Abrogation du décret de Robien : les syndicats restent vigilants

Attention à ce qui arrive derrière !

21 juin 2007

Le 11 juin, entre les deux tours des élections législatives, après 2 heures d’échanges avec les fédérations syndicales de l’éducation à l’Elysée, le chef de l’Etat annonçait l’abrogation totale du décret de Robien sur les obligations de services des enseignants. Une victoire pour l’union syndicale qui se prépare néanmoins à d’autres batailles.

Cette décision correspond à la demande unanime des 15 organisations du second degré qui, depuis plus de 8 mois, avant même le passage officiel du décret le 12 février 2007, entre manifestations et pétitions, n’ont cessé de dénoncer un texte dangereux pour la profession et les élèves.

Réflexion en profondeur sur le métier d’enseignant

Remettant en cause les obligations de services des enseignants inscrites dans le décret de 1950, à savoir les heures de première chaire et de laboratoire, les décharges statutaires, ce décret menaçait clairement la pérennité des associations sportives rattachées aux établissements (voir encadré) , introduisait la bivalence, donc la possibilité pour les enseignants d’enseigner deux matières à la demande du chef d’établissement, et lui imposait enfin des compléments de service, soit un allongement du temps de travail de certains enseignants sans contrepartie financière. Tout ceci dans le but de réduire 3.000 postes en équivalent temps plein à la rentrée, sans compter tous ceux déjà partis à la retraite et qui n’ont pas été remplacés. La position du chef de l’Etat, exprimée en présence de François Fillon et du ministre de l’Education, Xavier Darcos, ne pouvait donc être qu’une bonne nouvelle. Nicolas Sarkozy a néanmoins refusé qu’un collectif budgétaire soit voté pour recréer les postes supprimés comme demandé par les syndicats, et a annoncé qu’il retenait les heures supplémentaires pour faire face aux besoins d’enseignements qui se présenteront.
Le chef de l’Etat a rappelé sa volonté d’entamer une négociation sur le métier d’enseignant, confiant le soin à Xavier Darcos de mener au préalable une réflexion en profondeur sur la question. Dans un communiqué de l’Elysée, il précise qu’il « souhaite débattre le plus largement possible avec les différents partenaires sociaux (...) de la manière dont il pourra mettre en œuvre les réformes du système éducatif sur lesquelles il s’est engagé ». Des projets inquiétants sont effectivement annoncés, comme la suppression de la carte scolaire, la remise en cause de l’éducation prioritaire, la diminution des horaires des élèves ou encore la réduction de l’offre de formation (options, séries, ...). Une main tendue donc de la part du gouvernement qui ne suffit pas à désamorcer l’inquiétude.

Stéphanie Longeras


- Le sport scolaire sauvé de justesse

« Une excellente nouvelle qui n’est pas venue par hasard »

Le SNEP-FSU n’a pas hésité à monter au créneau en fin d’année dernière, avant même que le décret ne soit voté pour dénoncer ses conséquences sur l’enseignement du sport à l’école, et notamment sur les associations sportives rattachées aux établissements qui permettent, pour 15 euros par an, aux enfants qui n’ont pas les moyens de cotiser à une structure privée d’accéder aux sports au sein de l’UNSS. Une injustice majeure pour ces élèves qui, à force de mobilisations (voir entre autres "Témoignages" du 12 décembre 2006), a pu être évitée.
Réaction d’Alain Voisin, Secrétaire académique adjoint du SNEP-FSU.

La mobilisation syndicale a été payante. Votre réaction ?

- L’annonce de cette abrogation est une excellente nouvelle qui n’est pas venue par hasard. Pendant sa campagne présidentielle, le président s’était engagé au début de revoir le décret, à le suspendre, mais pas à l’abroger. Sachant que les syndicats ont été très engagés dans la bataille avant et après sa promulgation, on peut dire que c’est le résultat d’une lutte importante pour le SNEP. Nous sommes très satisfaits car nous avons toujours dit que ce décret ne réglait rien pour nous. Nicolas Sarkozy a d’ailleurs très bien résumé cette mesure qui, selon lui, demandait de travailler plus pour gagner autant.

Au niveau du sport, le recteur avait pris des dispositions pour que le décret soit appliqué avant même sa promulgation. Comment sera-t-il possible de faire marche arrière à la rentrée ?

- Il est vrai que bien avant la promulgation du décret, le Ministère avait demandé à toutes les académies d’accélérer son application. Le Rectorat de La Réunion avait ainsi anticipé pour récupérer 63 équivalents temps plein. Nous avons réagi très vite, obtenu une entrevue avec le recteur et réussi au mieux à maintenir les forfaits AS (Association Sportive), même si certains chefs d’établissement avaient anticipé au-delà même de ce qui leur était demandé, comme en divisant les forfaits de 3 à 2 heures, alors que le recteur avait envoyé une lettre de cadrage précisant que ce n’était pas possible. Mais certains n’en ont pas tenu compte et ont fait tout et n’importe quoi. Dès le lendemain de l’annonce, le 12 juin, en Formation Paritaire Mixte Académique (FPMA), nous avons donc fait une déclaration liminaire pour demander que les forfaits ainsi diminués soient rétablis, et la réinjection des postes, supprimée. On nous a proposé une réinjection en heures supplémentaires, mais c’est hors des textes qui prévalent pour les forfaits UNSS. Il a donc été convenu que partout où ce serait possible, seraient mis en place des Blocs de Moyens Provisoires (BMP). Pour ne pas bouleverser le mouvement inter-académique, nous avons accepté. Des TZR (Titulaires sur Zone de Remplacement) seront ainsi appelés à travailler à l’année dans certains établissements.

