Ouverture officielle des travaux du GIEC

’N’attendons pas la multiplication des drames pour agir’

17 février 2005

Hier, La Réunion était au centre de l’actualité mondiale. Le même jour de l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto, notre île accueille les travaux du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat. L’humanité ne pourra pas se contenter de vouloir atténuer les émissions de gaz à effet de serre, elle doit aussi s’adapter aux changements climatiques.

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Une soixantaine d’experts internationaux sont réunis cette semaine au Conseil régional ; les ministres des pays de l’océan Indien sont également présents. Dans son discours d’ouverture, Paul Vergès a d’abord informé l’assemblée de la richesse du vaste échange qu’il a eu lundi, en tant que président de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC), avec le président de la République française en présence du président du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le Dr R.K. Pachauri. Lors de cette rencontre, Jacques Chirac a reçu le rapport de l’ONERC contenant plusieurs propositions en termes d’adaptation qui seront détaillées au moment de la remise du rapport au Premier ministre dans les semaines à venir.

Un enjeu de civilisation, une question politique

Pour le président du Conseil régional, "nous sommes, avec les changements climatiques, face à un véritable enjeu de civilisation qui dominera l’existence commune des hommes au cours des prochains siècles. La combinaison et la simultanéité du réchauffement planétaire, des évolutions démographiques, des effets de la mondialisation ouvrent une période de bouleversements sans précédent dans l’histoire de l’humanité dont nous ne mesurons pas encore toute l’ampleur". Affirmant que "les changements climatiques ont cessé d’être une question strictement scientifique pour devenir un enjeu éminemment politique", il soulignait la responsabilité des élus. "Nous devons nous interroger sur nos concepts de croissance et de développement que nous avons érigés en modèle et qui, étendus à l’échelle mondiale, conduisent la planète vers une impasse mortelle", poursuivait-il en invitant à réfléchir à l’avenir.

Un problème d’aujourd’hui, mondial et régional

Selon lui, il faut dès aujourd’hui tirer les conséquences politiques des conclusions des scientifiques. Les études montrent que les changements sont déjà en cours. C’est "un problème d’aujourd’hui", ce n’est plus "une question simplement mondiale" mais aussi "une question régionale". Paul Vergès relève également que les experts ont démontré que "les effets d’une politique d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre ne seront perceptibles que dans des décennies, voire des siècles, tant le niveau de pollution est important". Cela signifie pour lui que "dans l’intervalle, il nous faut préparer les pays et les populations à s’adapter aux mutations multiples générées par la dérive du climat". De plus, la communauté scientifique reconnaît que les Petits États insulaires sont particulièrement vulnérables. "N’attendons pas la multiplication des drames pour agir, agissons dès maintenant". Atténuation et adaptation sont inséparables. S’adressant à l’assemblée, il ajoutait : "nous devons agir résolument pour ne pas laisser s’instaurer une inégalité entre pays pauvres et riches devant les effets des catastrophes naturelles".

Quantifier l’impact des changements

Le président du GIEC juge la rencontre avec le président de la République française "très stimulante". Il affirmait lui aussi que "la science a besoin d’être liée à la politique". Il soulignait que le problème des scientifiques n’est pas de prendre des décisions mais d’examiner leur application. Il insiste sur le fait que des recommandations doivent suivre la formulation de chaque problème. Un point capital pour le GIEC est de faire connaître ses messages. Aussi, le Dr Pachauri compte beaucoup sur la création d’un site Web : "un site vivant, interactif, source d’enregistrements et de discussions, car il est nécessaire d’obtenir des avis nombreux". Il fixe au GIEC trois tâches prioritaires : "identifier les problèmes, quantifier l’impact des changements climatiques sur la nature en prenant en compte la diversité géographique et culturelle et aussi livrer une réflexion prospective".

Aller au-delà de Kyoto

La présidente du Conseil général, Nassimah Dindar, s’est associée aux vœux de bienvenue et a fait part de son fort intérêt pour les travaux qui commencent. Elle évoquait aussi les politiques locales de La Réunion comme le traitement des déchets ménagers, l’office de l’eau, l’étude de la pollution des voitures, félicitant les élus et les experts qui mènent une lutte acharnée "pour réveiller la conscience des hommes".
Après une présentation rapide du GIEC par son directeur, Marc Gillet, le préfet Dominique Vian a pris la parole en dernier. Il rappelait que le GIEC est né en 1988 à la demande du G7 et des Nations-unies, et qu’elle représente "une instance de synthèse et d’orientation des travaux de recherches des laboratoires du monde entier". Voyant dans cette assemblée, en ce jour particulier, un signe fort, il réaffirmait que la France veut aller au-delà du protocole de Kyoto et évoquer le plan climat visant à réduire la production des gaz à effet de serre. Il estime que La Réunion est "une île qui a vocation à servir de laboratoire, car elle doit combler son retard de développement tout en conduisant une politique de développement durable".


