Débat à l’Assemblée nationale sur le projet de loi Fillon

Huguette Bello : une réforme négative pour l’école à La Réunion

17 février 2005

L’Assemblée nationale a commencé mardi après-midi l’examen du projet de loi d’orientation pour l’avenir de l’école. Huguette Bello est intervenue dans la discussion générale mardi soir. Elle s’est notamment exprimée sur la logique qui est à l’origine de la réforme proposée par le gouvernement et sur les conséquences que l’application des mesures contenues dans la loi pourrait entraîner à la Réunion. On lira ci-après le texte de l’intervention de la députée réunionnaise, avec des inter-titres de “Témoignages”.
Le vote par scrutin public devrait intervenir le mardi 2 mars prochain. La députée du PCR a déjà annoncé qu’elle se prononcera contre ce texte.

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Lieu de tous les enjeux, carrefour décisif de la plupart des existences, ciment de la cohésion sociale, l’école ne saurait être l’objet de querelles partisanes ni d’affrontements idéologiques. C’est sans aucune réserve que j’approuve le Président de la République de vouloir en faire "l’espace où l’on forme les citoyens de demain à la critique, au dialogue et à la liberté".
J’aurais aimé retrouver cette inspiration dans ce projet de loi. Ce n’est pas le cas. Votre projet est affligé de deux aberrations qui, pour être universellement répandues, n’en sont pas moins détestables. D’une part, vous faites de l’école une sorte d’entreprise destinée à produire des connaissances ; d’autre part, vous lui attribuez une fonction exorbitante, celle d’infirmerie de la société.

L’éducation ne se compare pas à une entreprise

Les élèves ne sont ni des travailleurs ni des produits. C’est une lourde erreur que d’employer, à propos de l’école, le langage de la performance, de la compétition et des objectifs quantifiés. En parlant ainsi, plutôt que d’expliquer, on obscurcit ; loin de faire avancer, on immobilise.
Ni le progrès réel des êtres humains, ni l’approfondissement de leur intelligence ni l’épanouissement de leur imagination, ne se laissent capter par des objectifs, mesurer par des chiffres, comparer par des experts.
Je n’ignore pas qu’il est extrêmement difficile d’échapper à cet assemblage de termes techniques, à ce discours désordonné de l’évaluation. Pourtant, quand il s’agit de l’école, nous devons essayer.
J’ai cherché sur quelle vision de l’homme et de la société s’appuient les préconisations de ce texte. Je n’ai trouvé que des allusions à des circonstances possibles, dépourvues de toute résonance historique comme de toute épaisseur humaine.
Sans doute, comme le mentionnait encore récemment le rapport annexé, les exigences de la société de l’information ou les enjeux liés à la démographie constituent-ils des questions importantes ; ce n’est pourtant pas sur de telles données qu’on peut fonder une politique de l’enseignement.

L’enfant est au centre le l’éducation et non l’inverse

Ni les impératifs de rentabilité ni même l’obligation de préparer les enfants à la vie professionnelle ne sont, pour l’enseignement, des objectifs suffisants. L’enfant est le sujet de l’éducation.
Cela signifie, autrement dit, que tout le dispositif scolaire doit contribuer, comme l’écrivait Jean-Marie Domenach, à ce que la relation pédagogique soit fondée "non sur l’utilité, mais sur la vérité, la beauté, la liberté et la convivialité". La formation des enfants est le but premier de l’éducation ; les autres objectifs qu’on peut légitimement lui assigner restent subordonnés à ce but premier.
De quel faux plafond est-on en train de surplomber les salles de classe et les esprits des élèves à une époque où, pour le meilleur et pour le pire, les sensibilités sont à vif ? Les treize objectifs du Conseil européen de Lisbonne sont un chef d’œuvre de langue de bois ; une plongée dans un verbalisme glacé .
Comment peut-on, par exemple, oser parler d’économie de la connaissance ?
Qu’est-ce qu’une connaissance ainsi "marchandisée", qu’une connaissance en quête de compétitivité et de dynamisme économique ? Qu’est-ce donc ? Une imposture ? Une arnaque ? Ou, plus prosaïquement, le relais de puissants lobbies industriels ?
Rien d’étonnant, dans ces conditions, que l’on prône, comme remède à l’échec scolaire, toujours aussi massif, l’orientation des enfants vers l’apprentissage dès l’âge de quatorze ans. Cette spécialisation prématurée, c’est une violence qui leur est faite.

