Questions au secrétaire général de la FSU

Gérard Aschieri en visite à La Réunion

2 mars 2005

Nous reproduisons ci-après une interview par “Témoignages” de Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU à l’occasion de sa venue à La Réunion.

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Quel est le but de votre visite, quelles personnes allez-vous rencontrer ?

À la FSU nous ne concevons pas qu’un responsable syndical exerce ses fonctions sans aller sur le terrain, débattre, écouter, rencontrer les collègues et les militants. C’est la raison pour laquelle la section départementale de La Réunion m’a invité : je vais donc rencontrer les responsables et les militants de la FSU et de ses syndicats, mais aussi ,- j’espère - de nombreux collègues ; c’est d’autant plus important que nous sommes à quelques jours d’une importante journée de mobilisation nationale, le 10 mars. J’en profiterai aussi pour rencontrer des responsables locaux, qu’il s’agisse du Conseil régional, du Conseil général ou des services de l’État.

La “loi Fillon” est actuellement placée sous les feux de l’actualité. Elle est une traduction de la stratégie de Lisbonne de l’Union européenne, rendue publique en 2000, qui vise à mettre l’éducation au service d’une économie “compétitive”, dans le sens libéral. Comment peut-on bloquer cette nouvelle tentative de remise en cause du service public d’éducation ? Comment éviter que de tels projets continuent à menacer le droit à une éducation de qualité pour tous, garante d’une société plus juste ?

Effectivement le projet de loi Fillon, bien loin d’être "vide", trace des perspectives particulièrement dangereuses pour le service public d’éducation : elle organise une réduction de l’offre d’enseignement autour d’une conception étroite et utilitariste des savoirs dits "indispensables", dont sont exclus par exemple l’EPS, les enseignements artistiques... Elle vise également à créer les conditions d’un tri précoce des élèves sur des bases qui de fait seront d’abord sociales ; elle ignore la question des inégalités et fait de la réussite une affaire individuelle où le "mérite" ou les capacités jouent un rôle déterminant ; enfin elle dégrade les conditions de travail des personnels, dénaturant leur métier. Bref elle risque de produire l’inverse de ce qu’elle prétend faire et rendre encore plus difficile la réussite de tous. De ce point de vue, elle est en lien étroit avec la politique budgétaire de réduction des moyens de l’école, tout comme avec le transfert de personnels aux collectivités territoriales. C’est contre l’ensemble de cette politique et pour une école, plus juste, ambitieuse pour tous les jeunes, que nous luttons ; cette lutte risque d’être longue, elle a besoin d’être aussi unitaire que possible et implique de rassembler largement au-delà des rangs des personnels de l’éducation : c’est tout le sens de notre démarche ; c’est pourquoi après la réussite de la grève du 20 janvier, après une participation importante des personnels de l’éducation à la journée de manifestations du 5 février, après des initiatives multiples pendant la période des vacances, et notamment le 15 février aux côtés des lycéens, nous appelons à faire grève et manifester le 10 mars.

Enseignants et lycéens manifestent contre cette loi. Le mouvement va-t-il prendre de l’ampleur et intégrer les chercheurs, les TOS ?

C’est justement le but de notre appel pour le 10 mars : l’idée c’est d’être ensemble dans l’action contre une politique multiforme de régressions sociales qui touchent les salaires, le temps de travail, les droits sociaux, les services publics, la recherche, l’école... Il n’y a pas d’opposition entre lutter pour plus de justice sociale, pour une meilleure répartition des richesses produites et lutter pour des services publics efficaces, contribuant à réduire les inégalités, pour une école de la réussite de tous. Il n’y a pas d’opposition entre lutter contre le chômage et la précarité et lutter pour des créations d’emplois dans les services publics. Au contraire ! Et la perspective d’être tous ensemble dans l’action, salariés du privé et du public, peut être un facteur supplémentaire de réussite de la mobilisation et accroître notre capacité collective de faire bouger les choses.

Depuis 2003, les TOS se mobilisent à La Réunion contre leur transfert aux collectivités. Ils sont soutenus par l’Intersyndicale, la Région, le Département et de nombreux élus de toutes tendances politiques. Quel est votre point de vue sur cette mobilisation ?

Nous continuons à être opposés à ces transferts et pas seulement à La Réunion. Je crois que certains responsables locaux proposent de demander que l’île soit exemptée de ces transferts ; je crains que la Constitution ne permette pas une telle exception, mais je ne veux pas écarter cette idée a priori. Cela dit, si la loi doit s’appliquer, nous pensons qu’il faut créer les conditions pour revenir en arrière en cas de changement de gouvernement. Pour cela, il faut que les missions qu’exercent les personnels TOS soient maintenues et pas externalisées ou confiées à d’autres personnels, il faut aussi faire vivre les cadres d’emplois qu’il est prévu de créer et les alimenter par des recrutements nouveaux. C’est un engagement que nous demandons aux régions et départements partout en France et je compte bien le faire auprès des responsables du département et de la région que je rencontrerai.

À La Réunion, des organisations syndicales soulignent que parmi les plus précaires de l’Éducation nationale, plusieurs centaines de personnes en contrat CEC sont dans l’incertitude. Dans beaucoup de services publics, trop de salariés ne peuvent pas avoir de projet d’avenir du fait de la précarité de leur statut. Comment inverser cette tendance ?

