirer les premiers enseignements afin de mieux nous préparer à affronter les phénomènes extrêmes et imprévisibles, conséquence du changement climatique déjà enclenché. En effet, selon des chercheurs, l’océan Antarctique connaît une évolution rapide de sa température et de sa salinité, preuve selon eux d’une modification du rythme des courants marins. Or, de ces courants de l’océan mondial dépend en grande partie le climat des masses continentales. C’est toute cette mécanique naturelle qui est brutalement remise en cause, et c’est à l’impact de ces phénomènes imprévisibles que nous devons nous préparer. Et les précipitations qui frappent actuellement notre île nous montrent tout le travail qu’il reste à accomplir. Et en premier lieu, un grand pas sera fait quand tous les décideurs prendront conscience que La Réunion est située dans une zone intertropicale, et que des solutions mises en œuvre pour assurer le développement d’un pays européen marqué par un climat tempéré et une stagnation démographique ne s’appliquent pas toujours avec bonheur, dans une île du Sud-Ouest de l’océan Indien qui connaît un rapide accroissement démographique.

Problèmes de transport

Parmi les faits les plus remarqués hier, les routes coupées, et en particulier la Route du littoral. Cela pose à nouveau deux problèmes : l’aménagement du territoire et les déplacements. Avec une concentration des services et des centres de décision de Saint-Denis, chaque jour, des dizaines de milliers de personnes se rendent dans la capitale. Or, cette dernière est séparée d’une grande partie du pays par une montagne difficilement franchissable. Et maintenant nous ne cessons de payer une décision imprévoyante : faire passer le trafic reliant le port et les micro-régions les plus peuplées à Saint-Denis par une route construite en pied de falaise, dans un pays tropical. Cela rappelle combien il est important de prendre en compte la réalité réunionnaise dans la construction d’un ouvrage d’aménagement du territoire.
Autre problème : des pluies paralysent notre économie car les automobiles peuvent difficilement circuler dans ces conditions météorologiques. Cela souligne l’urgence de mettre en œuvre une alternative fiable au mode de transport dominant actuel. Car si le train que connaissaient les Réunionnais avait été modernisé en anticipant sur les contraintes démographiques prévues dès les années 60, il aurait sans doute circulé hier sans problème, assurant la liaison entre le port, l’Ouest et la capitale. C’est une réponse à ceux qui disent que le tram-train est trop cher ou inadapté. Des pluies qui n’ont rien d’exceptionnel sous nos latitudes démontrent les limites du tout-automobile dans notre île.

Logement et érosion

Autre enseignement : tout faire pour que les Réunionnais puissent avoir droit à un logement digne, qui ne soit pas à la merci de l’invasion des eaux à la moindre pluie ou d’un glissement de terrain. Alors que pour faire face à l’accroissement démographique, le nombre de logements devra presque doubler en moins de 30 ans, cela montre qu’il faut s’entourer d’un maximum de précaution pour éviter les drames humains et matériels. Attention donc à ne pas bétonner à tout va, sans réfléchir.
Cela justifie également la lutte menée par tous ceux qui refusent que la canne à sucre réunionnaise appartienne uniquement aux livres d’Histoire. Car il est prouvé de longue date que le système racinaire des plantations retient des masses considérables de terres, qui ne demandent qu’à se précipiter dans l’océan à la moindre pluie.

Question de calendrier

Autre événement marquant : la fermeture des écoles quasiment partout dans l’île, sauf dans le Sud. Une situation due a des pluies que les météorologues qualifient de normales pour la saison. Aussitôt se pose la question de l’adéquation du calendrier scolaire avec la réalité réunionnaise. Car le phénomène que nous connaissons actuellement peut se produire à n’importe quel moment de janvier ou de février. Va-t-on continuer à laisser les jeunes perdre des journées d’apprentissage à cause de phénomènes climatiques de saison, et donc prévisibles ?
Enfin, nous payons également le résultat de la précarité dans un service public - Météo France. Des agents y travaillent depuis plus de 20 ans, sans être titularisés. Ils sont aujourd’hui en grève et l’information a donc moins bien circulé.
À l’aube d’un siècle qui verra notamment les pays de la zone intertropicale concernés par les conséquences des changements climatiques, une des responsabilités des décideurs est clairement établie : anticiper l’impact de ces phénomènes dans tous les projets d’aménagement du territoire.

Manuel Marchal


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