Les scientifiques alertent face à cette "bombe à retardement"

La température à la surface des océans bat des records de chaleur

9 mai 2023

La surface des mers a battu en avril son propre record annuel et elle se maintient à des niveaux inédits. Le phénomène est alarmant mais sans surprise pour les scientifiques, car cela illustre surtout comment les activités humaines ont transformé les océans en "bombe à retardement" du réchauffement climatique.

Début avril, la température moyenne à la surface des océans, à l’exception des eaux polaires, a atteint 21,1°C, selon les données de l’observatoire américain NOAA. Le précédent record était de 21°C en mars 2016.

Si la moyenne a commencé à redescendre un peu fin avril — en raison de la sortie de l’hiver austral —, les températures se maintiennent depuis six semaines au-dessus des records de saison.

Cela "se traduit au niveau régional par une multitude de vagues de chaleur marines" qui "agissent telles des incendies sous-marins, pouvant dégrader de manière irréversible des milliers de kilomètre carrés de forêts sous-marines, par exemple de laminaire, d’herbiers de posidonie, ou de coraux", a décrit l’océanologue du CNRS, Jean-Baptiste Sallée.

Ce dernier a indiqué que "les températures les plus spectaculaires se trouvent dans le Pacifique le long de l’Amérique centrale", mais l’anomalie touche aussi de larges zones dans le nord du Pacifique ainsi que sur les côtes atlantiques d’Europe du Sud et d’Afrique de l’Ouest.

"Il n’est pas surprenant que les océans se réchauffent, on l’observe d’année en année à un rythme absolument faramineux", a rappelé l’auteur du Giec contacté par l’Agence France Presse. Jean-Baptiste Sallée a expliqué que "l’océan, tel une éponge, absorbe plus de 90% de l’augmentation de chaleur causée par les activités humaines".

Les effet ne se limitent pas à la biodiversité marine. "Il y aura une évaporation accrue et un fort risque de cyclones plus intenses", a expliqué à l’AFP l’océanologue Catherine Jeandel, "et peut être des conséquences sur les courants océaniques".

Des eaux plus chaudes "fonctionnent comme une barrière qui freine les échanges de gaz", ajoute la géochimiste : "la pompe à oxygène de l’océan va moins bien fonctionner" et "il en ira de même pour la pompe à CO2", réduisant l’absorption des gaz à effet de serre produits par l’homme.

Ce nouveau record ne surprend pas Frédéric Hourdin, car "ils sont normaux, dans le cadre d’une situation plus que préoccupante, anticipée depuis longtemps et qui nécessite une transformation profonde de nos modes de fonctionnement". De fait, "on ne prend pas suffisamment conscience que l’objectif est de se passer totalement de pétrole et de charbon", a conclut ce spécialiste des modèles climatiques.

Ce record pourrait être le signe d’une sous-évaluation du réchauffement. Mais il est "impossible à dire sur la base d’un record", compte-tenu de "la part de variabilité naturelle du climat qui fait que ça peut chauffer davantage pendant quelques mois ou années".

Les scientifiques expliquent que les océans du globe ont connu trois années consécutives de La Niña, phénomène cyclique-climatique qui refroidit les eaux de surface. Or le phénomène inverse, El Niño, semble s’installer en 2023 et la transition, avec la fin de l’effet refroidissant de La Niña, pourrait s’être conjuguée au réchauffement de long terme pour produire ce nouveau record.

"Si nous intégrons la tendance séculière d’augmentation de la température de surface, l’année 2023 ne semble pas trop décalée par rapport aux autres années El Niño", a expliqué le climatologue américain David Ho sur Twitter, "c’est la tendance à long terme qui devrait nous alarmer".

Les océans ont absorbé 90% de l’excès de chaleur du système terrestre provoqué par l’activité humaine au cours de l’ère industrielle, les scientifiques estiment qu’ils contiennent une énergie colossale dans ses profondeurs, 10 zettajoules en 2022 soit 100 fois la production mondiale d’électricité.

"Pendant des années El Niño, les profondeurs océaniques relâchent de la chaleur en surface et réchauffent l’atmosphère", a avertit Jean-Baptise Sallée. Pour Catherine Jeandel, "à force de le chauffer, l’océan devient un peu comme une bombe à retardement".

De plus, "les projections suggèrent que le réchauffement historique des océans est irréversible au cours de ce siècle", a ajouté l’océanographe du centre Mercator Océan, Karina Von Schuckmann.

Si la température de la surface des mers pourrait se stabiliser rapidement en cas de réduction forte des émissions de gaz à effet de serre de l’humanité, en revanche "l’océan profond s’ajuste sur des siècles ou des millénaires", a précisé la chercheuse, spécialiste du déséquilibre énergétique de la Terre.


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