Effectivement cette précarité est insupportable, pas seulement pour ceux qui en sont victimes mais aussi pour les services publics : la garantie de l’emploi est aussi une garantie pour leur bon fonctionnement et pour la réponse aux besoins des usagers. La première chose à faire est d’obtenir une politique de l’emploi public qui réponde à l’ensemble des besoins afin de ne plus créer de précarité et assurer aux précaires des possibilités réelles d’accéder à la titularisation ; il faut également modifier la loi qui laisse aux gestionnaires de nombreuses possibilités de recruter des précaires. Et il faut évidemment assurer des garanties de réemploi aux actuels précaires et négocier des modalités adaptées permettant à tous d’accéder à un emploi stable. Cela bien-sûr ne se fera pas tout seul et cela fait partie des revendications que nous mettons en avant dans nos actions, notamment le 10 mars.

Dans la fonction publique, beaucoup d’agents vont partir en retraite ces prochaines années. Se pose alors le problème du remplacement, or, le gouvernement veut profiter de la situation pour diminuer le nombre de fonctionnaires. Comment lutter contre cela ?

La première façon de lutter est de partir de la réalité des besoins du service public : dire qu’on va a priori ne remplacer qu’un départ sur deux ignore la réalité des besoins ; on le voit bien dans l’éducation. C’est en mettant en lumière ces besoins et en montrant les conséquences sur le terrain de tels choix que l’on peut mobiliser au-delà des rangs des seuls fonctionnaires concernés. Mais il ne s’agit pas seulement d’agir pour que l’on réponde aux besoins ; il faut aussi se donner les moyens de recruter : en effet la concurrence est réelle entre besoins du privé et besoins du public en matière de personnels qualifiés et c’est un défi auquel les services publics doivent faire face ; pour cela il faut déjà développer l’accès des jeunes aux qualifications supérieures, augmenter le "vivier" et notamment dans les régions qui ont le plus de difficultés. Complémentairement nous demandons qu’on mette en place des "pré-recrutements" (on paye les études de jeunes qui se destinent aux métiers de la fonction publique) et qu’on travaille sur l’attractivité de nos métiers (salaires des débuts de carrière, conditions de premières affectations etc...). En matière de recrutement, nous avons un véritable défi à relever.

Au-delà de ce problème précis, quelles sont les principales revendications portées par la première confédération syndicale des salariés du secteur public ?

Bien sûr la revendication salariale est aujourd’hui une revendication centrale : depuis 2000, la valeur du point d’indice a perdu 5% par rapport à l’inflation et les bas salaires concernent une part de plus en plus importante d’agents ; les dernières mesures gouvernementales ne vont faire qu’aggraver la situation en ajoutant pour 2005 au moins 0,8 de perte supplémentaire. Il est indispensable de remonter la pente ; c’est une question de justice, une condition de l’attractivité de nos métiers mais aussi cela peut être un point d’appui pour les salariés du privé : les agents publics correspondent à près du quart des salariés ; une politique salariale ambitieuse pour eux ne pourrait rester sans répercussion pour les autres au moment où les profits des grandes entreprises explosent.
Au-delà, nos revendications portent sur la défense des services publics, notamment face au projet de directive Bolkenstein sur les services et sur l’emploi public, sans oublier le temps de travail, avec notamment l’augmentation de la durée de travail imposée au nom de la journée de solidarité. Sans oublier le dossier des retraites qui pour nous n’est pas clos et celui de la protection sociale.

Propos recueillis par M. M.


Gérard Aschieri est né le 4 mars 1952. Ancien élève de l’École normale supérieure, titulaire d’une licence en 1972 puis d’une maîtrise, il est reçu 2ème à l’Agrégation de Lettres en 1974 et prépare aussitôt une thèse de troisième cycle sous la direction d’André Mandouze, spécialiste de Saint-Augustin, et proche du FLN pendant la guerre d’Algérie.
Ayant débuté sa carrière dans un collège de Saint-Denis (93), il enseigne actuellement au lycée Schweitzer du Raincy (93) à des classes de BTS d’assistant trilingue.
Gérard Aschieri a toujours enseigné, sauf pendant trois ans où il a bénéficié d’une décharge totale pour un premier mandat de permanent au SNES.

- En 1979, il entre à la direction nationale du SNES, où il restera vingt ans, responsable du secteur "carrières et statuts", mais en conservant "un pied dans l’enseignement".

- En 1992, lors de la création de la FSU, il se retrouve responsable du principal secteur, celui de la Fonction publique.

- En janvier 2001, il est élu une première fois secrétaire général de la FSU, pour un mandat de trois ans.

- Lors du mouvement de 2003, il conduit les négociations avec MM. Ferry et Sarkozy, avec un résultat différemment perçu par les militants de la FSU.

- Néanmoins, en février 2004, son rapport d’activité ayant été approuvé par une très forte majorité qualifiée (plus de 70%) des militants de la FSU, Gérard Aschieri est réélu secrétaire général de la FSU pour un nouveau mandat de trois années à la tête de la principale organisation de la Fonction publique.
Avant lui déjà, Michel Deschamps (SNETAP) avait été élu une seconde fois, mais avait démissionné en cours de mandat, étant candidat PCF aux élections européennes.
La FSU est la première organisation de la Fonction publique de l’État.


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