Débat au Sénat sur le projet de loi Fillon

Gélita Hoarau : ’Il existe dans notre île une fracture au sein de la jeunesse’

17 mars 2005

La sénatrice Gélita Hoarau est intervenue pour la première fois à la tribune du Sénat, avant-hier, à propos du projet de loi Fillon. “Témoignages”, qui a ajouté des intertitres, vous propose ci-après le discours prononcé.

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"De notre capacité aujourd’hui à enraciner les valeurs républicaines d’Égalité, de Liberté et de Fraternité dans l’esprit de notre jeunesse, à forger l’esprit critique, à élargir le champ des connaissances dépend l’avenir du pays.
Voilà une noble ambition, partagée, qui mérite un débat à la hauteur de l’enjeu, éloigné des visions partisanes. Mais l’affirmation d’une ambition ne saurait suffire à emporter l’adhésion quand celle-ci n’est pas soutenue par la mobilisation des moyens adéquats. C’est le sentiment des lycéens et des enseignants qui, quotidiennement, constatent dans les établissements une dégradation de leurs conditions de vie.
La Réunion a connu aussi de grandes manifestations lycéennes. Il est toujours hasardeux de sonder les reins et les cœurs des jeunes manifestants. Mais ce serait manquer de lucidité, que de ne pas voir dans leur mobilisation, d’une part l’expression d’une réelle demande d’amélioration de leurs conditions actuelles d’enseignement et d’autre part l’expression d’une réelle angoisse face à l’avenir.

Une jeunesse divisée

Il existe dans notre île, comme ici, une fracture au sein de la jeunesse : celle qui souhaite réussir son parcours éducatif, mais qui s’inquiète de son avenir, celle qui, gagnée par la désespérance, est déjà en situation d’échec et retourne contre l’école sa colère et ses frustrations.
Les Réunionnais sont particulièrement attachés à l’école qui au cours des dernières décennies a joué un rôle indiscutable en termes de cohésion sociale et en tant que moteur d’ascension sociale. L’affirmation de l’école publique a accompagné le passage d’une société coloniale à une société fondée sur la réalisation des valeurs républicaines notamment par l’accès du plus grand nombre à l’enseignement. Il ne s’agit pas de nier ces avancées. Mais il ne s’agit pas non plus de passer sous silence les disparités et les retards actuels du système éducatif à La Réunion. Je m’en tiendrais à quelques affirmations concrètes pour l’illustrer.

Disparités de l’éducation entre La Réunion et la Métropole

Le taux de scolarisation des deux ans est chez nous de 15% contre 34 en Métropole. L’échec scolaire en Cours Préparatoire à La Réunion est presque le double qu’en Métropole. En CM2, il est plus élevé de presque 25%.
En 2002, l’écart de réussite au Brevet des collèges était inférieur de 11 points à La Réunion.
Le taux de scolarisation des 16-19 ans est inférieur de 12 points. Quant au taux d’accès au Baccalauréat, il est de 57% contre 69%.
19% des jeunes sortent du système scolaire sans qualification et l’illettrisme touche 20% de la population.
Je pourrais continuer l’énumération des chiffres... Tous montrent le fort enjeu social qu’il y a en filigrane de ces données. Comment ne pas rappeler que le chômage des jeunes est de 51% chez nous contre 20% en métropole ?
C’est pourquoi l’organisation et le contenu de l’enseignement doivent répondre prioritairement à la réduction de ces inégalités. Et je ne crois pas que les mesures contenues dans ce projet de loi y concourent. De ce point de vue, la suppression des TPE risque d’être un facteur aggravant.
Pour faire face aux retards ainsi qu’aux besoins créés par la progression démographique de l’île, le système éducatif réunionnais a aussi et surtout besoin de moyens. Le dernier plan de rattrapage en personnel enseignant date de 1998/2002. Il n’y en a pas eu d’autres depuis, en dépit du constat incontesté des retards notamment au niveau du ratio d’encadrement.

Dégradation des conditions de vie scolaire

Mais pire, la suppression brutale de milliers d’aides éducateurs a eu pour conséquence une dégradation des conditions de vie scolaire.
Comment ne pas s’inquiéter également des conséquences du transfert du personnel TOS vers les collectivités locales ? Chez nous, le Conseil régional et le Conseil général ainsi que la majorité des organisations syndicales estiment que ce transfert, tel que prévu, n’est pas acceptable.
J’ai d’ailleurs déposé très récemment une proposition de loi à ce sujet, qui pourrait contribuer au règlement définitif de ce problème.
Monsieur le Ministre, nous ne retrouvons pas dans votre projet de loi les moyens d’une ambition pour la jeunesse de notre île, qui est pourtant notre atout essentiel. Cet investissement dans l’avenir est aussi la condition du maintien de la cohésion sociale d’aujourd’hui.
Votre projet de loi, Monsieur le Ministre, ne mérite ni excès d’estime ni indignité. Mais sur la base d’une analyse concrète en fonction de la réalité réunionnaise, nous ne pourrons l’approuver."


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