Publication du rapport de l’ONERC sur “Un climat à la dérive, comment s’adapter ?”
Paul Vergès : se préparer à des ’conséquences colossales’
25 juin 2005
Hier matin a eu lieu à Paris un petit-déjeuner de presse de l’ONERC (Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique). À cette occasion, Paul Vergès, président de l’ONERC, a présenté le rapport remis récemment par cet organisme au Premier ministre et au Parlement sous le titre : “Un climat à la dérive, comment s’adapter ?”. Cette conférence de presse a également eu lieu à l’occasion de la sortie du livret du Réseau action Climat (RAC) sur les impacts des changements climatiques climatiques sur la biodiversité. Un livret co-préfacé par le président de la Région Réunion et par le célèbre professeur Hubert Reeves.
(Pages 8 et 9)
Paul Vergès a d’abord remercié Christian Brodhag, délégué interministériel pour le Développement durable, pour sa participation au travail de l’ONERC ainsi que celle des associations : Laetitia de Marez pour Greenpeace, Christophe Aubel pour France Nature Environnement et Édouard Toulouse pour WWF. Dans ses prochaines éditions, “Témoignages” aura l’occasion de publier les allocutions de ces personnes.
"La composition de cette tribune est assez inédite pour être soulignée, a dit Paul Vergès. Les associations ici représentées ont immédiatement répondu à l’invitation qui leur a été lancée : cela illustre les liens de confiance qui existent entre l’ONERC et le monde associatif, alors que trop souvent les autorités publiques et les acteurs associatifs - surtout dans le domaine de l’écologie - s’observent avec une certaine méfiance".
"Une sincère poignée de mains"
Cela témoigne aussi du caractère très ouvert de l’ONERC, qui n’est pas un service du Gouvernement mais un lieu d’étude et d’échange voulu par le législateur, où les représentants du gouvernement, du Parlement, des collectivités locales, du monde scientifique et associatif dialoguent et travaillent ensemble dans un esprit de confiance et de respect mutuel.
Et Paul Vergès d’ajouter : "Nous avons tous le plaisir de donner raison ce matin à Hubert Reeves qui, parlant du partenariat entre l’ONERC et les associations, dit y voir “une alliance objective et déterminée, celle qui se signe d’une sincère poignée de mains entre deux mondes qui ont conscience d’appartenir au même, celui des humains”".
Un enjeu majeur
Comme l’expliquait ensuite le président de l’ONERC, cette solidarité est effectivement devenu un impératif de survie pour faire face à cet enjeu majeur du changement climatique.
La multiplication des événements climatiques extrêmes me fait croire que le réchauffement climatique a cessé d’être un problème qui se pose au niveau mondial, inscrit dans un espace-temps qui nous dépasse, pour devenir une question de plus en plus locale qui concerne notre quotidien. Et les derniers sondages d’opinion révèlent l’inquiétude de la population qui souhaite être davantage informée sur les stratégies déployées par les autorités pour garantir l’avenir.
Le réchauffement a aussi cessé d’être une question uniquement scientifique pour devenir un enjeu éminemment politique, tant cette question porte dans ses conséquences des bouleversements à tous les niveaux.
"C’est ce qu’on appelle l’adaptation"
Tout le problème, et c’est le rôle central de l’ONERC explique son président, c’est de "proposer des pistes pour placer le pays en situation d’affronter les mutations engendrées par le climat (l’économie, l’agriculture, le tourisme, l’habitat, les modes de vie et même la culture). C’est ce qu’on appelle l’adaptation" .
En résumé pour schématiser, c’est revisiter l’ensemble de nos politiques publiques, pour intégrer la donnée climatique afin de réduire les risques et limiter les impacts négatifs et même lorsque cela est possible en tirer parti.
On a beaucoup parlé - et c’est un enjeu essentiel - de la politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Mais il faut avoir bien conscience que, quels que soient les efforts qui seront réalisés pour atteindre les objectifs du protocole de Kyoto, les changements climatiques sont actuellement déjà en cours. C’est une force déjà agissante ; nous en subissons déjà les premiers effets et il importe donc dès à présent d’y faire face, affirme le président de l’ONERC.
"Un champ totalement nouveau"
Pour Paul Vergès, "c’est là un chantier immense, où tout est à faire, où tout est à imaginer car nous sommes face à un champ totalement nouveau".
Toute la difficulté pour les élus consiste à prendre des mesures concrètes face à des événements dont pour certains d’entre eux la survenance est incertaine et l’ampleur encore méconnue.
"J’ai tenu à le dire très clairement dans le rapport au Premier Ministre, dit Paul Vergès : en matière d’adaptation, si on excepte les mesures prises après la catastrophe de la canicule de l’été 2003, force est de constater que rien de significatif n’existe aujourd’hui" .
Mais l’existence même de l’ONERC à côté de la MIES Mission interministérielle sur l’effet de serre) montre que la France a décidé d’accorder une attention particulière à la politique d’adaptation à côté de l’atténuation.
"En ce sens, nous nous inscrivons dans un mouvement général de rééquilibrage, puisque la dernière communication de la Commission européenne sur les changements climatiques insiste sur la nécessité d’acentuer les efforts en matière d’adaptation. Et la Présidence Britannique permettra certainement de réaliser des avancées en ce sens", déclare Paul Vergès.
Tout revoir
Le président de l’ONERC ajoute : "Ce que j’ai tenu aussi à dire dans le rapport, c’est que cet enjeu appelle une mobilisation de moyens à la hauteur des conséquences des changements climatiques.
