Climat

Un accord accouché dans la douleur

17 décembre 2007

Des larmes, des huées, des ovations : la communauté internationale a lancé dans la douleur les négociations samedi à Bali sur le futur régime de lutte contre le réchauffement climatique, qui devront être bouclées en 2009.

Après un épuisant marathon nocturne et un dénouement mélodramatique de 7 heures, ponctué de suspensions de séances qui en ont retardé encore la conclusion, la Conférence climat de l’ONU a formellement adopté la "feuille de route de Bali" qui, pour la première fois, associe pays industrialisés et nations en développement à la réduction des émissions polluantes.
L’accord stipule que le processus de négociations qui fixera les suites à donner au Protocole de Kyoto devra être lancé « dès que possible et pas plus tard qu’avril 2008 », la première phase de Kyoto expirant en 2012.
Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, revenu le matin sur l’île indonésienne pour appuyer la conclusion de l’accord, s’est dit « fortement encouragé ». Le patron de la Convention climat de l’ONU (CNUUC), Yvo de Boer, assurant qu’il avait obtenu « exactement ce qu’il voulait : un cadre de travail, un calendrier et une date butoir ».
Peu auparavant, face au risque d’échec, M. de Boer, épuisé pour n’avoir pas dormi deux nuits d’affilée, avait craqué à la tribune puis quitté la salle en sanglots, avant d’y revenir, acclamé debout.
Même si les ONG et les scientifiques jugent les ambitions de l’accord modestes et condamnent son « manque de substance » (Greenpeace et WWF), chacun se félicitait samedi d’avoir évité l’échec qui menaçait.
Pour leur part, les Etats-Unis, qui ont souligné les aspects positifs de "la feuille de route" de Bali, ont toutefois exprimé « de fortes préoccupations sur certains aspects de l’accord » estimant, dans un communiqué de la Maison Blanche, que « les principales économies en voie de développement doivent agir aussi ».
Le texte élude toute référence chiffrée aux émissions de gaz à effet de serre et à la nécessité de les réduire, auxquelles s’opposaient les Etats-Unis.
À la place, il souligne « l’urgence » en termes les plus vagues et renvoie par une note en bas de pages aux travaux du Groupe d’experts sur le climat (Giec) : ceux-ci préconisent que les pays industrialisés réduisent de 10 à 40% leurs émissions d’ici 2050, ce qui « doit nous éviter de dépasser les 3°C » de réchauffement, estime le climatologue français Jean Jouzel.
Tout en leur ménageant un statut à part en tant que seul pays industrialisé à n’avoir pas ratifié Kyoto, (l’Australie l’ayant fait au premier jour de la conférence le 3 décembre), l’accord a la vertu d’enrôler les Etats-Unis dans les efforts à venir en les invitant à des « actions » plutôt qu’à des engagements. Même s’ils ont soigneusement « mis en scène leur ralliement », selon un délégué européen, après avoir menacé en séance d’un veto.
Pour dénoncer le faible engagement à leurs yeux des pays riches, les pays émergents, emmenés par l’Inde et la Chine, ont multiplié les incidents et réclamé davantage de soutien financier et technologique pour engager des « actions » de réduction de leurs émissions.
« L’accord de tous était difficile à obtenir et pas gagné d’avance », a noté le ministre français de l’Ecologie, Jean-Louis Borloo. « Maintenant, on peut rentrer dans le vif du sujet ». Hilary Benn, son homologue britannique, jugeait que « sans cet accord aujourd’hui, nous n’avions aucune porte par où passer » et évoque une « percée historique ». Pour Sigmar Gabriel, le Ministre allemand, « au bout du compte, personne ne voulait d’échec. Nous avons obtenu plus que nous ne pouvions l’espérer, même si c’est moins que nécessaire face à l’urgence du problème ».
« La maison brûle encore, mais au moins, on a pu sauver les meubles »,
ajoutait Greenpeace-France.

Déceptions et espoirs

Des pays européens et mouvements écologiques ont dû masquer leur déception, samedi, après l’adoption de "la feuille de route de Bali", détournée, selon eux, des véritables mesures à prendre pour lutter contre le réchauffement climatique sous la pression des Etats-Unis.
Pour sortir de l’impasse, l’Union Européenne a accepté que le texte élude les références chiffrées aux émissions polluantes ainsi que leur nécessaire réduction, auxquelles s’opposaient Washington qui exigeait des engagements supplémentaires des pays en voie de développement.
Les ONG et les mouvements des Verts, quant à eux, ont accusé Washington de vider un accord qui aurait pu garantir le départ de véritables négociations.
« Oui, nous lançons des négociations, avec une date de fin », a déclaré Hans Verolme, Directeur du programme climat du Fonds mondial pour la nature (WWF). Mais « ce qui leur manque, c’est une référence nette aux moyens scientifiques disponibles pour les éclairer, et cela parce que les Etats-Unis ont rechigné, rechigné et rechigné », a-t-il regretté.
« Les Américains sont effectivement revenus sur des points qu’ils rejetaient fondamentalement il y a 12 mois », explique Steve Sawyer, du Global Wind Energy Council, un lobby pour l’énergie éolienne basé à Bruxelles. « Au niveau procédural, les Américains sont rentrés dans le rang. Mais ils sont toujours opposés aux obligations légalement contraignantes des réductions d’émissions polluantes », a-t-il ajouté.

Menaces de sanctions commerciales sur les pays en développement

Les pays en développement du G77 ont été « menacés de sanctions commerciales » au cours des négociations de Bali sur l’avenir de la lutte contre le réchauffement, a indiqué vendredi, en leur nom, le représentant pakistanais Munir Akram.
« Les pays en développement ont été soumis à de fortes pressions pour accepter des engagements et des obligations » de réductions de leurs émissions de gaz à effet de serre, mais « ils ont jusqu’à présent résisté à ces pressions, et même aux menaces », a déclaré, lors d’une conférence de presse, M. Akram, dont le pays préside le G77.
« Je n’ai pas entendu de menaces sur l’aide (au développement) mais j’ai entendu des menaces de sanctions commerciales », a-t-il précisé ensuite, en réponse à une question, sans toutefois identifier les auteurs de ces menaces.
La conférence des Nations Unies sur le climat, qui devait se clore vendredi à Bali, doit définir le cadre et le calendrier des négociations sur les suites à donner au Protocole de Kyoto dont la première phase expire en 2012. Mais les négociations traînaient en longueur faute d’accord.
Pour M. Akram, « il y aura bien un accord, mais nous voulons nous assurer qu’il ne compromettra pas les objectifs de développement sociaux et économiques des pays en développement », a-t-il ajouté.
Les pays industrialisés, seuls à ce jour soumis aux objectifs de réduction du Protocole de Kyoto, souhaitent voir les économies émergentes se rallier à leurs efforts.
Mais les pays du G77 font valoir que des objectifs contraignants nuiraient à leur développement et attendent des pays riches qu’ils prennent d’abord des engagements forts pour l’avenir, en les renvoyant à leur responsabilité historique dans le réchauffement du climat depuis la révolution industrielle.


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