Hier au Conseil régional


Pour le meilleur, et pour éviter le pire

Sept représentants d’îles de l’océan Indien ont signé hier une déclaration. Pour que la région devienne une zone d’application pour l’adaptation et la lutte contre les effets des changements climatiques.

Ça y est, ils ont signé. Pour le meilleur, et pour éviter le pire. Hier au Conseil régional, la déclaration officielle des pays membres de la Commission de l’océan Indien a été paraphée par sept représentants (*). Ce document de trois feuillets rappelle à juste titre que les pays de la COI incarnent les difficultés qu’ont à résoudre les petites îles dont la vulnérabilité se trouve renforcée par les phénomènes naturels tels que les changements climatiques.
Ses rédacteurs ont été bien inspirés, puisque l’île a été la proie hier de pluies diluviennes et d’inondations conséquentes : on ne pouvait rêver meilleure illustration d’un texte destiné à fédérer les engagements. Sous le titre un peu long de “Faire de l’océan Indien une zone d’application en matière d’adaptation et de lutte contre les effets des changements climatiques”, il préconise notamment que des moyens d’observation soient mis en œuvre, en mobilisant l’expertise de tous les pays membres et de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC).

Une taxe sur les énergies fossiles ?

Les signataires appellent aussi le soutien de la communauté internationale. Simples vœux pieux ? Il faut de toute façon un début. Une étincelle de démarrage. C’est le rôle qu’a voulu jouer le Conseil régional en invitant hier à la même table les représentants de la COI, de l’ONERC et du GIEC (lire ci-dessus). "On crée un réseau", résumait hier Philippe Berne, vice-président du Conseil régional.
Devant les journalistes, le président Paul Vergès a évoqué la convergence entre réchauffement climatique et mondialisation, citant l’exemple de l’île Maurice : la fermeture d’usines textiles coïncide avec une menace sur tous les métiers liés à la canne à sucre... alors que le tourisme reste à la merci de phénomènes climatiques extrêmes.
Il va de soi, pour tous les participants aux rencontres d’hier et d’aujourd’hui, que ce texte devra être suivi d’actes. Faire voter une taxe sur les énergies fossiles ? Les élus Paul Vergès et Philippe Berne n’écartent pas cette hypothèse, pourtant peu électoraliste. "Le quart des dépenses énergétiques de La Réunion est lié au transport aérien", renchérit Philippe Berne. Celui-ci ajoute que l’ARER (Agence régionale de l’énergie Réunion) travaille actuellement sur un projet d’"éco-fiscalité" : imaginer comment taxer l’électricité produite par le charbon ou le pétrole, afin de financer des énergies renouvelables.
Au-delà d’un texte plutôt aride signé hier, de véritables initiatives sont en gestation : une manière pour les élus réunionnais de rappeler qu’il ne sert à rien de pleurer misère si l’on n’agit pas soi-même. Plus tôt, le ministre de l’Environnement de l’île Maurice, Rajesh Anand Bhagwan, a rappelé que son pays avait été le premier à ratifier la convention cadre des Nations-unies sur les changements climatiques en 1992. La République de Maurice a accédé au protocole de Kyoto le 9 mai 2001 : les petites îles de l’océan Indien ont vraiment pris très tôt la température du globe.

Nastassia

(*) Les signataires de la déclaration des pays membres de la Commission de l’océan Indien, le mercredi 16 février 2005 : Mohamed Abdulhamide, ministre du Développement rural de l’Union des Comores ; Rajesh Anand Bhagwan, ministre de l’Environnement de la République de Maurice ; Fleurette Andriantsilavo, secrétaire générale du Ministère de l’Environnement de Madagascar ; Francis Bijoux, président du Comité des changements climatiques pour la République des Seychelles ; Paul Vergès, président de la Région Réunion ; docteur Rajendra Pachauri, président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ; Denis Bossard, représentant du secrétariat général de la Commission de l’océan Indien.


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