Nous alertons le Gouvernement en disant attention : l’attentisme d’aujourd’hui risque d’avoir un coût demain autrement plus onéreux tant sur le plan humain que sur le plan économique". (voir encadré : “Les impacts du changement climatique sur la France”)
Et de conclure : "Face à l’ensemble de ces impacts, nous disons qu’il faut tout revoir et revisiter l’ensemble de nos politiques publiques aussi bien nationales que locales. Nous disons aussi qu’il nous faut revoir nos conceptions actuelles dans nos processus de prise de décision".
(voir encadré : “Mobilisation générale”)
Présentation : L. B.
Mobilisation générale
Parce que tous les secteurs sont concernés par l’adaptation aux changement climatique, parce que nous sommes face à un sujet par définition même transversal, "l’ensemble des ministères et pas seulement celui de l’écologie doivent être mobilisés autour de cet enjeu", affirme Paul Vergès.
Par ailleurs, "la mobilisation des collectivités territoriales et des acteurs locaux est essentielle pour la réussite d’une politique d’adaptation".
Dans son rapport, l’ONERC propose la mise en œuvre d’une cartographie régionale des impacts. Cela aidera considérablement les acteurs régionaux dans la définition de leurs orientations stratégiques en matière de développement économique et d’aménagement du territoire.
Il propose également qu’un effort soit réalisé pour impliquer davantage les sciences humaines sur cet enjeu. C’est un aspect trop souvent sous-estimé. Pourtant, il est évident que nos modes de vie, ce qui relève de la culture en général est depuis la nuit des temps lié au climat...
"Nous demandons aussi que les futurs ingénieurs et décideurs soient dès aujourd’hui formés à ces questions. C’est pourquoi nous proposons, qu’à l’instar de l’école des ponts, que la formation et la sensibilisation des étudiants au changement climatique soit généralisé dans l’ensemble des grandes écoles, des enseignements universitaires et techniques également".
Dans le rapport, on trouve le détail des recommandations de l’ONERC.
La rigueur scientifique et la responsabilité de l’élu
Voici la conclusion de l’intervention de Paul Vergès hier matin devant la presse à Paris. Elle indique sur quelle base doit se poursuivre l’action de tous pour nous adapter aux changements climatiques.
"Nous sommes engagés dans une construction inscrite dans la durée, dont ce rapport n’est qu’un premier pas. Nous voulons qu’il signifie le point de départ d’une politique nationale ambitieuse pour faire face à ce défi qui conditionne l’avenir du pays.
Nous nous y engageons avec autant de modestie et de prudence que d’ambition et de fermeté.
C’est d’ailleurs toute la ligne suivie par le Conseil d’orientation de l’ONERC. Nous avons préféré la discrétion d’un travail en profondeur, qui est la seule condition pour poser durablement les fondations d’une véritable stratégie nationale d’adaptation que nous élaborons actuellement sous l’autorité de Christian Brodhag.
Entre la sous-estimation de l’enjeu à tous les niveaux et le catastrophisme qui discrédite le travail des chercheurs, il existe un espace d’action fondé sur la rigueur scientifique et la responsabilité de l’élu. C’est l’angle choisi par l’ONERC".
Les impacts du changement climatique sur la France
Pour Paul Vergès, "force est de constater qu’en l’absence de mesures réelles d’adaptation, la France n’est pas à l’abri de nouvelles catastrophes".
La France est particulièrement exposée au réchauffement climatique : les signes du changement sont déjà sous nos yeux.
o Le réchauffement constaté aujourd’hui en France est d’environ 50% plus important que le réchauffement moyen du globe.
o La température moyenne annuelle a augmenté chez nous de 1°C pour 0,6°C sur le globe.
o Si cette tendance devait se poursuivre, ceci impliquerait qu’un réchauffement de 2°C du globe se traduirait en France par un réchauffement de 3°C ou - dans le cas le plus pessimiste - un réchauffement global de 6°C, par un réchauffement chez nous de 9°C.
A-t-on conscience de l’ampleur de ce qui nous attend ? Car de surcroît, en France, le réchauffement estival sera nettement plus marqué que le réchauffement hivernal.
Cela signifie que des épisodes caniculaires similaires ou pires que celui de 2003 se représenteront inévitablement et de plus en plus souvent. Les impacts sont connus : recul des glaciers, déplacement des espèces, modification des rythmes naturels et leurs conséquences sur l’agriculture etc.
A titre d’exemple, l’ONERC a constaté dans une étude technique les incidences des changements climatiques sur la viticulture française :
- les dates de vendange ont avancé de trois semaines en 50 ans ;
- la chaleur augmente la teneur en sucre et alcool des vins, qui diminue leur acidité, et a une influence sur les arômes ;
- chaque cépage est adapté à une plage de températures donnée ; les cépages pourraient donc migrer vers le Nord, de 180 km par degré supplémentaire, s’ils suivent le réchauffement climatique ;
- au-delà d’une certaine température, on peut craindre comme en 2003 des effets d’échaudage qui détruisent la récolte.
La chaleur pourrait favoriser certaines maladies.
Pour l’ONERC, il ne s’agit pas d’affoler les viticulteurs mais de proposer des options pour s’adapter, et il en existe notamment à travers les méthodes de culture (taille, plants plus ou moins espacés), les méthodes de vinification, les croisements de cépages. La viticulture a survécu au phylloxéra, elle peut donc s’adapter au changement climatique.
"Mais nous devons aussi percevoir et dire l’inquiétude, conclut Paul Vergès : à quels prix se fera cette adaptation pour les producteurs ? Et surtout pour produire quel vin ?"