Russell A. Mittermeier (UICN)

« Par son outre-mer, la France a les deux tiers de sa biodiversité menacés »

8 juillet 2008

Russell A. Mittermeier : « Les Territoires d’Outre-mer sont très vulnérables devant les changements climatiques et l’élévation du niveau des océans ».(photo Toniox)

En l’absence de la directrice générale de l’UICN, Julia Marton-Lefèvre, c’est un membre du Conseil de l’UICN, Russell A. Mittermeier, par ailleurs président de la fondation “Conservation Internationale” pour la protection des espèces et de la vie sur Terre, qui a exposé les vues de l’UICN sur les enjeux environnementaux de l’Outre-mer européen.
Il a commencé par souligner l’extrême richesse de la biodiversité dans les territoires réunis sous l’appellation “outre-mer européen” et les risques auxquels ils sont exposés, en insistant sur ce qui fait leur importance dans le contexte actuel. Répartis sur toute la surface du globe, beaucoup de ces territoires sont des îles tropicales présentant « un haut niveau d’endémisme » à protéger. Ces territoires ont une fragilité particulière, que les menaces du réchauffement climatique viennent aggraver. En rapport avec leur importance, des priorités ont été établies ; le représentant de l’UICN les a exposées dans l’approche globale que les spécialistes appellent les “hotspots” (points chauds) - c’est-à-dire les endroits de la planète où la biodiversité est le plus menacée.

34 cibles prioritaires

Il a rappelé le travail fait par l’UICN pour définir 34 “hotspots” « au niveau d’endémisme très élevé mais aussi très dégradé ». « Ce sont les cibles prioritaires pour éviter l’extinction des espèces majeures ». Le représentant de l’UICN a salué au passage les représentants des gouvernements des Comores, de Madagascar ou des Seychelles, territoires insulaires appartenant précisément à l’un de ces “points chauds” - celui de l’océan Indien, l’un des plus prioritaires. « Tous les territoires tropicaux et d’Outre-mer sont situés dans des points chauds et représentent 20 des 34 points identifiés, parmi les plus importants - la Nouvelle-Calédonie en particulier », un territoire que Russell Mittermeier a eu l’occasion de connaître de plus près.
Le représentant de l’UICN devait également rappeler que la France est l’un des pays comptant « le plus grand nombre de points dont la biodiversité est menacée : ils sont au nombre de cinq et tous dans l’Outre-mer », a-t-il dit. La France, dont la biodiversité est considérablement enrichie par son outre-mer, fait même partie du groupe de pays dont « les deux tiers de la biodiversité est menacée ». La Nouvelle-Calédonie revient souvent comme zone prioritaire à protéger (voir brève) : elle abrite 2.400 espèces de plantes endémiques - dont beaucoup sont menacées d’extinction - sur 18.000 km2. La Guyane aussi, dans l’environnement amazonien protégé au Venezuela, au Surinam et Guyana, contribue de manière importante à cette protection avec un parc naturel de 2 millions d’hectares.

L’empreinte écologique d’une humanité envahissante

Pratiquement tous les Territoires d’Outre-mer ont subi des extinctions d’espèces, depuis l’arrivée des Européens, il y a environ 400 ans. Le responsable de l’UICN a établi que ces Territoires d’Outre-mer, tant français que britanniques, ont subi une pression qui a fait disparaître « soixante fois plus d’espèces endémiques » que dans leur métropole respective.
L’exemple de La Réunion est aussi là pour faire comprendre que l’empreinte écologique de l’Homme, arrivé ici sur une terre inhabitée, a exercé un pouvoir de destruction phénoménal : 3 mammifères, 22 espèces d’oiseaux, 18 espèces endémiques de reptiles - dont une tortue géante - 4 espèces d’escargots, dont 2 endémiques et au moins 12 espèces de plantes endémiques ont disparu. « La France fait partie d’un des 10 pays comptant le plus grand nombre d’espèces en danger », a appuyé le responsable de l’UICN.
Et ce risque d’extinction dans des espaces aussi riches que les îles tropicales est aggravé par le réchauffement climatique.
Il devait ensuite souligner le rôle que joue la biodiversité dans les cultures traditionnelles des Territoires d’Outre-mer et pour le développement d’un tourisme orienté vers ces richesses naturelles - ce qui souligne du même coup le lien entre biodiversité/identités culturelles/développement économique. « Le maintien de la biodiversité est fondamental, et particulièrement dans certains de ces territoires, du fait de leur petite taille et de leur fragilité », a ajouté Russell A. Mittermeier.

Une communauté de défis

« En dépit de leur dispersion à travers le monde, ces Territoires d’Outre-mer font face aux mêmes défis : ils ont de vastes régions marines, des écosystèmes très riches ; ils sont très vulnérables devant les changements climatiques et l’élévation du niveau des océans ».
D’où l’importance d’un partage des connaissances à une échelle plus large, devait-il insister aussi, avant de préciser les objectifs de l’UICN dans cette Conférence internationale. C’est d’abord l’occasion « d’échanger des expériences entre les Territoires d’Outre-mer, de mettre en place un processus de collaboration et d’élever le niveau de sensibilisation aux défis auxquels l’Europe doit faire face », a encore dit le responsable de l’UICN.
A la fin de son allocution, il a tenu à « remercier la France » d’avoir pris « des décisions essentielles depuis quelques années » avec le parc amazonien (créé en 2007), avec l’initiative pour les récifs de corail et la création du groupe de travail, dans le cadre du Grenelle de l’Environnement, sur les stratégies pour la biodiversité. La prochaine inscription des lagons de Nouvelle-Calédonie au patrimoine mondial est une avancée de plus dans une politique dont le responsable UICN a souhaité qu’elle s’étende maintenant « au niveau européen, dans le cadre de la présidence française ».
Mais cet effet d’entraînement n’est pas seulement européen, il est aussi mondial, grâce à l’existence d’un réseau et de ses “chefs de file”. Le dirigeant de l’UICN a salué le rôle joué au plan international par l’Agence Française pour le Développement (AFD) et le Fonds Français pour l’Environnement Mondial, avec un niveau d’engagement financier, tous partenaires confondus, de 150 milliards de dollars, a conclu Russell A. Mittermeier.

P. David

• La Directrice générale de l’UICN, Julia Marton-Lefèvre, sera dans l’île mercredi après avoir été retenue au Québec par la conférence annuelle de l’UNESCO pour l’inscription des nouveaux sites au patrimoine mondial. Son représentant, Russell A. Mittermeier, a indiqué que l’ordre du jour de cette conférence comportait l’examen de la candidature des lagons de Nouvelle-Calédonie et que cette inscription réaliserait une avancée supplémentaire pour la protection d’un “point chaud” particulièrement sensible.

A la Une de l’actuClimat et biodiversité

Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus