« Le problème du climat, gérer un risque connu »

7 avril 2007

Environnement. Les chercheurs du Groupement intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ont débattu cette semaine, à Bruxelles, des impacts du changement climatique.

Réchauffement climatique, deuxième acte. Début février, quelque cinq cents scientifiques du monde entier, réunis à Paris, livraient le chapitre “scientifique” du quatrième rapport du Groupement intergouvernemental d’évolution du climat (GIEC).
Cette semaine, à Bruxelles (Belgique), une autre flopée de chercheurs débat du volet dédié aux « impacts, à l’adaptation et à la vulnérabilité » des systèmes naturels au changement climatique. Le « résumé à l’intention des décideurs » doit être discuté, ligne par ligne, pendant cinq jours avant d’être rendu public. Explications de cette approche socio-économique avec l’un des membres de la délégation française, Stéphane Hallegatte, économiste au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (CIRED) et ingénieur à Météo France. Entretien.

Quelles sont les régions de la planète les plus vulnérables au changement du climat ?

Stéphane Hallegatte. L’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, où on s’attend à un assèchement, connaissent déjà des problèmes de ressources en eau. Leur importante croissance démographique complique la situation. Il y a aussi le cas des petites îles, très basses sur l’océan et donc confrontées à la hausse du niveau de la mer. À l’échelle d’un siècle, peu d’entre elles seraient submergées. Mais, quand le niveau des eaux monte, chaque tempête provoque ce qu’on appelle une “marée de tempête”. C’est à cette montée des eaux ponctuelles que ces îles seront surtout vulnérables. De plus, la montée du niveau de la mer fait courir le risque d’une “salinisation” des réserves d’eau douce naturelles.
Ensuite, beaucoup de régions sont confrontées à des risques d’inondations. En Inde et en Chine, elles font de nombreux morts. La survie des sociétés n’est pas menacée, mais le coût de ces catastrophes risque d’augmenter de manière notable. Même chose pour toute la région atlantique, soumise aux cyclones. On observe une augmentation de l’intensité des cyclones au cours des dix dernières années. Si cela devait se poursuivre, de sérieux problèmes de gestion se poseraient.
Parmi les régions vulnérables, on trouve aussi l’Arctique. Si le globe chauffe de 2 ºC ou 3 ºC, l’Arctique encaissera presque 10 ºC. Ce qui provoque un choc important pour les écosystèmes et pose des problèmes d’infrastructures. Quand le sol gelé fond, ces infrastructures ne tiennent pas. En Alaska et en Sibérie, à l’échelle des cinquante prochaines années, on s’attend à devoir toutes les remplacer : routes, bâtiments, pipelines, etc. En Alaska, le réchauffement de la dernière décennie a déjà fait exploser leur coût d’entretien.
Sans doute certaines régions auront tout à gagner à ce qu’il fasse plus chaud, mais l’adaptation à cette nouvelle situation sera très compliquée et onéreuse. Dans beaucoup de régions, les conséquences du changement climatique ne seront pas graves, mais leur inadaptation obligera à un investissement lourd et sur plusieurs décennies. Ce qui n’est pas évident pour toutes les communautés.

La puissance économique détermine-t-elle, seule, la capacité d’adaptation d’une société ?

- Non. Les institutions jouent un rôle important. Le meilleur exemple est celui de la Louisiane, aux États-Unis, après le passage du cyclone Katrina. Comparons la gestion du risque d’inondation aux Pays-Bas et en Louisiane, dont les populations ont des niveaux de vie équivalents : dans un cas, il existe un montage institutionnel très efficace avec un vrai choix politique de considérer ce risque en tant que tel. Au final, le risque est presque négligeable. Dans l’autre cas, les moyens financiers et techniques existent, mais les institutions se sont révélées incapables de prendre en charge le risque. Résultat, elles se sont retrouvées à gérer une crise. Le problème numéro 1, c’est ça : la capacité à gérer un risque connu.

Néanmoins, les pays en voie de développement auront plus de difficultés que les pays riches...

- Sans moyen économique, l’adaptation est impossible. D’autant moins que certains pays pauvres ne sont pas adaptés au climat actuel. Pour preuve, l’incapacité de l’Afrique de faire face aux sécheresses. La puissance économique est indispensable, mais insuffisante. Il faut aussi une volonté politique. Notamment pour modifier des infrastructures aux durées de vie très longues : production énergétique, transports, habitat... Or anticiper de cinquante ans nécessite une importante maturité politique.

Qui n’existe pas aujourd’hui ?

- En France, par exemple, on s’attend à ce que l’été 2003 devienne un été normal. Les bâtiments que l’on construit actuellement devraient donc être mieux isolés et mieux équipés pour lutter contre les hautes températures. Or on est loin aujourd’hui d’imposer une norme de construction adaptée, malgré un risque connu et un coût peu élevé.

Comment jugez-vous le rapport Stern, qui chiffrait l’inaction face au réchauffement à 5 500 milliards d’euros ?

- Ma première réserve concerne l’outil technique utilisé, qui est critiquable. Mais, surtout, donner un coût aux impacts du changement climatique ne signifie pas grand-chose si on ne dit pas qui le paie et sur quelle échelle de temps. 5 500 milliards d’euros sont une somme que le monde peut payer. En revanche, si cette somme doit être assumée d’abord par les pays en voie de développement et concentrée sur quelques années, le problème est insoluble. Il est plus judicieux d’évaluer le montant des investissements nécessaires à l’adaptation. Cela permet de réfléchir au mode de financement : par les pouvoirs publics ? Par les particuliers ?

Que s’est-il dit à ce propos lors de la dernière rencontre internationale sur le protocole de Kyoto, à Nairobi (Kenya), en novembre 2006 ?

- Le protocole de Kyoto prévoyait l’existence d’un fonds pour l’adaptation. L’idée étant que les pays riches, responsables historiques du réchauffement, aident les pays en voie de développement au niveau scientifique, technique et financier. À Nairobi, aucun consensus n’a été conclu sur la gestion de ce fonds qui devait, à l’origine, être géré par le PNUE (agence de l’ONU - NDLR). Mais la forte présence dans cette agence des États-Unis, qui n’ont pas ratifié Kyoto, pose problème. Du coup, rien n’a été décidé. Mais, de toute façon, les sommes dégagées - de l’ordre de quelques centaines de millions d’euros - seraient dix à cent fois insuffisantes pour traiter le problème sérieusement.

Entretien réalisé par Vincent Defait (“L’Humanité”)


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Messages

  • Il est bien entendu que le monde peut techniquement, au plan des connaissances et même financièrement faire face aux adaptations liées au réchauffement climatique. Mais qui y fera face, et comment. La solidarité réelle entre pays riches et pauvres n’est pas à la mesure du défi. le monde n’a pas assez peur ou bien la course aux profits des possédants est plus fote que la trouille.


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