Les heures supplémentaires prévaudront pour le reste des enseignants. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

- Des négociations vont s’engager avec le Ministère. La FSU va défendre le fait que nos statuts ne doivent pas bouger. Car ce principe des heures supplémentaires ne pourra générer que la compétitivité. Si un enseignant refuse au chef d’établissement, il sera évalué en fonction. Depuis 3 ans et la mise en place de la LOOF (loi de finances) qui dit qu’il faut des critères d’évaluation, qui veut distinguer les enseignants les plus méritants des autres, ce système de compétition est en place et se ressent déjà au niveau des échelons. Avant, tout le monde passait au hors-classe, au-delà du 11ème échelon, maintenant, les retraités partent sans y avoir accès. Ce principe est loin d’être un gage de qualité. Il ne faut pas regarder le travail des enseignants par le petit bout de la lorgnette. Ils font bien plus que les heures obligatoires entre la préparation des cours à la maison, leur investissement dans les établissements à travers le soutien scolaire, les projets, etc... et l’on veut leur demander de faire encore plus d’heures ! Ça ne va plus être un job très porteur, déjà que La Réunion enregistre une pénurie de professeurs de mathématiques ; les gens très qualifiés sur le plan scientifique préfèrent une autre voie à celle de l’Education nationale.

La mobilisation syndicale reste donc de mise pour les jours et mois à venir ?

- Absolument. Il faut arriver à faire des équipes solidaires. Mais créer des solidarités, c’est créer des oppositions. C’est pourquoi, on essaie de casser les solidarités pour faire passer les réformes au détriment même des élèves, en dépit de ce que l’on avance. Tout est possible pour dégraisser le mammouth !

Entretien Stéphanie Longeras


Autres réactions syndicales

Gilbert Romain, SNAEN-UNSA

« On ne gère pas une entreprise »

Le président de la République veut soigner son électorat. Si l’UMP avait pu surfer sur la vague bleue, les Municipales auraient été avancées en octobre de cette année. Son seul souci est de montrer aux Françaises et aux Français qu’il tient sa parole. L’abrogation du décret de Robien est une bonne chose, mais on attend tout de même sa concrétisation.
Au-delà, il reste qu’un fonctionnaire sur deux ne sera pas remplacé et que ce manque va être compensé par les heures supplémentaires. Si l’on va plus loin, le gouvernement préconise que les nouvelles recrues soient embauchées sur l’indice de base. Le fonctionnaire en début de carrière prendra plus de temps pour avancer sur la grille tarifaire et devra travailler plus s’il veut gagner plus d’argent. Je crains vraiment que cette politique introduise la compétition entre les uns et les autres, une compétition malsaine qui n’est pas du tout adaptée au secteur de l’Education nationale et de la Fonction publique en général. On ne gère pas une entreprise. Ce qui va être donné d’une main sera repris d’une autre. Au niveau national, mais plus encore à La Réunion, la suppression des postes d’enseignants ne correspond pas du tout à la situation de l’Académie. Il faut une adaptation des textes et non une application systématique des mesures engagées au plan national. La possibilité d’adaptation existe, mais est-ce qu’il y aura la force politique locale pour la défendre auprès du gouvernement ?

• Jean-Louis Belhote, CFDT-Education :

« Il faut voir ce qu’on nous réserve derrière »

L’abrogation du décret est une bonne chose dans la mesure où nous l’avions demandée. Après, il faut voir ce qu’on nous réserve derrière. Avant que Nicolas Sarkozy ne soit président, Xavier Darcos, l’actuel ministre de l’Education nationale, a préparé un rapport où, si ses propositions sont appliquées,... Restons vigilants. L’abrogation est une bonne chose, je le redis, mais le non remplacement des fonctionnaires partant à la retraite est toujours à l’ordre du jour comme la volonté de faire des économies sur l’Education nationale, le plus gros employeur de l’Etat.
Il est vrai que depuis le décret de 50, beaucoup de choses ont changé, la réalité éducative, les statuts... nous ne sommes donc pas contre un dépoussiérage de ce décret, mais il faut se mettre autour d’une table. Si c’est seulement pour parler des moyens économiques et budgétaires, nous ne sommes pas d’accord ; si c’est pour faire évoluer certains statuts afin qu’ils soient plus adaptés à la réalité, là, nous sommes prêts à en discuter. Mais quand on voit que le président a lui-même reçu les syndicats, on se rend compte qu’il veut tout régenter comme en 2003 quand, en tant que Ministre de l’Intérieur, il avait remplacé Luc Ferry pour négocier. Est-ce qu’il y aura une vraie concertation ? Il ne cède pas sur la carte scolaire dont la suppression, nous l’avons dit, va développer des ghettos sociaux, avec des pressions énormes sur les chefs d’établissement. Le Rapport Darcos dit d’ailleurs que ce sont ces mêmes chefs d’établissement qui vont inspecter les professeurs et plus, les inspecteurs académiques. Nous ne sommes pas contre les chefs d’établissement bien sûr, mais nous disons attention au cumul des pouvoirs et des responsabilités. Au-delà des effets d’annonce, nous restons donc très vigilants.

Propos recueillis par SL


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