« Compte à rebours santé et changement climatique » du Lancet

Urgence d’agir pour le climat

14 novembre 2017

Le « Compte à rebours » du Lancet (Lancet Countdown en anglais) suit les progrès réalisés dans le domaine de la santé humaine et du changement climatique, ainsi que leurs implications pour les engagements pris par les gouvernements dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat. Entre 2017 et 2030, l’initiative du Lancet « Compte à rebours : suivi des progrès sur la santé et la lutte contre les changements climatiques » va poursuivre son travail, et rendre compte tous les ans des avancées réalisées vis-à-vis des engagements de l’Accord de Paris, des engagements qui y feront suite, et des effets bénéfiques pour la santé qui en résulteront. Voici l’avant-propos de son dernier rapport.

Pollution atmosphérique au Caire, en Egypte. Photo Banque mondiale/Kim Eun Yeul

Cette initiative fait suite aux travaux de la Commission 2015 du Lancet, qui avait conclu que le changement climatique anthropique menaçait de mettre à mal les avancées des 50 dernières années dans le domaine de la santé publique, mais à l’inverse, qu’une réponse globale face au changement climatique pouvait s’avérer être « la plus grande opportunité du XXIe siècle en matière de santé à l’échelle mondiale ».

Le Compte à rebours du Lancet repose sur une collaboration entre 24 établissements universitaires et organisations intergouvernementales de tous les continents. Un large éventail de disciplines est représenté, avec des climatologues, des écologistes, des économistes, des ingénieurs, des experts des domaines de l’énergie, de l’agroalimentaire et des systèmes de transport, des géographes, des mathématiciens, des experts en sciences sociales, des politologues, des professionnels de la santé publique et des médecins. Ce consortium établit tous les ans un rapport sur des indicateurs dans cinq domaines : l’exposition et la vulnérabilité au changement climatique, et les effets de celui-ci ; les plans d’adaptation pour la santé et la résilience ; les mesures d’atténuation et les co-bénéfices pour la santé ; l’aspect économique et financier ; et l’engagement public et politique.

Tous concernés

Les messages clés tirés des 40 indicateurs du premier rapport annuel de 2017 sont résumés ci-dessous.

Les symptômes humains du changement climatique sont sans équivoque et potentiellement irréversibles, touchant dès aujourd’hui la santé des populations dans le monde entier. Bien que ces effets affectent majoritairement les populations les plus vulnérables de la société, toutes les communautés seront touchées.

Les impacts du changement climatique affectent de façon disproportionnée la santé des populations vulnérables, et notamment celles des pays à revenu faible et intermédiaire. En compromettant les déterminants sociaux et environnementaux de la santé, ils exacerbent les inégalités sociales, économiques et démographiques, et toutes les populations en ressentent à terme les effets.

Il est clair que les canicules sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus intenses : entre 2000 et 2016, un surcroît de 125 millions d’adultes vulnérables a été exposé à des canicules. La hausse des températures ambiantes a des effets négatifs sur la productivité du travail : les populations exposées entre 2000 et 2016 présentent ainsi une réduction globale de leur productivité de 5,3 %. Dans l’ensemble, une augmentation de 44 % des catastrophes liées aux conditions météorologiques a été observée depuis 2000, la mortalité causée par ces événements extrêmes ne présentant pas de tendance claire ni à la hausse ni à la baisse, ce qui semble indiquer un début d’adaptation au changement climatique. Néanmoins, d’après les prévisions, les impacts du changement climatique vont s’aggraver au fil du temps, et les niveaux actuels d’adaptation s’avéreront insuffisants à l’avenir. La valeur totale des pertes économiques liées à des événements climatiques est en hausse depuis 1990 et a atteint 129 milliards de dollars en 2016, 99 % de ces pertes survenant dans des pays à faible revenu, non assurés. En outre, sur le long terme, la modification des conditions climatiques contribue à un accroissement de la capacité vectorielle du moustique Aedes aegypti à transmettre la dengue, avec une augmentation de 9,4 % depuis 1950.

Si les gouvernements et la communauté mondiale de la santé ne tirent pas d’enseignements de l’épidémie de VIH/SIDA et des récentes épidémies de maladie à virus Ebola et Zika, et réagissent une nouvelle fois trop lentement, les coûts pour la santé humaine seront irréversibles et inacceptables.

Le retard de la réponse au changement climatique ces 25 dernières années a mis en péril la vie humaine et les moyens de subsistance.

Indicateurs inquiétants

Depuis que la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) a commencé, en 1992, à déployer des efforts à l’échelle mondiale pour lutter contre le changement climatique, de nombreux indicateurs d’atténuation et d’adaptation suivis par le Compte à rebours du Lancet ont évolué dans la mauvaise direction ou, dans le meilleur des cas, sont restés inchangés.