L’école ne peut tout régler

Les principes républicains dont vous vous réclamez sont aussi les miens. Nous souhaitons ensemble la fraternité de tous, la tolérance et l’égalité des chances. Mais quand l’intolérance, la violence et l’inégalité progressent dans la société, c’est un assez joli tour de passe-passe de demander à l’école d’y remédier à l’instant où on lui assigne - y compris dans le fonctionnement des établissements - des objectifs et des manières de faire qui sont largement à la source de cette violence, de cette inégalité, de cette intolérance.
Je suis sensible aux intentions affichées dans ce texte, mais je suis également sensible à l’aveuglement qui les fait aussitôt oublier. Que reste-t-il de l’esprit critique, que reste-t-il de la liberté quand le monde extérieur, ses tendances lourdes, ses modes - en un mot, les opinions - pèsent à ce point sur l’enseignement alors qu’il a précisément pour objet de les éclairer, de les mettre en perspective et de les dépasser ?

Une expérience vécue

J’ai particulièrement à cœur ce qui touche à l’école car je sais quel rôle elle a joué dans mon département. J’ai déjà eu, à plusieurs reprises, l’occasion d’évoquer les attentes des enseignants et des parents et, sans nier que des progrès certains aient été accomplis au cours des vingt dernières années, d’insister sur l’effort qui reste à produire et sur les moyens qui doivent l’accompagner.
Mais je tiens à dire aujourd’hui que, vu la rapidité avec laquelle les changements se sont produits à La Réunion, la logique qui est à l’origine de cette réforme risque d’y provoquer des réactions encore plus graves et douloureuses que dans d’autres régions.
Comme ailleurs, nous devons veiller à ce que la sensibilité des enfants, terriblement blessée par la brutalité du temps, ne soit pas négligée au profit d’objectifs extérieurs conjoncturels ou artificiels.
Prenons particulièrement garde à la manière trop idyllique dont nous leur présentons le monde du travail. Ils savent qu’il est souvent injuste, et toujours très dur. Ils en redoutent la froide violence.
Une de nos poétesses, Agnès Guéneau, nous en a magnifiquement avertis :
"L’enfant ne comprend pas ce regard d’oiseau de proie."


Motion de l’Intersyndicale de l’Éducation

Pour défendre le service public de l’éducation nationale

La FSU, le SAIPER, le SCENRAC-CFTC, le SGEN-CFDT, le SGEPEN-CGTR, Sud-Éducation Réunion et UNSA-Éducation réunis en Intersyndicale ont remis hier après-midi la motion suivante au préfet.
Les organisations syndicales de l’Education nationale de La Réunion, réunies le 10 février 2005, constatent l’obstination méprisante du gouvernement à ne pas vouloir entendre leur revendications, en dépit des actions fortes et massives des personnels lors de la journée du 20 janvier 2005, et d’une mobilisation grandissante, atteignant désormais l’ensemble des salariés du secteur privé comme du secteur public, ce dont témoigne avec force l’action du 5 février dernier.
Dans le même temps où, dans nos établissements scolaires, le service public d’éducation subit de nombreuses suppression de poste, où l’avenir des personnels précaires est menacé, le gouvernement passe outre les avis unanimement négatifs portés à la fois par le Conseil Supérieur de l’Education et par le Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la recherche sur le projet de Loi d’Orientation sur l’avenir de l’école. Ce projet proposé au Conseil Des Ministres le 12 janvier sera débattu à l’Assemblée Nationale depuis le 15 février.

Une opposition ferme et multiple

Les organisations syndicales signataires réaffirment avec la plus extrême vigueur leur opposition aux suppressions de postes qui compromettent dramatiquement l’avenir, leur opposition au projet de Loi d’Orientation, qui ne répond pas aux attentes de la communauté éducative (élèves, parent d’élèves, personnels), et qui va à l’encontre du service public d’éducation. Elles affirment encore leur opposition au transfert des TOS, également rejeté par la quasi unanimité des Conseil régionaux et par le Conseil Général de La Réunion, et dont la conséquence sera de faire éclater la communauté éducative, ainsi que leur opposition à la précarisation croissante des emplois.
Les organisations syndicales signataires déclarent leur solidarité avec les lycéens actuellement mobilisés pour une autre réforme de l’école, qui permettrait la réussite de tous.


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