Un nombre croissant de pays évaluent leur vulnérabilité aux changements climatiques, développent des plans d’adaptation et de préparation aux situations d’urgence, et fournissent des données climatiques aux services de santé. On constate le même phénomène à l’échelle des villes, plus de 449 d’entre elles ayant indiqué avoir entrepris une évaluation des risques liés aux changements climatiques. Néanmoins, la couverture et la pertinence de telles mesures pour assurer une protection contre les risques sanitaires croissants liés aux changements climatiques restent incertaines. En effet, les financements des mesures d’adaptation directement et indirectement liées à la santé ne représentent que 4,6 % et 13,3 %, respectivement, du total des dépenses mondiales pour l’adaptation.

Bien qu’il y ait eu des avancées récentes au niveau du renforcement de la résilience face aux effets du changement climatique, il est clair que les mesures d’adaptation aux nouvelles conditions climatiques ne pourront que partiellement protéger la santé des populations. Il est utile ici de faire une comparaison avec la physiologie humaine : le corps humain peut s’adapter relativement facilement aux séquelles causées par une maladie bénigne spontanément résolutive. Toutefois, si la maladie ne cesse de s’aggraver, les cycles de rétroaction positive saturent et les limites de l’adaptation sont vite atteintes. Ceci est particulièrement vrai lorsque plusieurs systèmes de l’organisme sont touchés, et que la défaillance d’un organe influe sur le bon fonctionnement d’un autre, comme dans le cas d’un « syndrome de défaillance multiviscérale ». Il en va de même pour les conséquences sur la santé du changement climatique. Celui-ci agit comme un multiplicateur des risques, exacerbant nombre des problèmes auxquels les communautés sont déjà confrontées, et renforçant la corrélation entre plusieurs risques sanitaires, ce qui les rend plus susceptibles de se produire simultanément. En effet, il ne s’agit pas d’une « maladie touchant un seul organe », mais au contraire, d’un phénomène qui aggrave les pressions existantes sur le logement, la sécurité alimentaire et de l’eau, les déterminants de la santé, et la pauvreté. L’adaptation a ses limites, et la prévention est le meilleur des remèdes pour empêcher les effets irréversibles du changement climatique.

Augmentation de la pollution

Depuis la signature de la CCNUCC, les progrès en matière d’atténuation du changement climatique ont été limités dans tous les secteurs : seules de modestes améliorations au niveau de la réduction des émissions de carbone dans le domaine de la production d’électricité ont été constatées. Bien que l’on puisse observer une utilisation accrue des moyens de transport durables en Europe, et une certaine baisse de la dépendance aux véhicules particuliers dans les grandes villes des États-Unis et d’Australie, la situation est généralement moins prometteuse dans les villes des pays émergents. Ces quelques avancées, ainsi qu’une lente transition vers l’abandon des formes de production d’électricité les plus polluantes, ont permis d’observer de modestes améliorations de la qualité de l’air dans certains centres urbains. Néanmoins, l’exposition globale aux particules fines en suspension (PM2.5) ramenée à la population a augmenté de 11,2 % depuis 1990, et 71,2 % des 2 971 villes figurant dans la base de données sur la pollution atmosphérique de l’OMS dépassent les limites recommandées d’exposition annuelle aux particules fines (indicateur 3.5). L’intensité et la couverture des mécanismes de tarification du carbone ne couvrent que 13,1 % des émissions anthropiques de CO2, le prix carbone moyen pondéré de ces instruments étant établi à 8,81 $US/tCO2 en 2017 (indicateur 4.7). En outre, les politiques de lutte contre le changement climatique n’ont pas encore tiré pleinement partie des co-bénéfices pour la santé des stratégies d’atténuation et d’adaptation, les mesures prises jusqu’à présent n’ayant permis que de faibles améliorations en matière de santé humaine. Il paraît donc nécessaire de recueillir davantage de données, et d’accentuer les efforts de recherche sur les co-bénéfices et les potentielles économies en résultant. Il semble également indispensable de mieux coordonner les politiques des ministères de la Santé avec celles des autres ministères des gouvernements nationaux.

Ce retard dans la mise-en-œuvre des plans d’atténuation du changement climatique place la planète sur une trajectoire d’émissions de carbone maximales, entraînant un réchauffement climatique compris entre 2,6 °C et 4,8 °C d’ici la fin du siècle.

Rôle des professionnels de santé

Il est essentiel que les professionnels de santé fassent entendre leur voix afin de stimuler les progrès en matière de lutte contre le changement climatique et de tirer les bénéfices associés pour la santé.

Le présent rapport et les Commissions précédentes du Lancet ont fait valoir que les professionnels de santé ont non seulement la capacité, mais aussi la responsabilité de se faire les défenseurs de la santé publique, d’informer le public et les décideurs politiques des menaces et opportunités existantes, et de faire en sorte que le rôle central du changement climatique pour la santé humaine soit bien compris.

On constate une attention croissante de la part des médias et des publications scientifiques sur les questions de changement climatique et de santé : la couverture de ce sujet dans la presse mondiale a augmenté de 78 %, et le nombre d’articles scientifiques a plus que triplé depuis 2007 (indicateurs 5.1.1 et 5.2). Toutefois, en dépit de ces exemples positifs, les indicateurs de 2017 montrent clairement que des progrès supplémentaires sont encore nécessaires, et urgents.

Bien qu’historiquement les progrès aient été lents, on peut observer ces cinq dernières années une réponse accélérée, et la transition vers une production d’électricité bas-carbone apparaît désormais inévitable, ce qui semble indiquer le début d’une transformation plus large. En 2017, on constate un élan grandissant dans un certain nombre de secteurs, et le cap est désormais fixé – offrant des possibilités claires et sans précédent pour la santé publique.

Propositions

En 2015, la Commission du Lancet a formulé 10 recommandations aux gouvernements pour accélérer les actions à prendre sur les cinq années suivantes. Les indicateurs 2017 du Compte à rebours du Lancet suggèrent que des progrès notables ont été réalisés dans plusieurs de ces domaines, ce qui insuffle un nouvel élan aux efforts d’atténuation et d’adaptation, jusque-là stagnants. Au-delà de l’Accord de Paris, ces résultats donnent lieu de penser qu’une transformation plus large se profile.

Recommandation 1) Investir dans la recherche sur le changement climatique et la santé publique : depuis 2007, le nombre d’articles scientifiques sur la santé et le changement climatique a plus que triplé.

Recommandation 2) Intensifier le financement de systèmes de santé résilients face au changement climatique : les dépenses consacrées aux mesures d’adaptation liées à la santé représentent actuellement 4,63 % (16,46 milliards de dollars US) des dépenses totales pour l’adaptation ; et en 2017, les mesures d’adaptation pour la santé découlant des mécanismes de financement du développement international et de la lutte contre le réchauffement climatique sont à leur plus haut niveau, quoique les valeurs absolues restent faibles (indicateurs 4.9 et 4.10).

Recommandation 3) éliminer progressivement les centrales électriques au charbon : en 2015, une part plus grande d’énergies renouvelables (150 GW) que de combustibles fossiles a été ajoutée au bouquet énergétique mondial. Dans l’ensemble, la capacité annuelle installée de production d’énergie renouvelable (près de 2000 GW) dépasse celle du charbon, environ 80 % de la capacité renouvelable ajouté récemment se situant en Chine. Bien que l’investissement dans la capacité en charbon ait augmenté depuis 2006, cette tendance s’est inversée en 2016 et un déclin important a été amorcé.

Recommandation 4) Encourager la transition vers une économie bas carbone au niveau des villes, pour réduire les niveaux de pollution urbaine : en dépit de progrès modestes au cours des deux dernières décennies, le secteur des transports s’approche d’un nouveau seuil : les coûts des véhicules électriques devraient atteindre un niveau comparable à ceux de leurs équivalents non électriques d’ici 2018, un phénomène que l’on n’attendait pas avant 2030.

Recommandation 6) étendre rapidement l’accès aux énergies renouvelables, pour dégager des bénéfices économiques conséquents de cette transition : chaque année depuis 2015, la part d’énergie renouvelable dans le mix énergétique mondial augmente plus vite que celle de toutes les autres sources d’énergie. Cependant, en 2016, 1,2 milliard de personnes n’avaient toujours pas accès à l’électricité, et 2,7 milliards de personnes devaient se tourner vers des combustibles solides non renouvelables et dangereux.

Recommandation 9) Accepter et mettre-en-œuvre un traité international facilitant la transition vers une économie à faible émission de carbone : en décembre 2015, 195 pays ont signé l’Accord de Paris, qui fournit un cadre pour l’amélioration de l’atténuation et de l’adaptation, et s’engage à maintenir la hausse des températures moyennes mondiales « bien en dessous de 2 °C ».

Suite à l’annonce par les États-Unis de leur intention de se retirer de l’Accord de Paris, la communauté internationale a fortement soutenu le renforcement des actions contre le changement climatique, témoignant d’une volonté politique claire et de l’ambition d’atteindre les objectifs du traité. Les mesures d’atténuation et d’adaptation convenues dans le cadre de l’Accord de Paris présentent des bénéfices extrêmement positifs pour la santé à court et long terme, mais il est désormais nécessaire de faire preuve de plus d’ambition. Bien que les progrès aient été lents jusqu’à présent, l’accélération de la transition vers une économie bas - carbone dans plusieurs secteurs clés pour la santé publique semble marquer un tournant. Bien qu’il soit nécessaire, pour tenir les engagements pris, de poursuivre et d’accélérer considérablement ces efforts au cours des prochaines décennies, les mutations politiques et les indicateurs présentés dans ce document indiquent que le cap est bel et bien fixé.

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